L’inconscient dans l’assiette, de Nathalie Dumet paru en 2017, plonge le lecteur dans une œuvre en lien avec la psychologie. L’auteure est psychologue clinicienne, psychanalyste et également professeure de psychopathologie clinique à l’Université Lyon 2. Elle a écrit et contribué à de nombreux ouvrages qui abordent souvent les troubles alimentaires. L’idée générale que l’on se fait souvent sur les TCA (troubles du comportement alimentaire), est que ce sont des perturbations caractérisées par une obsession de la nourriture, du poids et de l’apparence et que cela touche seulement les adolescentes voire les jeunes femmes obsédées par l’image qu’elles renvoient. Or, L’inconscient dans l’assiette démontre le lien étroit entre notre psyché et notre alimentation. Le livre examine comment les expériences et les émotions peuvent influencer les choix alimentaires et comment la nourriture peut affecter le bien-être émotionnel. L’auteure dénonce les différents troubles et dérives alimentaires en pointant leurs conséquences sur la santé, et comment ils peuvent être liés à des problèmes psychologiques profonds. L’inconscient dans l’assiette, répertorie 12 récits, un par chapitre avec des portraits de femmes et d’hommes aux vies et traumatismes différents. À la manière d’un journal de bord, Nathalie Dumet réunit le parcours que chaque patient a dû faire avec elle lors des séances de psychothérapie pour comprendre enfin la corrélation de la psyché du patient avec un traumatisme du passé et leurs relations à la nourriture actuelle. L’écrit de Nathalie Dumet nous propose une amorce sur la psychique que nos pulsions nous font subir, ici avec des troubles du comportement alimentaire. En parcourant cet ouvrage intimiste, nous observons l’application de ce diktat diététique et psychique dans la communication et l’usage de ces mœurs dans notre perception quotidienne.
Mise en abyme d’une réflexion psychologique et d’un récit intimiste
Le lecteur apparaît comme spectateur de la séance
L’inconscient dans l’assiette, met le lecteur dans un huis clos, comme s’il participait à chaque séance du récit. En effet, l’auteure partage son récit avec les lecteurs qui font partie de ces séances et qui sont placés comme observateurs. Ainsi il est possible de faire un certain parallèle avec la notion du quatrième mur que nous retrouvons dans le milieu de la dramaturgie et cinématographique. En effet, le quatrième mur, fictif, crée une barrière entre le spectateur et les acteurs. Cela peut-être donc un parti-pris de briser ce mur pour créer une relation, un rapport intimiste entre le public et les comédiens. Dans cet ouvrage, c’est le choix qu’a fait Nathalie Dumet, permettant de faire apparaître le lecteur comme spectateur de la séance. Également, d’autres éléments permettent de renforcer cette proximité. Comme vu précédemment on remarque en effet une proximité dans le lien auteur/lecteur qui se manifeste principalement par l’utilisation d’un vocabulaire assez familier qui permet d’instaurer un lien de confiance avec le lecteur. De plus, l’utilisation de la ponctuation (comme les points d’exclamation par exemple) accentue cette intimité. On notera tout de même que le langage utilisé varie énormément en fonction des chapitres du livre et donc des patients. En effet, si l’auteure utilise un vocabulaire grossier avec certains patients, elle sera beaucoup plus neutre dans d’autres cas. Ainsi la diversification du vocabulaire n’est autre que le lien que l’auteure entretient avec chacun de ces différents patients.
Le rapport entre vie psychique et affective, un parallélisme entre les pulsions alimentaires et sexuelles
À travers les écrits, on peut constater un lien qui se forme entre la sexualité des patients et leurs névroses alimentaires. Au cours du récit de Nathalie Dumet, on observe une origine Freudienne à sa réflexion. Un des principes fondateurs du psychanalyste autrichien qui est que l’inconscient n’est pas directement accessible, il faut donc l’étudier à travers les rêves ou bien par l’attitude émanée lors de discours. Les travaux de Freud se perçoivent aussi à travers l’accent mis sur le refoulement des émotions ou traumatismes des patients de l’auteur. Le lecteur fait ainsi face à ce que l’on nomme des pulsions refoulées. Le refoulement a une fonction psychique. Freud explique que celui-ci se manifeste lorsqu’une motion pulsionnelle se heurte à des résistances qui cherchent à la rendre inefficiente. Alors, la fuite n’est pas une solution, car le moi ne peut se fuir lui-même. La meilleure solution est donc le refoulement, soit l’acte d’exclure et de tenir à distance du conscient. Ainsi, Les pulsions refoulées sont des désirs inconscients qui peuvent causer des conflits émotionnels et psychologiques. Selon la théorie freudienne, les pulsions refoulées sont généralement des désirs sexuels ou agressifs, qui sont considérés comme inacceptables ou dangereux dans la société et doivent être refoulés pour maintenir l’ordre social. Cependant, ces désirs refoulés peuvent continuer à influencer la pensée et le comportement de la personne, en causant des troubles émotionnels et psychologiques. Ici, ces troubles émotionnels et psychologiques se traduisent par les troubles alimentaires relatés par Nathalie Dumet.
