Quelle est la perception de la « surveillance au travail » par les surveillés que sont les salariés ? Principaux enseignement d’une étude GetApp 2020.
Périmètre de la surveillance des employés
La surveillance au travail consiste à obtenir l’accès aux données générées par un employé sur du matériel de l’entreprise, le plus souvent par le biais d’un ordinateur et les applications utilisées ou à filmer un espace de travail via la vidéosurveillance. La collecte de telles données peut servir, entre autres, à assurer la sécurité de l’entreprise et/ou de ses effectifs, à suivre le temps de présence ou encore à évaluer la productivité d’une personne.
Ces objectifs renvoient à divers procédés de surveillance des employés précisément listés par Droit Travail France :
- Vidéosurveillance
- Surveillance téléphonique
- Surveillance informatique
- Contrôle d’Internet
- Contrôle de la messagerie électronique
- Consultation des documents de travail
Sur le terrain, la surveillance des salariés concerne des sujets plus vastes, plus précisément…
- Activité sur l’ordinateur : suivi du temps, historique du navigateur, mouvements de la souris, enregistrement des frappes au clavier.
- Présence : heures de connexion/déconnexion, heures de travail, heures supplémentaires.
- Espace de travail : surveillance par webcam, captures d’écran.
- Charge de travail : gestion du temps, listes des tâches, emploi du temps, objectifs et indicateurs clés de performance.
- Communication numérique : e-mails, messagerie instantanée, visioconférence.
- Conversations audio : utilisation du téléphone.
- Emplacement : GPS, suivi du véhicule.
- Réseaux sociaux : utilisation des comptes personnels et de l’entreprise.
La surveillance s’applique donc à des aspects très concrets de la vie professionnelle, qu’il s’agisse par exemple des horaires de travail ou de l’historique de navigation.
Rappelons que l’employeur a l’obligation d’informer ses employés de la finalité des moyens mis en place, ainsi qu’effectuer une déclaration auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Dans le cas contraire, l’utilisation de tels outils est illicite, et toute action entreprise à la suite de l’utilisation de données (un licenciement, par exemple) pourrait être irrecevable. Pourtant, 16 % des personnes interrogées n’ont signé aucun accord pour des pratiques de surveillance…
Voici les aspects pour lesquels les répondants surveillés ont explicitement donné leur accord (c’est-à-dire, ont reçu et approuvé un document les en informant) :
Surveillance en demi-teinte dans les PME
Sur 1 309 répondants à l’étude GetApp, 45 % travaillent dans une entreprise qui utilise des outils de surveillance des employés. 20 % affirment que cette surveillance a commencé depuis la crise, tendance que l’on peut inscrire dans le développement rapide du télétravail.
Parmi les répondants dont l’entreprise a investi dans des outils de surveillance, ils sont 74 % à surveiller d’autres employés. D’un autre côté, 66 % des répondants, qu’ils soient de niveau intermédiaire ou manager, sont surveillés par un supérieur hiérarchique (certains sont à la fois surveillés et surveillants).
La perception de la contrainte de la surveillance et de son impact sur le management est variable :
La surveillance des salariés est perçue comme “plutôt positive” par 26 % des répondants et comme “plutôt négative” par 28 % des répondants, 29 % d’entre eux s’avouent indécis sur la question. Cela montre que la surveillance a non seulement besoin d’être implémentée de manière judicieuse, mais doit également être expliquée. En somme, la surveillance des salariés est un sujet de communication.
Syndrome de Stockholm en gestation ?
Lorsque l’on leur demande s’ils souhaiteraient ne pas ou ne plus être surveillés si l’occasion leur était présentée, une majorité de répondants répond instinctivement par l’affirmative.
Les principales raisons invoquées sont la perception d’une infantilisation et d’un manque de confiance, une augmentation du stress au travail, la crainte de l’intrusion dans la vie privée, le manque de liberté quant à l’organisation personnelle.
Globalement, ces répondants tendent à penser que la confiance serait renforcée sans la surveillance.
Quant aux personnes interrogées qui souhaiteraient continuer à être surveillées, les raisons qui reviennent le plus souvent évoquent la sécurité (à travers la vidéosurveillance), une confiance mutuelle grâce aux preuves tangibles que le travail est réalisé (et par là-même jouer en faveur du télétravail), une motivation pour fournir des résultats ou les dépasser, et la prise en compte des heures supplémentaires.
Ces répondants affirment que la surveillance garantit au contraire un climat de confiance.
Alors comment s’assurer que la surveillance, une fois les intentions établies et justifiées, crée une relation de confiance entre toutes les parties prenantes ?
