« Vous ne trouverez dans ce livre aucune des théories ésotériques et des élucubrations alambiquées qui prennent la poussières sur les rayonnages universitaires » nous avertit Carmine Gallo (p. 7). Les secrets d’innovation de Steve Jobs sont en effet simples ! « Prétendre que ce livre va vous aider à devenir milliardaire comme Steve Jobs serait faire insulte à votre intelligence » (16). Nous voilà rassurés.
Les 7 principes pour penser autrement
…Font chacun l’objet d’un chapitre :
- Faites ce que vous aimez
- Ouvrez une brèche dans l’univers
- Stimulez votre cerveau
- Vendez du rêve, pas des produits
- Dites « non » mille fois s’il le faut
- Faites vivre une expérience à vos clients
- Faites passer vote message
Les secrets d’innovation de Steve Jobs…
- Narre l’histoire de Apple, de Steve Jobs, et pas seulement ses apports en matière de réflexion liée à l’innovation, mais aussi des exemples d’entreprises diverses, très souvent américaines (OK, il y a l’anglais Dyson !)… et pas forcément extrapolables en France (d’ailleurs qui, « au pays des fromages qui puent », connait Bill Strickland, cf. p. 40 ?) ; mais on en comprend toujours l’idée sous-jacente.
- Livre de bons exemples de fertilisation croisée (découvrez l’exemple du cuiseur à riz japonais et son impact sur la création d’un Mac, 107 !) et de vision stratégique, d’énonciation de cette vision et de son application (93 sq.). C. Gallo rappelle que « Kennedy ne vend pas un programme spatial, il offre la liberté face à l’oppression. En, 1983, Steve Jobs ne vend pas un ordinateur, il propose la liberté face à un univers dominé par IBM » (82). Sur le lancement Apple de 1984, cf. 82 sq.
- Aborde avec pertinence le concept de flagship store (214 sq.) que nous avons à cœur !
Le lecteur appréciera aussi les principaux conseils en tête de chapitre, le style et le découpage du livre ; ils dirigent la lecture, qui, ainsi, peut être rapide.
En somme, un livre motivant, rafraîchissant, qui nécessite une lecture transversale et complète afin de pouvoir saisir comment vendre une innovation.
Le marketeur regrette
Comme souvent, nous sommes (aussi) acides !
Nous avons tout d’abord regretté la tendance à l’hagiographie, à la mythification de Steve Jobs (9, 13, 16, 205…) et à l’érection d’une mécanique innovationnelle en archétype, sans réelle distance critique. Oublier que Steve Jobs a sa part d’ombre, est mettre de côté sa formation spirituelle bouddhiste dans laquelle l’éveil s’accompagne aussi d’échecs, d’incertitudes, de failles. Nous aurions aimé découvrir celles de Steve Jobs, non par voyeurisme, mais pour mieux comprendre le cheminement intellectuel du personnage au-delà de l’aspect messianique présenté par Carmine Gallo. A l’image de certaines piques lancées : les méthodes destinées à susciter l’innovation « me font penser, dit Jobs, à ces gens qui veulent avoir l’air cool alors qu’ils ne le sont pas. C’est laborieux… Comme quand Michael Dell essaie de danser » (11).
De plus, quelle a été la réaction de Jobs lors de son licenciement d’Apple ? Comment s’est-il reconstruit ?
Préciser que Steve Jobs « a la foi du vendeur dans le produit qu’il crée, la passion démesurée de l’évangélisateur, l’obsession du but à atteindre qui est propre au fanatique et la détermination de l’enfant pauvre à réussir dans la vie » (78) ne suffit pas… et plonge même le lecteur dans un pathos inutile (Jobs n’était pas un « enfant pauvre », il a été adopté, comme pourtant Carmine Gallo nous le précise ailleurs dans le livre).
Avancer que les salariés de Xerox « étaient doués pour concevoir des photocopieurs, mais ils n’avaient aucune idée de ce que pouvait faire un ordinateur » (70) oublie que Apple a repris à son compte une des innovations de Xerox : la souris (inventée en 1963) ! A tel point que, selon Wikipédia (même si ce passage manque de référence), « Jobs a convaincu les responsables de Xerox (…) de l’intérêt de laisser Apple « partager cette connaissance. Un accord est d’ailleurs signé, et Xerox investira un million de dollars en actions Apple ». Une sorte de cession de licence en somme.
Enfin, expliquer une chose par un point de vue unique me paraît réducteur et inquiétant. Ici pour Apple, là pour Google (Comment Google mangera le monde (2010), de Daniel Ichbiah ; La côté obscur de Google, de Ippolita), allant même jusqu’à reprendre dans le chapitre 1, « que ferait Steve Jobs », le titre La méthode Google : que ferait Google à votre place ?
, de Jeff Jarvis. Cela peut-il conduire à une sorte de « révisionnisme économique » ? Le flop du Newton n’est pas non plus abordé (185), tout comme l’absence de Flash sur les iPhone et iPad (202)…
Nous nous étonnons ensuite…
- De l’absence d’analyse stratégique, l’inspiration de Jobs servant à tout expliquer. Ainsi, rien sur la stratégie d’entreprise de Pixar (74 sq.), rien sur la tendance au monopole de Apple (140, 143…). Pas grand’ chose sur la lutte (puis l’alliance) contre (et avec) Microsoft (75 sq.).
