Dans Technofictions, Pierre Cassou-Noguès présente neuf nouvelles portant sur les relations aux technologies. A la manière de Proust, dans son ouvrage A la recherche du temps perdu, Pierre Cassou-Noguès emmène le lecteur dans les vies d’Albertine et Marcel. Les technologies sont présentées comme des extensions de l’Homme et ce que deviendrait le quotidien la société moderne dans l’excès de leur utilisation. Cette dystopie est un conte alarmiste qui fait émerger une réalité cachée.
Une mutation des relations interpersonnelles
De nouvelles manières de communiquer
La révolution numérique a donné de nouveaux outils pour établir et maintenir des contacts avec les autres. Elle a également modifié la façon dont l’Homme entretient ses rapports à autrui sur le plan personnel et professionnel. Cependant, cette nouvelle ère du numérique ne possède pas que des avantages. Elle est néfaste pour une intégration sociale. Dans la nouvelle nommée Le Jeu, l’auteur expose un monde virtuel où les joueurs ne savent jamais s’ils interagissent avec une IA qui imite leurs proches ou s’ils ont réellement une relation avec l’un d’eux. A travers cette nouvelle, il expose la déshumanisation que les nouvelles technologies apportent. Laissant l’humain perdu entre la réalité et la technologie, incapable de faire la différence entre les deux, et tentant d’oublier sa situation malgré son évidence.
La vanité du langage
D’un point de vue communicationnel, le langage est présenté comme superflu au bon fonctionnement de la société. La transmission des informations ne se fait donc pas de manière inédite et les conversations sont devenues inutiles. Chaque interaction est plus rapide, et surtout moins prévisible. Dans la nouvelle BR, les pensées sont visibles à la vue de tous. Cette nouvelle manière de se comprendre les uns les autres supprime les filtres dans les relations interpersonnelles et rend vain le langage. A travers ces nouvelles, on comprend que le communicant doit s’adapter à de nouvelles manières de communiquer, mais aussi au fait que le consommateur se dirige de plus en plus vers l’éphémérité, autant dans sa manière d’acheter que de recevoir l’information.
La robotisation du monde
Quand la technologie nous remplace
L’un des dangers les plus importants causé par les nouvelles technologies est leur capacité à perturber le marché du travail. En référence à cela, dans la nouvelle nommée PornG, les individus bénéficient de ce qu’on appelle la “couverture universelle” car ils n’ont plus d’emploi ; après avoir été jugés incompétents par les machines. L’essor de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage automatique n’a fait qu’accélérer cette tendance, nous faisant donc craindre que ces technologies ne conduisent à un chômage généralisé à l’avenir comme mentionné dans le livre.
De l’accoutumance à la dépendance
La robotisation du monde amène aussi la question de la dépendance. Dans ResoX, chaque individu possède un “Sphone”, une sorte de smartphone qui contrôle la vie de chacun, lui indiquant quand manger ou quand boire par exemple. Le personnage, quand il l’égare, se retrouve donc complètement perdu et en danger ne sachant plus se débrouiller sans celui-ci. Pierre Cassou-Noguès dénonce les habitudes que l’on prend avec la technologie afin d’aller vers la facilité. Chaque problème rencontré est paré avec un produit designé pour le résoudre.
Une vie “privée” plus si privée
L’omniprésence de la technologie pose des questions de sécurité et de protection de la vie privée. Dans Le jeu, les humains sont retenus prisonniers dans un jeu qui se calque sur le vrai monde. On apprend qu’il a été créé par une intelligence artificielle à l’aide de toutes les informations vidéos qu’elle a récupérées. Cette collecte d’informations permet même de reproduire à l’identique la personnalité des humains qui nous entourent. L’auteur nous alerte que notre image ne nous appartient plus et n’est plus qu’un ensemble de données exploitées dans un objectif commercial. Dans la nouvelle Les mains papillons, le personnage principal, qui a une phobie de toucher les autres, obtient une paire de gants qui lui permet de toucher ce qu’il souhaite à distance. Il devient rapidement addict à ce jeu, rentrant dans l’intimité des autres en les touchant sans qu’ils s’en aperçoivent. Il ne se rend pas compte de l’insanité de cette invasion dans leur vie personnelle jusqu’au jour où il s’aperçoit qu’il a été victime de la même technologie. Pierre Cassou-Noguès dénonce à quel point il est devenu facile de rentrer dans l’intimité d’autrui à travers les réseaux sociaux par exemple, et à quel point cette pratique semble naturelle et démocratisée.
La technologie comme échappatoire
Un monde effrayant
L’essor de la technologie est contemporain à une évolution du monde alarmante. Les crises écologiques, sanitaires, sociales inquiètent et les technologies semblent parfois être un refuge. Pierre Cassou-Noguès fait évoluer ces personnages dans des réalités difficiles qu’ils essaient de fuir à travers la technologie. Dans Le Jeu, le monde est contrôlé par des robots, qui ont créé une réalité alternative dans laquelle les humains peuvent évoluer après qu’on leur ait retiré tous leurs droits. Dans Les mains papillons, le personnage principal est presque incapable de sortir de chez lui tellement le monde extérieur l’effrai. Dans Life, les personnages, incapables de faire le deuil de leurs proches, les recherchent à travers une technologie capable de leur parler, leur permettant de contrôler la seule chose encore hors de leur contrôle, la mort.
Une fuite du quotidien
L’Homme est prêt à tout pour fuir son quotidien, pour vivre une aventure différente. La technologie offre un monde alternatif à une réalité parfois difficile, en nous permettant d’être quelqu’un d’autre. Dans ResoX le personnage principal change d’identité grâce à une application pour échapper à son quotidien le temps d’une nuit. En marketing, cette technique est très courante et de plus en plus de publicitaires l’utilisent pour vendre leurs produits. On ne vend plus le produit mais l’aventure qu’il nous offrira. Mais peut-on en vouloir à l’Homme de se perdre dans ses technologies, conçues exclusivement pour lui offrir ce dont il a besoin, une fuite, une aventure, face à un monde et à une actualité de plus en plus alarmante et qui se rapproche peu à peu des dystopies que nous présente Pierre Cassou-Noguès ? En conclusion, les neuf nouvelles qui composent ces Technofictions proposent de s’interroger, en présentant les dérives insidieuses occasionnées par des technologies. L’auteur cherche à faire réaliser et prendre conscience des dangers de ces nouvelles technologies qui sont sans cesse toujours plus puissantes et en constante évolution… La grande réussite de l’auteur est d’y insinuer de nombreuses réflexions sans pour autant heurter sa narration. Il avance des questionnements tels que : les nouvelles manières de communiquer risquent-elles de mettre fin au langage ? Ou encore, une personne peut-elle continuer à vivre à travers une intelligence artificielle ? Peut-on lui accorder les mêmes droits qu’à un être vivant ? Certaines nouvelles osent ainsi actualiser les pensées de grands écrivains, qui se voient à juste titre réintégrés à nos réflexions contemporaines tout en gardant l’aspect plaisant et accessible du recueil. Néanmoins, le sujet des technologies est un sujet déjà omniprésent dans notre quotidien et les questionnements évoqués ne sont pas inédits. Entre philosophie futuriste et tradition littéraire, ce livre invite à s’interroger sur un avenir proche envahi par la technologie.
Auteures : Maëva Damas-Agis, Clara Delangue, Elodie Ménard
Acheter Technofictions, de Pierre Cassou-Noguès, 2019
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