Bibliographie

L’homme simplifié, Jean-Michel Besnier

L’homme simplifié, de JM Besnier, questionne la place des machines dans la société et leur impact philosophique et éthique sur l’homme.

L’homme simplifié, de JM Besnier, questionne la place des machines dans la société et leur impact philosophique et éthique sur l’homme.

“L’art de faire son propre malheur est devenu la marque de fabrique des contemporains”. Jean-Michel Besnier, philosophe français et professeur émérite de philosophie, décrit dans son essai sorti en 2012, une société déshumanisée par des machines qui tendent à simplifier l’homme à l’extrême. Il nous offre sa vision des nouvelles technologies et questionne la place de l’homme et des machines dans la société, la simplification du langage ou encore l’avènement de la Singularité… Au travers de cet essai, trois notions sont abordées par l’auteur : l’homme simplifié, l’homme diminué et l’homme augmenté.

L’homme simplifié 

Simplification des interactions 

L’homme simplifié n’est autre que l’homme actuel confronté aux machines qui le rendent de plus en plus plat. Les machines sont omniprésentes aujourd’hui et nous semblent indispensables. Écrire un mail, appeler en FaceTime, jouer à des jeux vidéo en réalité virtuelle sont des avancées qui font maintenant partie de notre quotidien et dont nous ne prêtons plus guère attention. Cependant, comme nous le dit Jean-Michel Besnier, ces machines tendent à simplifier les hommes à l’extrême, à les rendre dépendants et passifs, voire esclaves des nouvelles technologies. Ils sont bien illustrés dans le film d’animation WALL-E de PIXAR, sorti en 2008. 

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En effet, du fait de leur totale dépendance à la technologie, les humains sont assistés en permanence par des machines ; leurs jambes sont atrophiées puisqu’ils ne se déplacent qu’en fauteuils roulants et leur libre-arbitre est inexistant. 

Bien entendu, le développement des nouvelles technologies a permis de faciliter la vie de bon nombre d’individus mais a également diminué leurs interactions réelles. L’utilisation à foison du téléphone portable en est un très bon exemple. En effet, les SMS permettent d’échanger en appuyant simplement sur des touches sans voir ni entendre l’interlocuteur. Le téléphone est devenu l’intermédiaire idéal afin d’éviter de confronter le regard de l’autre. Pour l’auteur, l’homme simplifié n’est pas heureux car l’usage quotidien de ces technologies a beaucoup trop simplifié sa vie – sa réflexion, ses usages, ses comportements… Il est victime de ses automatismes et de ses mécanismes. En effet, combien de fois nous nous sommes retrouvés face à notre téléphone en ne sachant plus ce que nous voulions faire avec ? Ou bien avoir ce réflexe d’appuyer systématiquement sur notre application préférée sans vraiment en avoir l’envie. Ce sont devenus des automatismes comme se laver les dents après chaque repas. Des automatismes qui montrent clairement notre dépendance aux nouvelles technologies. Finalement, d’après l’auteur, ces machines permettent à l’homme d’envisager “d’être débarrassé grâce à elles, des complications qui sont jusqu’à présent le lot de toute existence.” 

Langage et pensée simplifiée

Jean-Michel Besnier lie cette suppression progressive de ces complications à un autre concept primordial de l’humanité : le langage. Pour ce faire, il le compare au novlangue de 1984, ce langage simplifié à l’extrême et dépourvu de mots susceptibles d’instaurer la moindre ambiguïté sémantique. 

Afin d’illustrer son propos, il ne se limite pas uniquement à l’exemple du langage SMS et de la limite des 140 caractères de Twitter. Après tout, il faut bien avouer que ceux-ci sont un peu datés : la nécessité de s’exprimer pleinement à travers ces échanges épistolaires, n’a pas tardé à prendre le dessus sur les contraintes techniques. Sur Internet, les approximations orthographiques ne manquent pas d’être pointées du doigt par d’autres internautes et la limite des signes a été contournée par la création des “threads Twitter” et des MMS. 

