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Les décisions absurdes, Christian Morel

Les décisions absurdes, selon Christian Morel s'expliquent-elles par une perte de sens, des biais cognitifs face à une situation inattendue ?

Les décisions absurdes, selon Christian Morel s’expliquent-elles par une perte de sens, des biais cognitifs face à une situation inattendue ?

Décisions absurdes ou simple perte de sens ? Biais cognitif lié à notre schéma de pensée face à une situation inconnue ou inattendue ? Christian Morel, à travers son ouvrage, tente d’apporter sa vision et ses explications sur ce phénomène de la décision absurde et ses conséquences.

Pour commencer, revenons sur la définition de la décision absurde, ce qu’elle induit et ce qu’elle entraîne comme processus dans notre cerveau. Une décision absurde, selon Christian Morel, est un comportement radical et persistant allant à l’encontre d’un but poursuivi. Ce comportement décrit comme « radical » par l’auteur, peut être induit par un certain nombre de raisons et de mécanismes que nous allons développer en détails par la suite. Au quotidien, une décision absurde peut être prise face à une situation de crise, pour répondre à un évènement exceptionnel et inattendu. L’auteur explique que pour prendre une décision dite absurde, tout se passe dans notre cerveau. Un schéma prédéfini, ou un mécanisme automatique de réaction cognitive s’opère alors.

Les décisions absurdes et la perte de sens par le biais cognitif

Mais alors, comment arrivons-nous à prendre une telle décision ? Quelles sont les raisons qui poussent notre conscience à agir de la sorte ?

Que ce soit pour régler des problèmes, mener à bien un projet ou même régler un petit conflit, chaque décision peut mener soit à une fin heureuse soit à une mauvaise fin. Même avec les meilleures intentions, la finalité peut être désastreuse. Les décisions prises peuvent être influencées par différents facteurs : les émotions, la deadline, l’argent, le regard des autres…

Quand une décision absurde aggrave la situation

Nous avons par exemple, fin 2018, lors de la première manifestation des gilets jaunes, une décision absurde qui a été prise de la part du service communication du président de la République, Emmanuel Macron. Les gilets jaunes étaient à Paris pour manifester. Les manifestants se plaignaient de leurs conditions de vie, de leur salaire, ils manifestent dans le froid. Et sur Instagram, le président Emmanuel Macron a publié une photo de lui et de sa femme, à la montagne en train de skier. La publication a immédiatement été pointée du doigt par le peuple français mais également par la presse. « Comment un président peut-il prendre des vacances et montrer au peuple qu’il est à la montagne alors que son peuple est dehors dans le froid en train de montrer son mécontentement sur leurs conditions de travail et leurs conditions de vie ? » s’exclame la presse française. Une décision absurde en réponse aux événements qui se sont passés dans la capitale française. Le président de la République et son service de communication étaient parfaitement au courant qu’il y avait une manifestation dans Paris et qu’il serait très fortement déplacé de publier une telle publication.

Le manque d’information, le véritable fautif

Mais, contrairement à cet exemple, un manque d’information peut mener à des décisions absurdes.

De multiples projets, qui étaient censés avoir une finalité heureuse, ont été détruits par des décisions absurdes.

CD Projekt

Par exemple, nous pouvons prendre le cas de CD Projekt avec le développement du jeu vidéo “Cyberpunk 2077”. Le développement a été un désastre pour les développeurs. Cyberpunk 2077 était censé révolutionner le monde du jeu vidéo. Que s’est-il passé ? Annoncé en 2012, Cyberpunk 2077 est sorti en décembre 2020 et il était rempli de bugs. Jouable sur PC, avec beaucoup de bugs, il était injouable sur PlayStation 4 et Xbox one. Le jeu était annoncé en 2012 et donc, pour le grand public, il était en développement depuis 2012, il n’y aurait du avoir aucun problème vu que les développeurs étaient censés avoir suffisamment de temps pour le développer correctement.

C’est en fouillant, un peu, que le grand public s’est rendu compte que le développement avait réellement débuté en 2016 et donc qu’il n’y avait pas eu suffisamment de temps pour développer le jeu. Plusieurs mois avant la sortie du jeu, CD Projekt avait imposé aux développeurs une période de « crunch », c’est-à-dire une période où ils devaient travailler plus, même pendant les week-ends pour que le jeu soit prêt. Une personne sensée aurait repoussé la date de sortie du jeu pour donner plus de temps aux développeurs mais cela n’a pas été fait. Les développeurs savaient que le jeu n’allait pas être prêt pour fin décembre mais les dirigeants ne voulaient rien savoir. La décision a été prise : Cyberpunk 2077 va sortir le 10 décembre 2020 et le jeu sera prêt !