- Du manque de parallèle avec d’autres raisonnements tout aussi intéressants que ceux de Steve Jobs. Nous invitons l’auteur à lire Disruption : briser les conventions et redessiner le marché
, de Jean-Marie Dru (118).
- De l’utilisation du terme « gens » (héritage de la traduction ?) peut choquer, surtout lorsqu’il est utilisé avec une relative condescendance : « Si un produit plaît à Jobs et ses collaborateurs, il plaira vraisemblablement à une multitude de gens à l’extérieur de l’entreprise, suffisamment pour assurer sa popularité et sa rentabilité » (138). Approche d’ailleurs bissée p. 151 : « ce qui marche pour lui marchera tout autant pour les clients d’Apple ». Fatiguant.
Pour terminer, nous relevons des absences assez classiques dans les ouvrages de marketing :
- Les citations non sourcées en tête de chapitre
- Les paragraphes auto promotionnels (56, 251)
- Des répétitions (74, 246, 259…)
En conclusion, je vous laisse méditer les « phrases qui tuent » :
- « Si Jobs n’avait pas suivi de cours de calligraphie, votre vie serait sans doute différente » (29).
- « Nous n’avons pas besoin de consultants. Nous cherchons simplement à fabriquer des produits géniaux » (136)
… et je lance un troll en m’appuyant sur cette citation (16) : « cet homme est une légende vivante, qui a sa place dans l’histoire ». D’accord ? Pas d’accord ?
Acheter : Les secrets d’innovation de Steve Jobs : 7 principes pour penser autrement
Innovation, créativité… à lire aussi…
Sur la Steve Jobs mania
- Les 4 vies de Steve Jobs
, de Daniel Ichbiah
- Les secrets de présentations de Steve Jobs
, de Carmine Gallo
Sur Richard Branson, de Virgin, autre créatif et innovateur :
- Réussir… et après
, de Richard Branson (Virgin, donc), sachant que Virgin n’est pas abordé dans l’ouvrage que nous venons de chroniquer. Tiens, querelle d’école ?
- Richard Branson : 10 leçons iconoclastes pour réussir
, par Desmond Dearlove (cela sent le pseudo !)
Deux chefs d’entreprises
- Ma vie de patron : Le plus grand industriel américain raconte
, de Jack Welch (General Electric)
- Comment Carlos Ghosn a sauvé Nissan
, de David Magee. Cette magie perdure-t-elle ? Les idées mentionnées dans cet ouvrage sont-elles pérennes ? Quel sens leur donner à l’aune de l’actualité chez Renault ?
Le flop des libraires
- Tout ce qu’on ne m’a pas appris à l’école
, de Alain Cayzac. Je ne crois pas que Ockrent l’ait lu. Ni conseillé.


Thierry Guichard
5 août 2011 à 11:32
comme souvent dans ce genre d’ouvrage, tout est dit dans les titres des chapitres. Et c’est d’ailleurs probablement ici tout ce qui mérite d’être retenu. Le reste n’étant que fleuriture, dissertation, et autres embellissements pour faire de simples concepts, qui ont sans doute fait leurs preuves, un livre qui puisse se vendre.
Prax
12 septembre 2011 à 14:24
On ne naît pas « héros » ou « innovateur », on le devient a posteriori, une fois qu’on a réussi. Sinon on reste « imposteur » ; en fait c’est la même personne, le héros et l’imposteur, simplement des conditions souvent exogènes, (le hasard, des rencontres) ont fait la différence. Après coup, quand on interroge Steve Jobs sur les raisons de son succès, il « reconstruit » une histoire qui donne du sens (Paul Ricoeur appelle cela « l’identité narrative ») : arrêter ses études et suivre un cours de typographie… Mais ce storytelling n’a pour but que de rassurer nos esprits positivistes, il n’y a aucune transférabilité, pas de modèle reproductible, simplement l’histoire d’une vie extraordinaire. Le malheur c’est quand, ensuite, chaque maire de France veut créer sa « Silicon Valley »…
s9700
15 août 2012 à 16:39
Effectivement,
Apple a révolutionné les polices de caractère .
Elles sont très lisibles, fluides, reposantes.
Peu d équivalent hors Apple et bien longtemps après. C est un problème qui m à préoccupe pdt 10 ans : confort visuel
Et les cours de calligraphie de steve jobs y sont sûrement pr quelque chose !
Personne n à traité ce problème majeur avant apple avec 15 ans d avance.
C est un livre traduit de l américain
Il n y a pas de volonté d être exhaustif, donc ce qui n à pas valeur ajoutée : business plan, n est pas indiqué . SJ devait sûrement traiter ce volet, Apple n en serait pas la sinon.
Pourquoi critiquer, alors qu il y a quelques bonnes idées et pistes à creuser avec un autre regard.
s9700
15 août 2012 à 16:45
Et pour répondre à prax :
L histoire de steve jobs est exceptionnelle quand on suit depuis le début (comme moi).
Il crée Apple, va chercher sculley, se faut virer, créé next, est rappelle par apple, …. Avec des hauts et des bas et une évolution constante. Et une très grave maladie.
À posteriori, on lit des lignes de force, des façons de faire et de penser, on dégage l essentiel.