Jérome Delaveau, comment entrer en conversation ?
« Lorsque l’on parle d’Internet aujourd’hui, cela ressemble généralement à ça : web 2.0, communautés, conversations, débats, participation, commentaires, partage, vidéo, blogs, Facebook, Youtube, Twitter….
Alors que les internautes se sont emparés de la conversation il y a plus de 10 ans en se rassemblant sur les newsgroups, les forums de discussion, les blogs et les réseaux sociaux, les marques et les entreprises sont majoritairement dans le même temps restées silencieuses.
Toutefois, elles semblent aujourd’hui avoir pris conscience de l’enjeu de passer du monologue publicitaire au dialogue, et multiplient les initiatives participatives, avec plus ou moins de succès. »
Alors, comment entrer en conversation ? Interview de Jérôme Delaveau, directeur général de Human to Human.
La conversation, ne suppose-t-elle pas, au préalable, une profonde réflexion sur la marque, les publics visés, en somme la stratégie ?
Conversation ou dialogue, les termes induisent naturellement l’écoute de ses interlocuteurs. Une écoute qui s’impose également en préalable à tout dispositif conversationnel. La veille de l’opinion est encore bien souvent à l’origine de la mise en place du dispositif, dans la mesure ou elle révèle une demande de reconnaissance de la part des clients, des collaborateurs ou de citoyens impliqués.
Et si l’initiative participative est impulsée par la marque, cette dernière ne peut s’affranchir d’une écoute attentive des publics. Qui sont aujourd’hui les contributeurs actifs s’exprimant sur ma marque, mes produits ou mes services ? Quels sont leurs préoccupations actuelles ou leurs centres d’intérêts ? Une prise en considération indispensable pour le positionnement et la promesse associée au dispositif participatif. Si toutes les marques, entreprises et institutions sont légitimes pour intervenir dans les conversations les concernant, encore faut-il que le débat existe… et que l’espace de dialogue ne devienne pas un « défouloir » rassemblant un flot de critiques non constructives.
Quelles sont les grandes règles pour « rentrer en conversation » ?
Deux approches pour entrer en conversation : soit, aller à la rencontre de ses publics, soit, inviter les publics à échanger chez soi. La première regroupe les stratégies de e.RP et de présence sur les médias sociaux, la seconde repose sur la mise en place de plateformes de suggestions et de co-construction.
En premier lieu, et quelque soit l’approche choisie, l’écoute, pour prendre le pouls de l’opinion publique en ligne, s’impose comme préalable à la conversation.
Dans le cadre d’une stratégie d’e.RP et de présence sur les médias sociaux
1. Exister, créer ou réserver sont profil communautaire
Quel est le point commun entre Audi, Areva, Bouygues, Evian, Levi’s, Nike, Nivea,… ? Toutes ces marques se sont fait twittersquatter. Si la démarche n’a pas une finalité rémunératrice comme pouvait l’être le cybersquatting de noms de domaine, les nuisances sont possibles et il est recommandé à minima de réserver son profil communautaire sur les différents médias sociaux.
2. Incarner, humaniser et authentifier la prise de parole
Après les community managers, les « Social media manager » ou Responsables nouveaux Médias, semblent promis à un bel avenir. Derrière chaque communiqué de presse ou profil de média social, il y a un individu. Et lorsque ce dernier se « cache » derrière une marque institutionnelle, cela réduit l’authenticité et la transparence auxquelles les internautes sont habitués dans le web 2.0.
Ainsi, Andrew P. Wilson (http://twitter.com/andrewpwilson) anime le twitter du département de la santé et de la sécurité sanitaire américain en tant que responsable nouveaux médias. De la même manière, Dell met en visibilité le profil des animateurs de chacun de ses comptes officiels sur twitter.
3. Stratifier, tenir compte des spécificités de chaque média social
« La question n’est pas d’ « avoir un blog », d’ « être sur Youtube » ou de « twitter », mais bien de comprendre comment ces technologies peuvent être utilisées à leur plein potentiel, et de savoir quel outil doit être utilisé dans quel objectif.» (Wandrenpd.com, 15/01/2009)
Les démarches plébiscitées par les internautes sont celles qui s’intègrent dans une stratégie cohérente, qui va au-delà de l’utilisation isolée d’un outil archétypal du web 2.0
4. S’adapter, changer de posture
Certainement la règle la plus difficile à appliquer, dans la mesure où elle nécessite une remise en cause des schémas traditionnels de communication.