Résultat : des milliers de remboursements, endettement de l’entreprise, Sony interdit CD Projekt de sortir son jeu sur le PlayStation Store et la justice polonaise impliquée dans l’histoire ! C’est du jamais vu et cette histoire est même devenue un cas d’école dans le monde du jeu vidéo ! Mais pourquoi avoir pris la décision absurde de sortir un jeu d’une telle ampleur dans cet état ? En 2015, CD Projekt avait sorti The Witcher III : Wild Hunt. Un jeu excellent, adoré par la presse et par les joueurs mais à la sortie le jeu était aussi buggé mais jouable. CD Projekt a sorti plusieurs mises à jour et tout s’est très bien passé. Ils s’étaient dit qu’ils allaient faire la même chose avec Cyberpunk 2077. « Ça va marcher, le jeu s’améliore de jour en jour ! » voilà ce qu’a dit Marcin Iwiński, fondateur de CD Projekt, à ses développeurs.

Les développeurs étaient au courant mais pas les dirigeants. Le manque d’information a donc conduit CD Projekt à une décision absurde.

Plus récemment, l’arrivée de la Covid-19, a conduit le gouvernement français à prendre une décision absurde : l’inutilité des masques. Que s’est-il passé ?

Masques

La Covid-19 est une nouvelle maladie et donc, nous manquons d’informations sur elle. Début 2020, quand la Covid-19 est arrivée en France, tout le monde voulait acheter des masques afin de se protéger mais le gouvernement, par manque d’information, a communiqué sur le fait que cela n’était pas nécessaire et que les masques ne servaient à rien. Quelques mois plus tard, le gouvernement s’est rendu compte que cela était une décision absurde et a constaté une montée flagrante de contamination en France. Après avoir pris la décision absurde de dire que les masques étaient inutiles, le gouvernement, après avoir obtenu suffisamment d’informations, à communiquer sur le fait qu’il était important de porter son masque pour éviter la propagation du virus.

Le manque d’information peut fatalement nuire à différentes prises de décision. Une personne sensée ne peut pas répondre à un problème avec une solution tant qu’elle n’a pas toutes les informations nécessaires. Pour répondre à un problème, il faut étudier, réfléchir à chaque solution possible et en retirer la meilleure. Pour la Covid-19, il fallait agir vite avant que cela ne s’aggrave encore plus, et donc collecter des informations aurait pris beaucoup trop de temps et cela aurait montré l’incapacité du gouvernement à réagir rapidement. Le gouvernement a préféré réagir rapidement mais l’absurdité de leur choix a permis aux virus de se propager beaucoup plus rapidement. En bref, le manque d’information mène inévitablement à des décisions absurdes.

Les décisions absurdes présentées dans ces exemples se rapportent aux insights consommateurs. L’attitude du public est compréhensible face aux décisions prises par les autorités, directeur… Les insights permettent de se mettre, avant tout, à la place des consommateurs, et donc du public. Se mettre à la place du public permet d’appréhender les potentiels problèmes et donc d’éviter de prendre des décisions absurdes.

Les décisions absurdes sont menées par des pensées irrationnelles de la part des dirigeants. Ceux qui sont au cœur du projet sont plus aptes à prendre des décisions. Mais c’est leur devoir de donner les informations et surtout d’alerter les dirigeants pour éviter que la décision absurde soit prise.

Selon Christian Morel, les décisions absurdes sont les conséquences d’une perte de sens par rapport à l’intention de départ d’une action. Il utilise la roue de Deming pour étudier les composantes de la perte de sens. Ainsi, la perte de sens s’explique par des carences majeures à chacune des 4 phases de la roue de Deming (plan, do, check et act).

La décision absurde : une opportunité ?

La perte de sens à l’origine de la décision absurde

La perte de sens peut s’expliquer par 4 dysfonctionnements majeurs. Le premier est celui du dysfonctionnement au niveau du contrôle de la conformité aux objectifs, c’est-à-dire que nous allons porter une plus grande attention sur des éléments secondaires au lieu de l’objectif final. Le second dysfonctionnement à prendre en compte est celui du transfert de la décision à un objectif quelconque. Nous allons par exemple communiquer à des cibles qui se trouvent être à l’exact opposé de celles que nous voulions au tout début lors de l’élaboration d’une stratégie de communication.

