Distribution et prix

Innovons, vendons des moches !

La promotion des légumes moches : faire aimer ce qui sort des normes, faire acheter ce qui est laid, faire avancer les mentalités : une initiative engagée !

La promotion des légumes moches : faire aimer ce qui sort des normes, faire acheter ce qui est laid, faire avancer les mentalités : une initiative engagée !

Pour lutter contre le gaspillage alimentaire, de nombreuses idées fleurissent. La campagne « Les fruits et légumes moches » cherche à promouvoir ces aliments difformes, loin des critères de beauté habituels. Faire aimer ce qui sort des normes, faire acheter ce qui est moche, faire avancer les mentalités, voici une initiative engagée !

« Près de 50 % d’aliments sains sont gaspillés chaque année dans l’Union européenne, par les ménages, les supermarchés, les restaurants et la chaîne alimentaire, alors que 79 millions de citoyens vivent au-dessous du seuil de pauvreté ». Ce triste constat fait par le Parlement européen conduit à réduire de moitié le gaspillage alimentaire d’ici à 2025. D’ailleurs l’Union Européenne a fait de 2014 « l’année de lutte contre le gaspillage alimentaire ». Reportages télévisés, articles dans les magazines, événements d’associations caritatives… les Français ont été sensibilisés par différents moyens au fait que des aliments sont jetés sans raison valable. Un problème important  à l’échelle globale de la planète, qui a un impact au niveau environnemental, financier et humain.

1111 Citations de Stratégie, Marketing, Communication, par Serge-Henri Saint-Michel

La plupart des distributeurs proposent désormais des produits moins chers en fin de date de consommation afin de ne plus les écarter des circuits de distribution : « Zéro gâchis » et « Quoi ma gueule » sont les deux marques de produits « non calibrés » les plus connues. Côté distributeur, Intermarché a été le premier à se lancer. Ce dernier achète aux producteurs leur fruits et légumes difformes et les vend 30% moins cher. Une initiative qui a satisfait producteurs, distributeurs et consommateurs. Il ne restait plus qu’à savoir comment les vendre…

Comment faire aimer les imperfections ?

Du message publicitaire d’avril 2013 de Dove  (« Vous êtes plus belle que vous ne le pensez ») jusqu’au « Si vous n’aimez pas vos imperfections, quelqu’un les aimera pour vous » de Meetic en janvier 2015, les marques prennent de plus en plus le chemin de la lutte contre la perfection.

Dove part ainsi du constat qu’à l’échelle mondiale seulement 4% des femmes se trouvent belles. La marque choisit d’aider les nouvelles générations à développer une relation positive avec leur corps. Depuis 2004, Dove ne cesse de faire le buzz avec des campagnes originales pour chercher à imposer une autre vision de la beauté selon laquelle même les femmes avec des rondeurs et des rides sont belles. Le marché des savons et des produits de beauté étant saturé, la marque se différencie par ce combat. Dans ses campagnes, elle joue sur la sensibilité des femmes en les faisant passer par plusieurs émotions : de la joie à la compassion et de la tristesse à l’espoir.  Elle attendrit les consommatrices et suscite l’achat de ses produits. C’est un pari risqué mais c’est en concordance avec ce que ressent sa cible. Dans l’imaginaire populaire, la laideur a toujours été associée à la méchanceté, à la folie, à la bêtise. Il est donc difficile de faire changer les perceptions de la société. Même pour des légumes.

Les produits moches, une belle idée contre le gaspillage

Aujourd’hui, 40 % de la production en France des fruits et légumes sont condamnés dès la récolte à être écartés des circuits de vente. On les appelle des produits non calibrés. Intermarché a donc décidé de les vendre à environ -30% du prix habituel. L’agence Marcel et Intermarché ont lancé cette campagne en mars 2014 avec ce message : « Ce ne sont pas des aliments parfaits, mais ils sont tout aussi bons ». Les spots TV présentaient des aliments, aussi sensibles que des êtres humains : la clémentine introvertie, la carotte démotivée et la pomme rejetée.  Le succès a été immédiat. Après une campagne 360°, cette opération a été relayée en masse sur les réseaux sociaux et 1,2 tonne de fruits et légumes moches a été vendue en moyenne par magasin lors des deux premiers jours. L’article de LSA qui relate l’événement est devenu le plus lu de l’histoire du site.