Le rapport entre les pulsions liées à la nourriture et la sexualité sont très forts dans ce livre et même en application dans la vie quotidienne. Prenons le cas de la boulimie, le patient va se nourrir jusqu’à régurgiter ce qu’il vient de manger pour répondre à sa pulsion de satiété. Une fois cette pulsion “satisfaite”, le sujet va se réprimander lui-même par un sentiment de dégoût envers sa propre personne. Nathalie Dumet, met donc en avant un rejet extérieur de la personne qui peut se traduire sous plusieurs formes dans les troubles alimentaires, dégoût de soi, régurgitation extérieure etc. Un parallèle avec la sexualité est donc possible. Prenons l’exemple de la pornographie. Une personne va utiliser le visionnage de contenus pornographiques pour satisfaire sa pulsion sexuelle. Cependant, une fois sa pulsion satisfaite, cette même personne va ressentir une aversion envers lui-même. C’est alors le même cheminement qui se forme entre la pulsion liée à la nourriture et à la sexualité. Cette fois, pour faire un parallèle avec le livre, dans le dernier chapitre à propos d’Elisabeth et de ses pulsions liées à sa consommation de sucreries. Ces pulsions répondent en fait à un plaisir charnel qu’elle ne connaissait plus avec son ex-mari. Ainsi la patiente se réprimande elle-même car elle doit perdre du poids à cause de son diabète et noie en fait sa frustration charnelle dans les sucreries.
Ainsi, les mécaniques subconscientes que l’Homme exerce sur lui-même pour se lester d’un problème en répondant à une pulsion. Nathalie Dumet met en valeur ces mécaniques par le biais de comment ses patients détournent leurs névroses psychologiques par l’alimentation. Aujourd’hui cette réflexion s’applique dans la communication où l’on pousse à surconsommer pour répondre à des problématiques plus ou moins pertinentes.
Du diktat diététique à une application contemporaine dans la communication
L’inconscient dans l’assiette met en lumière la mécanique subconsciente des consultations traitant des troubles alimentaires. Tout au long des différentes histoires, on comprend les conséquences sur la santé, physiques ou psychologiques. Au cours de ces récits, on observe qu’une même pathologie peut se déclarer de manière différente selon les patients. Les conséquence de ces troubles sont nombreuses, sur le plan physique on aborde le surpoids, la maigreur, ou encore des carences. Malheureusement les troubles alimentaires déclenchent des problèmes de santé importants qui impactent, au-delà de nos physiques, nos organes. Il y a aussi les troubles psychologiques qui accompagnent ces troubles, on peut parler de l’isolement, du mal être, de dépendance, de perte de confiance en soi. C’est un cercle vicieux, chacune des conséquences, peu importe leur chronologie, amène à une autre.
Les troubles du comportement alimentaire sous le prisme de l’allégorie de la minceur
Cela permet de voir, qu’un même trouble n’est pas vécu, assimilé et n’a pas les mêmes conséquences suivant les individus. De plus, cela ne provient pas de la même source. Le livre permet donc aux lecteurs de prendre conscience que chaque vécu amène vers des actions, troubles, addictions, différentes. Ces troubles alimentaires renvoient à un élément qui a affecté l’individu, un traumatisme, lors de différents stades de la vie. Il s’agit alors de chemins de vie différents ayant une même finalité, celui de se canaliser, passer à l’acte à travers la nourriture. Ces troubles sont accentués au fur et à mesure des années et permettent à un individu de gérer ses émotions ou de calmer ses névroses. Le subconscient amène un individu vers une solution substitutive pour lui permettre de penser que le problème alimentaire est son seul problème. Seulement, dans tous les cas, les problèmes alimentaires émanent de problèmes bien plus profonds. Ce “problème de surface” lié à la nourriture se rapporte quasiment dans chaque cas au diktat de la minceur. En effet, la minceur dans notre société est synonyme de beauté, de forme physique, d’un certain rapport esthétique. Ainsi, involontairement, les patients sujets aux troubles du comportement alimentaires essaient de se rapprocher de cette esthétique pour laisser paraître un sentiment “d’esprit sain”. Noyer le problème pour en oublier l’existence. L’individu se noie avec la nourriture, il noie ses émotions et ses problèmes. Inconsciemment, le fait de prendre conscience de ses problèmes alimentaires est une manière de passer à côté du réel problème,qui lui est bien plus grand et conduit une personne à sa propre perte. L’idée de combler un vide, une absence, un stress permet de se sentir mieux sur un instant T, le cerveau assimile ce phénomène de manière positive et le reproduit, jusqu’à créer une habitude qui devient au fil du temps une nécessité. L’objectif de ce livre est d’aider toute personne à mieux comprendre son fonctionnement psychique au quotidien, dans un domaine aussi banal que celui de l’alimentation. Il permet d’élargir la vision des lecteurs sur les différents troubles de notre société aussi minime qu’ils y paraissent. Ce livre démontre également que les rapport à la nourriture sont complètement différents suivant les individus. Chaque individu a une manière de gérer ses vices et maux en succombant à ses pulsions.