Constat a posteriori, remise en question… : un champ d’amélioration après la décision absurde

La décision absurde laisse assez rapidement imaginer des conséquences pouvant être négatives. Cependant, n’est-ce pas dans l’échec que l’on apprend le plus ? Nous partons du postulat qu’il en est ainsi. 

La décision absurde ne peut être reconnue comme telle qu’une fois effectuée, puis analysée. Au moment de cette phase de remise en question, ce moment où l’on se demande “pourquoi une telle décision a-t-elle été prise ?” et “comment aurait-on pu faire un meilleur choix ?” que s’ouvre un nouveau champ des possibles. Ce que la plupart des exemples énoncés par l’auteur dans la première partie de son ouvrage (notamment ceux concernant l’aéronautique) ont en commun est bien cela : l’opportunité de mieux faire. Il peut par exemple s’agir d’améliorer une procédure ou d’innover en termes d’outils de navigation.

Concrètement, comment peut-on mieux faire après une décision absurde ?

Malgré ce que l’on pourrait croire, les décisions absurdes ne mènent pas uniquement à des fins négatives, mais elles peuvent être une source de changement positifs à petite ou grande échelle. Au début de la pandémie, le gouvernement français s’est rapidement rendu compte que le choix qu’il avait fait jusqu’ici de favoriser l’importation à la production sur le territoire était en réalité absurde, alors même que nous avons le savoir-faire nécessaire en France pour concevoir ces mêmes produits importés. Une décision absurde qui a provoqué des pénuries au moment de la crise sanitaire (masques, gel hydroalcoolique, etc.). Heureusement, cela a rapidement été identifié et il a fallu peu de temps au gouvernement pour relocaliser cette production. De nombreuses entreprises comme L’Oréal ont adapté leurs machines à la fabrication de ces produits.

Un second exemple bien plus récent montre que les organisations peuvent innover. Toujours en 2020, en pleine pandémie, le directeur général de l’ARS Grand Est a souhaité la suppression d’une centaine de lits, ainsi que plus de 600 postes au CHU de Nancy. Ce qui est une décision complètement absurde au vu de la situation dans les hôpitaux à ce moment-là. Cependant, après un temps de réflexion de la part du directeur général de l’ARS Grand Est ainsi que les différentes réactions des politiques, il est décidé le 1er avril 2021 un ajout de 120 millions € au budget de cet hôpital ainsi que la création de 60 lits en réanimation.

Le terme de décision absurde, toujours négatif ?

Mais une décision absurde peut être salvatrice et se montrer désaliénant lors de la réussite. Prenons l’exemple de l’histoire vraie de l’amerrissage forcé du vol US Airways 1549 sur le fleuve Hudson, réussi par le pilote Chesley « Sully » Sullenberger en janvier 2009. Le film de Clint Eastwood “Sully” avec Tom Hanks, tiré de l’histoire vraie, met en lumière ce principe. Sully devient un héros alors qu’il va à l’encontre du protocole de navigation et de tous les ordres et conseils. Tandis que tout le monde affirme qu’il aurait eu le temps d’atterrir sur les pistes, il justifie sa décision “absurde” en prouvant à tout le monde que lors de la même situation il n’y avait pas d’autres solutions. Refusant d’exécuter les ordres de la tour de contrôle, il suit ce qui lui dicte son expérience en se plaçant du côté de la raison et de l’humain. Ce qui était tout le contraire dans les exemples que nous avons pu observer dans le livre de Christian Morel. En voulant à tout prix suivre les directives ou le protocole, cela mène à des décisions absurdes qui aboutissent à un échec. Alors que tout était voué à être une véritable catastrophe, il en devient un “miracle sur l’Hudson”.

C’est grâce à son esprit humain et non le fait d’être resté dans la “machine” aliénante du protocole et des règles à suivre à tout prix que la décision absurde devient alors salvatrice.

Auteurs : Mathilda Arias, Augustin Blin, Manon Dos Santos, Chloé Klijn, Luca Funaro

Acheter Les décisions absurdes Tome 1 : Sociologie des erreurs radicales et persistantes, Christian Morel, 2002

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Sources

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