La campagne a rencontré un grand succès. Cependant, la mise en place de cette vente n’a pas pu être généralisée à tous les magasins et la marque s’est faite accusée d’un simple coup marketing. Effectivement, pourquoi Intermarché a-t-il créé un nouveau rayon en plus de ses fruits et légumes habituels ? Si le distributeur était sûr de ses convictions, pourquoi n’a t-il pas tout simplement revu son cahier des charges des aliments calibrés et accepté tous les fruits et légumes des producteurs quelle que soit leur apparence ?

Des témoignages fleurissent sur ce sujet : « Je travaille dans une coopérative agricole où nous conditionnons et vendons des pommes à Intermarché entre autres. Et les critères de sélection des fruits ce sont eux qui les dictent ! Et croyez-moi qu’ils peuvent être ahurissants ! Il suffirait qu’ils assouplissent un peu leurs critères pour qu’il y ait moins de tri et par conséquent plus de pommes à vendre (…)  et donc un prix moins cher pour le consommateur. (…) C’est juste un coup commercial pour se donner une belle image ! »

Adoptez un livre

https://youtu.be/GRteoKOJzxg

Les 4 piliers d’une stratégie marketing

Pour promouvoir un produit non conforme au standard, il faut que cette démarche soit « de bonne volonté ». Le premier pilier est d’ être clair et honnête sur la nature du produit. Par exemple, Dove prône des valeurs intéressantes mais n’est pas irréprochable sur ces produits, y compris en écrivant « hypoallergénique » sur le packaging et indiquant des conservateurs dans les ingrédients. Il faut également que tous les produits de l’entreprise ou du groupe possèdent les mêmes valeurs.

Par ailleurs, ce positionnement doit durer. Par exemple, aujourd’hui Eram reste pour les Français une marque classique de chaussures. Pourtant en 2000, Eram s’empare du débat sur l’image de la femme dans la publicité par le biais du slogan « Aucun corps de femme n’a été exploité dans cette publicité » tantôt sur un homme nu, tantôt sur une autruche ou une chaise avec des talons. La marque présente « tout » sauf un mannequin femme pour vendre des chaussures. Dans le même temps, la marque aborde un problème important : les conditions de travail des femmes. Deux spots TV font le buzz dénonçant d’une part la rémunération des femmes 30% moins élevée que celle des hommes, et dénonçant d’autre participer leur les stéréotypes véhiculés par à l’époque les publicités des « lessiviers » .

Ce fut l’une des premières marques à oser l’autodérision, mais son esprit décalé a disparu avec le temps, laissant place à des communications standardisées et faisant oublier au consommateur qu’Eram s’est attaqué à des sujets sociétaux importants pour les consommateurs.

De façon générale, il n’est pas nécessaire pour une marque de dépenser des milliers d’euros en achat média. Rappelons que « The Body shop », à ses débuts, ne faisait pas de publicité car la fondatrice, Anita Roddick n’avait pas assez de moyens pour cela. Mais son offre de produits de beauté naturels grand public, ses valeurs éthiques et son engagement pour des causes sociales lui ont offert une couverture médiatique conséquente.

L’honnêteté et le dynamisme sont donc des valeurs précieuses pour la crédibilité des organisations. Il ne faut pas que la marque se montre omniprésente, qu’elle joue un rôle moralisateur qui n’est pas le sien. En résumé, il suffit de poser cette question « S’agit-il d’une démarche purement lucrative ou bien un réel engagement de sa part ? ». Si c’est la deuxième option, c’est réussi !

Ces controverses posent la question de la responsabilité. Le consommateur critique la marque qui ne joue pas pleinement le jeu ; mais si ce dernier n’achetait pas depuis des années de « beaux » aliments, ou s’il ne cherchait pas toujours le produit avec la date de consommation la plus éloignée, peut-être que le distributeur pourrait changer sa politique de vente. Les distributeurs se doivent de sensibiliser et d’éduquer leurs clients, les consommateurs de changer leurs habitudes. Nous sommes tous responsables. Et moches ?

Auteure : Roxane Ballatore

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Un article de notre dossier Marketing & innovation

(c) ill. Shutterstock – large red tomatoes on white

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