La crainte de Jean-Michel Besnier se porte également sur un autre aspect, plus légitime : le politiquement correct et les auto-censures, inconscientes ou non, que nous nous infligeons au quotidien. Le langage n’est pas une simple manière de communiquer entre les individus. Il a offert aux hommes la possibilité de déchiffrer le monde pour l’adapter à ses besoins et faire passer des messages émotionnellement forts. Il est le porte-étendard de la pensée complexe. Les émotions et concepts abstraits peuvent ainsi s’exprimer par la figure de style, grâce à des structures de phrases élaborées ; ce que permet, par exemple, la poésie, les essais et la littérature. Ainsi, simplifier le langage ôterait la possibilité aux hommes de s’exprimer le plus fidèlement possible au sujet de concepts abstraits mais non moins importants : la liberté, l’art, le bonheur, l’amitié…

L’auteur prend l’exemple de la Sécurité Sociale en déplorant la simplification du mot par le biais du sigle SS ou du diminutif “sécu”. Cela constitue, selon lui, une perte du sens d’une conquête historique de la protection collectivement gérée en France. Une perte causée, selon ses dires, par une simplification déshumanisante ayant pour dessein l’efficacité administrative. Ce modèle binaire qu’il dénonce, pourrait aisément s’adapter aux machines. En témoigne la lenteur et la complexité absurde de certaines procédures administratives. Illustrées également par les numéros d’immatriculation de la sécurité sociale et de toutes ces choses qui, mises bout à bout, destituent l’individu de ses caractéristiques personnelles.

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L’homme diminué 

L’homme, plus petit que lui-même ?

Jean-Michel Besnier va plus loin dans sa réflexion puisqu’il parle d’homme diminué. « L’homme est devenu plus petit que lui-même », affirme-t-il, en prenant l’exemple de la bombe atomique. Cet engin, son invention, plus puissant que tout ce qu’il a pu créer, le dépasse et l’effraie.

Dans un registre différent mais dans la même logique, “le jeu vidéo a fini par devenir trop compliqué pour les gens”. Effectivement, les jeux vidéo d’aujourd’hui sont pour la plupart très complexes et demandent une forte adaptation cognitive et intellectuelle. Ce qui a pour résultat une spécialisation croissante des joueurs et un désintérêt de la part d’une certaine frange de la population, notamment les plus âgés. Aussi, l’industrie des jeux vidéo, qui cherche à maximiser ses profits, propose désormais des jeux beaucoup plus accessibles et plus intergénérationnels. Mécaniquement, cela nivelle par le bas la relation homme-machine. Les rôles sont inversés. La machine dirige le “joueur subjugué” qui répond bêtement à ses sollicitations. L’homme est diminué en ce sens qu’il est asservi.

Un être superflu

L’homme diminué est caractérisé par Jean-Michel Besnier comme un homme superflu et individualiste. En effet, à cause de la mondialisation – où l’accessibilité illimitée aux technologies agit sur l’exposition de soi et est devenue plus importante, l’homme a développé plus d’égocentrisme : “Aimez-moi”, “Likez et commentez mes publications”, “Suivez-moi”… Il s’est replié sur lui-même, ce qui a débouché sur une perte d’ouverture d’esprit de ce dernier – dont l’humain a besoin pour développer sa subjectivité.

Zygmunt Bauman explique que la mondialisation a amené une “modernité liquide” mais aussi des relations “liquéfiées”. En effet, nous avons tendance maintenant à laisser place à l’éphémère et à ne plus tisser de vrais liens entre les individus. Les hommes se massifient, perdent leur caractère individuel et deviennent tous les mêmes, c’est une tragédie de la modernité pour lui. Cependant, nous pouvons nuancer ses propos, car la mondialisation n’a pas seulement “liquéfiée” notre société et nos relations. Le développement des nouvelles technologies, comme décrit dans cet essai, a permis à une catégorie d’individus, notamment les personnes autistes, de se sentir plus à l’aise socialement car le contact n’est plus obligatoire. Ils peuvent donc interagir plus aisément. 