Ainsi, sur les médias sociaux, la prise de parole doit être :
– Multimedia : Oubliez les conventionnels dossiers de presse institutionnels. Il convient d’adapter les contenus : des formats plus courts, privilégiant lesformats audios, photos ou vidéos, et une adaptation du wording pour s’assurer du bon référencement de la prise de parole. Pourquoi parler de« droit d’accueil des élèves dans les écoles » lorsque tout le monde parle en ligne du SMA, ou service minimum d’accueil ?
– Humaine et authentique, d’où la nécessité d’incarner la prise de parole
– Spontanée, ce qui impose généralement de revoir les circuits de validation interne en place
– Orientée client, et non orientée produit, légitimant l’écoute en amont des sujets de préoccupations ou centres d’intérêts des internautes
Dans le cadre de la mise en place d’une plateforme participative
Au vu de notre expérience dans la mise en place de plateformes participatives, 4 grandes règles émergent.
1. Adapter la conception éditoriale et les fonctionnalités participatives pour canaliser les opinions négatives. Ainsi, plutôt que d’inviter l’internaute à « poster son message », on préfèrera qu’il « propose son idée », ou « publie sa suggestion »
2. Assurer la mise à niveau des connaissances des contributeurs pour favoriser une participation de qualité. Il convient ainsi d’intégrer un module d’information didactique et pédagogique permettant à chaque contributeur de se mettre à niveau
3. Soigner la rédaction de la charte d’utilisation pour faciliter la modération du site participatif
4. Témoigner de l’écoute des contributeurs pour éviter la perception d’une simple opération de communication.
La co-construction, la co-création, nouvelle richesse pour les marques ou nouvelle oppression d’un consommateur créateur bénévole ?
Laboratoire d’insight permettant aux marques d’identifier et d’objectiver les attentes le leurs publics, la participation sur les plateformes de suggestion est libre et s’inscrit dans une démarche volontaire et spontanée des contributeurs. Si les dispositifs en accès restreint tels que le lab Orange ou la Fabrique RATP prévoient de récompenser les membres les plus impliqués, les plateformes participatives en libre accès valorisent les contributeurs les plus actifs par une simple mise en visibilité sous forme de palmarès. Une démarche toujours bien accueillie par les participants, lesquels attendent prioritairement en contrepartie de leur participation, une écoute et une prise en considération par la marque de leurs suggestions.
Quels sont les coûts cachés liés à la conversation (coûts techniques & licences, modération…) ? Est-ce un frein lors de vos propositions d’intervention aux annonceurs ?
Les différentes solutions logicielles disponibles sur le marché, commercialisées notamment en location mensuelle, permettent désormais d’envisager la mise en place d’un dispositif participatif, même sur une courte durée.
Plus que des coûts cachés, c’est davantage l’investissement temps des ressources internes dédiées à produire les réponses aux suggestions des contributeurs qui est parfois sous-estimé par les entreprises.
Comment mesurer l’impact des conversations ? … mais aussi que mesurer ?
Les indicateurs de fréquentation du site, d’activité (nombre d’inscrits, de contributeurs, de suggestions, votes, commentaires) et de participation (taux d’inscription, taux de participation, ratio de suggestion,..), ainsi que le décryptage de la médiatisation de l’initiative sont généralement utilisé pour évaluer la performance du dispositif participatif.
Plus qu’une simple opération de communication, s’engager dans la conversation relève d’une véritable démarche d’entreprise. Entrer en conversation impacte fortement sa stratégie d’information et de communication.
L’impact des conversations se lit naturellement au filtre de la prise en compte effective des suggestions des contributeurs. Ainsi, le Dell idea Storm s’est imposé comme la référence des plateformes de suggestions après que Dell ait concrétisé la demande largement exprimée d’une pré-installation d’une distribution Linux sur ses PC.
Mais, sans forcément donner une suite favorable à une proposition des internautes, les conversations amènent l’entreprise à prendre officiellement position sur des sujets parfois sensibles.
En conclusion…
Jérôme Delaveau conclut que « Les marques peuvent continuer d’ignorer les conversations… Les débats continueront sans elles, modelant la perception que les publics ont d’elles sans leur contribution. Elles manquent seulement une nouvelle opportunité de communiquer, de faire entendre leur voix, de se joindre à une conversation qui existe déjà… avec ou sans elles.
Comme le proclamait David Weinberger il y a 10 ans déjà : « Les marchés sont des conversations ! les entreprises qui ne comprennent pas que leur marché sont désormais constitués d’individus interconnectés passent à côté de leur meilleure chance » (Cluetrain Manifesto, 1999). »
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Notre interviewé : Jérôme Delaveau, directeur général de Human to Human.