Cet ouvrage met en avant une consommation rapide. A la base, la nourriture est un besoin vital, au fur et à mesure du temps, tout comme notre société, les différents excès se sont multipliés. De ces dérives, la consommation excessive et rapide a provoqué des troubles. Chacun sa manière de gérer ses émotions, et au même titre que l’accélération de la société actuelle, le besoin de contrôle, d’ingestion rapide et excessive c’est développer dans l’inconscient pour mener à des troubles plus ou moins graves. C’est une façon de voir ces troubles alimentaires, mais aussi les différents éléments de société qui peuvent pousser à consommer en continu et de façon exagérée, sans avoir le pouvoir de gérer. Pousser nos limites, et nos besoins de combler ne cesse de nous pousser dans nos excès et dans une forme de réconfort.
Une société de consommation sans scrupules
Nathalie Dumet tisse un lien évident entre les troubles de l’alimentation et la société surconsommatrice dans laquelle nous vivons. Pour comprendre au mieux cette corrélation, notre auteure avance l’idée de réponse par la nourriture dans le lien parent enfant. Il est en effet fréquent que certains troubles apparaissent dès le plus jeune âge puisque certains parents donnent à manger à leur enfant qui pleure quand ils n’arrivent pas à comprendre leurs signes non verbaux. Cette réponse par la nourriture peut créer de la confusion chez l’enfant qui ne discerne plus la sensation physique de manger de ses besoins affectifs. La nourriture peut alors en grandissant venir pallier un manque affectif, ou une peine, ainsi la nourriture n’a plus des valeurs vitales mais émotionnelles. Notre société a compris les bénéfices que ces troubles peuvent engendrer en termes d’achat et a ainsi créé des moments de vie et des publicités liées à ce phénomène. Pour exemple, avec la publicité nuage de Kinder, la femme s’enfonce dans un nuage de douceur en mangeant cette tablette chocolaté et cela intervient suite à un moment de stress où elle a fait face à plusieurs difficultés : celle de ranger ses valises, de trouver sa place dans le train ou encore d’éviter tous les passagers sur son passage. Ce moment sera donc associé à la détente et à une pause bien mérité dans l’esprit du futur consommateur. Plus globalement, certains moments de vie sont devenus sujet à la consommation de nourriture. Il y a également l’exemple du cinéma, on s’aperçoit également que manger du pop corn est devenu une banalité dans l’allégorie du cinéma . Aujourd’hui, dans le cadre privé, pour certains, il est désormais impensable de visionner un film ou une série sans grignoter quelque chose même si cela ne relève pas d’une réelle faim en soi. La consolation par la nourriture a un fort impact et les marques ont joué sur ces biais. Manger une glace suite à une rupture amoureuse est aussi devenu un stéréotype puisque ce moment de vie à été représenté dans de nombreux films et séries au profit des marques.
C’est alors une représentation d’une nourriture conditionnée. L’environnement laisse croire que la place qu’a pris la nourriture dans notre vie est légitime or toutes les actions de communication créées à ce sujet sont débordantes. De même que les newsletters, même si elles sont peu lues, elles ont un impact phénoménal, toutes les newsletters de nourriture reçues sont rodées pour guider notre alimentation. En moyenne les gens rentrent du travail aux alentours de 18h-19h et c’est à ce moment là que ces actions de communications entrent en jeu puisque le consommateur reçoit sur notre téléphone, pendant son trajet retour pour la maison, la proposition de ce qu’il peut manger ce soir avec des objets de mail très alléchant. Uber eats ou les applications de courses en ligne saisissent ses moments de fatigue, de faim et de faiblesse pour faire commander quelque chose. Une fois de plus, les marques jouent sur nos biais émotionnels pour faire manger à leur convenance. Pour les personnes qui souffrent de troubles, ces actions de communication peuvent être un véritable gouffre. Les études sur la consommation alimentaire de la population découle principalement du travail des planneurs stratégiques qui tenteront de comprendre toutes les mécaniques psychiques de chacun dans le but de les faire consommer.
