Une Peugeot 406 perchée sur un poteau et transformée en lampadaire. Je me place dessous et s’ouvre un monde parallèle dans lequel les voitures volent. La voiture est retournée et pourtant c’est moi qui retourne en enfance. Mon monde est détourné et je me sens nostalgique.
Lors de l’édition 2019 des Extatiques, Beneditto Bufalino reconduit La voiture sur le lampadaire à La Défense. Artiste habitué au grand air qui est son aire de jeux favorite.
Selon notre âge, notre perception des échelles de grandeur est différente, se dilate, s’étend ou vice versa. Notre petit modèle de voiture n’est plus assez grand pour nous. Tout comme le ferait un enfant, ici il altère la fonction, l’utilisation de la voiture. Puis, il l’abandonne renversée, figée en l’air, pour aller jouer avec un autre jouet.
Corben Dallas et son taxi volant sont dans un futur qui appartient à mon passé
Un vieux modèle de voiture qui vole devant un bâtiment qui s’appelle Spaces. Je revis, retrouve et repense à mes vieilles références de science-fiction. Les années 80’s et 90’s, Men in Black, les films futuristes qui prédisaient que nous circulerions dans les airs, le millénaire passé. J’y vois un portail vers mon passé. Mais tout comme l’œuvre, je ne peux pas l’atteindre. Seulement le contempler. Cette nostalgie me rappelle mon insouciance, mon ignorance et mon imagination vierge de connaissances qui brouillent aujourd’hui ma vision. Reconnaître cette œuvre, ou plutôt retrouver ses sensations à travers elle, me fait languir ce temps. À l’image d’un biais cognitif, la nostalgie est un sentiment puissant qui noie le présent et nous pousse à tendre la main vers l’avant (avant). Chacun la ressent et c’est pourquoi il est si simple de solliciter ce sentiment dans le quotidien. Les marques s’en servent continuellement, renouvellent avec le vieux. La voiture à l’envers, me fait repenser au phénomène Stranger Things. Série créée pour les nostalgiques, par des nostalgiques. Des enseignes telles que Coca Cola ou H&M avaient saisi l’occasion pour convertir les néophytes et reconvertir ceux qui s’en souviennent.
On détourne, retourne l’ancien pour faire du neuf. Tout comme Benedetto et son monde parallèle, toujours au-dessus de moi.
Qui n’a pas d’objet détourné chez soi qui pose question pour l’Autre ?
Je me sers d’un masque Jafar pour tamiser la lumière de ma lampe de chevet. Et vous?
Détourner les objets, changer le connu, tromper le sachant. Une voiture, ça sert à transporter, voyager. Les phares illuminent les routes brièvement. Pourtant celle-ci est comme figée dans le temps et illumine les passants sans bouger. Un objet, plusieurs utilités, plusieurs fonctions. Mais une seule nous vient à l’esprit. Contrairement à Benedetto et ces autres artistes, créatifs, qui ont ouvert les portails vers d’autres mondes et ont élargi leur vision. Plusieurs sentiments font surface. L’inconfort face à l’inconnu, à l’absurde. L’œuvre et son univers changent ma perspective et déforme ce que je connais. Une invitation à un défi, résoudre une énigme, se challenger. Tourner et retourner mon cerveau pour trouver la solution. Les marques l’utilisent tout autant que la nostalgie. Taquiner les esprits et stimuler les imaginations. La curiosité et l’excitation ressenties par ceux qui ont choisi de s’y intéresser. Tout se détourne et les détournements se font détourner. Une voiture est renversée pour une exposition et devient une œuvre. Une marque détourne une œuvre pour en faire une campagne de publicité. Internet s’approprie ce contenu publicitaire et en crée des mèmes.
Encore une fois, nous utilisons le vieux pour faire du neuf. Nous utilisons les références populaires pour en fabriquer de nouvelles. Une vieille Peugeot 406 se transforme en lampadaire.
Et ainsi, le monde parallèle qui s’ouvrait au-dessus de moi fusionne avec le mien.
La nostalgie et le détournement mettent en conflit deux espaces-temps. Cela nous pousse à nous plonger dans nos esprits et phosphorer en oubliant le réel. Efficace et simple, ces deux concepts sont souvent utilisés pour des campagnes de communication et de marketing. Certains les qualifient de faciles. Peut-être. Mais l’enjeu principal de ces deux concepts se retrouve dans les idées créatives. A nous de sortir du brouillard et d’ouvrir le bon portail.
Auteure : Jessica Ballon
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(c) Photo in text https://parisladefense.com/fr/decouvrir/oeuvres-art/la-voiture-sur-le-lampadaire