Transparence + confiance = acceptation de la surveillance ?
Une clé se trouve entre autres dans une communication transparente. Une politique claire doit être présentée : celle-ci devrait exposer les mesures prises et les résultats que l’on souhaite obtenir par cette voie.
Les pratiques de surveillance ne devraient en outre pas être « gravées dans le marbre » mais révisées plusieurs fois par an afin d’en évaluer la pertinence et l’impact sur les salariés.
Sans cela, les effectifs risquent d’imaginer « le pire » et de rejeter l’idée en bloc.
Loin de vouloir simplement obtenir une approbation résignée de la part des employés, l’étude affirme qu’il faut au contraire exposer les avantages dont ils peuvent bénéficier. Si les résultats attendus participent à une meilleure expérience employée, ceux-ci devraient être communiqués.
Une surveillance « utile » (mais à qui ?)
En plus de garantir une utilisation correcte et sécurisée des outils de l’entreprise, certains aspects de la surveillance peuvent apporter une satisfaction toute particulière aux salariés.
C’est le cas des horaires qui prouvent sans ambiguïté les heures travaillées. C’est d’ailleurs l’aspect jugé le plus “utile” par 44 % des répondants :
Autre exemple, la charge de travail peut être plus “visible” et permettre une meilleure répartition des tâches au sein de l’équipe.
Malgré le sentiment d’infantilisation, la surveillance est perçue comme un atout pour les raisons suivantes :
- 51 % considèrent que les heures travaillées ou les heures supplémentaires peuvent être plus facilement prises en compte par l’employeur.
- 40 % estiment que les managers peuvent aider à optimiser le temps de travail et à répartir les tâches selon la charge de travail de chacun (précisons que surveiller n’est pas monitorer…)
- 31 % pensent que l’employeur peut obtenir un meilleur aperçu des opérations quotidiennes réalisées au sein de l’entreprise
- 28 % pensent que l’employeur peut avoir plus de visibilité sur la productivité ou rentabilité de chaque employé.
Stress des salariés et intrusion dans leur vie privée
Parmi les réticences face à la surveillance qui peuvent ressenties autant par les employés que par les employeurs, les plus évoquées sont les suivantes :
De fait, certaines pratiques existantes doivent être encadrées et utilisées à bon escient. Par exemple, l’enregistrement vidéo d’un écran ne devrait servir que dans le cadre d’une formation, afin de respecter tout ce qui relève de la vie privée (mots de passe ou correspondance personnelle, par exemple).
Entre outre, le Règlement général sur la protection des données (RGPD), adopté en mars 2018, encadre strictement le traitement des données personnelles. Dans le monde professionnel, certains aspects de la surveillance répondent à des exigences précises ; ceux-ci sont détaillés sur le site de la CNIL.
Certaines finalités sont plus sujettes à interprétation, comme la productivité, et devraient répondre à un jugement proportionné. Le temps passé sur une application n’est pas nécessairement synonyme de meilleur rendement. Une analyse d’autres indicateurs doit être considérée afin d’évaluer de manière pertinente le travail d’une personne.
Dans le cas par exemple de la capture d’écran à distance, celle-ci est considérée selon la CNIL comme « susceptible de n’être ni pertinente ni proportionnée, puisqu’il s’agit d’une image figée d’une action isolée de l’employé, qui ne reflète pas fidèlement son travail. » Il en va de même pour le keylogger.
Le style de management doit donc évoluer et ne peut pas se contenter des outils pour scruter les faits et gestes par simple manque de confiance.
Selon GetApp, si les abus existent et sont un risque, ils ne sont cependant pas une fatalité et la surveillance répond à des règles très strictes, dont celles du RGPD. La collecte de données doit être légale, en plus de répondre à des objectifs clairement définis.
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Méthodologie de l’enquête
Pour recueillir ces données, GetApp a interrogé 1 418 professionnels répartis en 1 309 employés (postes intermédiaires et middle management) et 269 profils seniors et de direction. Le sondage a été mené du 13 au 17 novembre 2020. Les répondants devaient être âgés de plus de 18 ans, résider en France, et leur situation professionnelle devait être active. Voici le profil de nos répondants : travailleur à temps plein (83 %) ou temps partiel (17 %). Ils sont issus de divers secteurs d’activité. Le nombre de répondants varie d’une question à l’autre selon leurs réponses apportées aux questions précédentes. Ainsi, les entreprises interrogées peuvent faire de la surveillance en présentiel ou en télétravail. Certains postes se retrouvent dans la catégorie “surveillant” ou “surveillé”, et certains autres dans les deux catégories à la fois.
(c) Illustration in text : GetApp, têtière DepositPhotos