L’homme augmenté

La machine, un modèle à suivre

Pourquoi l’auteur parle-t-il finalement d’homme augmenté ? Cette notion, très répandue, notamment dans le domaine médical, désigne le fait de promouvoir des capacités accrues chez les humains. C’est-à-dire, augmenter les performances du cerveau afin de pouvoir mémoriser davantage, courir plus vite ou encore se concentrer plus longtemps. Comme dit l’auteur, “l’homme augmenté n’est pas l’homme amélioré mais l’homme boosté.” L’humain ne se contente pas de ce qu’il a, il souhaite toujours plus, aller toujours plus loin sans chercher à s’améliorer. La série Black Mirror est une bonne référence car elle questionne justement les limites des nouvelles technologies et comment elles pourraient, à terme, déshumaniser l’homme. Dans l’épisode Black Museum, un docteur se fait greffer un implant neuronal afin de ressentir la douleur de ses patients et ainsi mieux les soigner. Cependant, la douleur ressentie est peu à peu transformée en plaisir intense. Cet implant censé “sauver des vies” va faire exactement tout l’inverse et mener ce docteur à sa perte. Les épisodes de cette série sont en grande majorité très sombres et donnent une vision négative voire effrayante des nouvelles technologies qui sont poussées à l’extrême. Cette envie de modifier la nature humaine montre bien que l’homme est perçu comme diminué. Le but, d’après l’auteur, est de formater les humains afin qu’ils puissent effectuer des tâches répétitives et mécaniques, comme des machines. L’homme augmenté est très lié finalement à l’homme simplifié puisqu’il est réduit à des comportements élémentaires. Comme pourrait le dire Barbara Garson, dramaturge et militante sociale américaine, “un degré extraordinaire d’ingéniosité humaine a été mis au service de l’élimination de l’ingéniosité humaine”. 

Le paradoxe de la singularité

Modifier la nature humaine, formater et booster l’homme efface finalement ce qui le définit en tant qu’être humain. La singularité est ce caractère unique qui différencie les hommes entre eux et qui fait toute leur force. Les transhumanistes, eux, parlent de l’avènement prochain de la Singularité ou singularité technologique. Il s’agit d’une hypothèse selon laquelle l’invention de l’intelligence artificielle déclencherait une si forte croissance technologique qu’elle entraînerait des changements imprévisibles dans la société voire une potentielle fusion entre l’homme et la machine. L’idée serait de résoudre les problèmes humains les plus complexes et d’annihiler la mort. Cette fusion entraînerait la naissance d’une nouvelle humanité super augmentée et débarrassée des contraintes du corps biologique. La singularité ne peut émerger que s’il existe une grande variété d’êtres humains ; or, si la Singularité efface ce caractère unique, elle détruit la nature même de l’homme.

Finalement, bien que souvent pertinent, cet essai brosse un portrait sombre et parfois biaisé des nouvelles technologies. La vision de l’auteur est néanmoins intéressante puisqu’elle dénonce de véritables problématiques sociétales, entraînées par l’omniprésence des réseaux sociaux, la multiplication des discussions sur le transhumanisme, la glorification de la toute-puissance scientifique, technique et de la culture pragmatique. Tous ces cadeaux seraient en fait empoisonnés s’ils continuaient d’être utilisés à mauvais escient. En effet, la déshumanisation qui en découlerait serait catastrophique. Bien que cette thèse soit intéressante et justifiable, l’auteur se perd malheureusement dans certains sophismes, entraînés par des exemples parfois trop superficiels. Un défaut qui ne parvient toutefois pas à faire taire la sonnette d’alarme que Jean-Michel Besnier tire et qui s’énonce ainsi : il est grand temps de remettre l’homme au cœur des débats scientifiques afin de ne pas l’écraser sous le poids des machines.

Auteurs : Maya Foucret, Justine Rossignol, Tidiane Soumahoro, Vicenta Varney

Acheter L’homme simplifié : le syndrome de la touche étoile, Jean-Michel Besnier, 2012

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Sources :

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