Une approche constructive et élargie dans notre perception quotidienne
L’inconscient dans l’assiette, une approche pertinente pour le planneur stratégique
Au premier abord, il est possible de se demander pourquoi ce livre est-il intéressant pour le planning stratégique ? Il s’agit d’une invitation à l’écoute de personnes confrontées à une tyrannie alimentaire, afin de mieux comprendre leurs relations complexes à la nourriture. L’auteur cherche à déceler et surtout à comprendre ce qui a pu ou se passe dans la tête de son patient pour lui proposer une solution. Le planneur stratégique peut s’inspirer du livre, moins sur le fond que sur la forme c’est-à-dire pour les techniques psychanalytiques et psychologiques employées pour aider les personnes concernées. Plus simplement, le planneur doit comprendre la marque et le consommateur afin d’orienter ses stratégies de communications et les exécutions créatives qui vont suivre derrière.
Pour obtenir ses résultats, le planneur stratégique a pour principale mission de mettre à profit son analyse des études consommateurs, observer les tendances. Dans notre cas, Nathalie a pour mission principale d’analyser ses patients, observer ce qui s’est passé dans leur passé, connaître l’environnement actuel dans lequel ils vivent afin de proposer des solutions. De plus, il joue un rôle d’interface avec les créatifs les orientent afin d’établir la connexion avec les consommateurs. L’auteure du livre exerce un rôle de guide avec les patients en leur fournissant les clefs d’accès qui leur permettront d’établir la connexion entre leur problème de santé et leurs souvenirs. Par son approche, Nathalie analyse l’environnement et a également un rôle de conseil à l’instar du planneur qui peut s’inspirer de la méthode employée. Les troubles alimentaires dont sont victimes les patients résultent d’un événement ou d’un manque dans la vie de ces personnes. Manger est un moyen de combler un vide, c’est penser également inconsciemment que cela constitue la solution aux problèmes. Et pour faire un lien avec le marketing? En effet, la société actuelle, c’est-à-dire de consommation voir d’hyperconsommation, est caractérisée par la volonté insatiable des consommateurs à consommer. Il cherche une sensation de plénitude et de la satisfaction dans ce qu’il achète.
Le lien étroit entre psychologie et marketing
Dans une société où la frustration et le manque de reconnaissance au travail sont monnaie courante, le consommateur va combler ce vide par l’expérience de consommation. Dans le livre, les patients mangent non pas par plaisir de déguster quelque chose bon mais pour combler un manque affectif. De même, la dimension affective du marketing entraîne une insatisfaction constante des désirs des consommateurs, à la recherche d’une satisfaction immédiate, qui achètent pour combler des besoins.
La psychologie est un moteur pour les communicants. Ces deux notions sont étroitement liées car la communication est un aspect fondamental de la vie sociale humaine et est fortement influencée par la sémiotique. En psychologie, l’étude de la communication interpersonnelle examine comment les gens perçoivent, comprennent et réagissent aux messages verbaux et non verbaux des autres. Cela peut donc influencer les émotions et les attitudes des gens, ce qui peut à son tour affecter leurs comportements. Ainsi, ces notions sont interdépendantes, car l’une est influencée par les processus psychologiques, et l’autre permet de comprendre ces processus pour améliorer les compétences.
Pour conclure, L’inconscient dans l’assiette, permet d’ouvrir la réflexion d’un point de vue communicationnel bien que le livre ne relève ni de marketing, ni de communication. L’explication et la déclinaison de l’ensemble des troubles des patients et de l’auteure permet de comprendre que chacun des troubles est personnel et qu’il existe ainsi des actions de communication pour répondre aux pulsions de chacune d’entre elles. Son partage intime des expériences vécues avec les patients, permet aux lecteurs, une meilleure compréhension de ces troubles et plus généralement une ouverture aux troubles avec lesquels on cohabite. C’est ce que les communicants ainsi que les marketeurs appuient sur nos biais émotionnels pour pousser à la surconsommation. Les consommateurs répondent à des pulsions éphémères créées par les communicants et les marketeurs qui ne cessent de nous séduire sur des besoins plus ou moins pertinents.
Auteur.e.s : Tom Ambibard Rodrigues, Esteban Bourlier, Emma Jegu, Hayette Mekki, Anaïs Neki, Lisa Tougard
Acheter L’inconscient dans l’assiette, de Nathalie Dumet, 2017
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