Attablé avec des amis, l’un d’eux me lance « de toute façon vous, la com’ c’est que des bullshit job ». Passant outre son niveau d’anglais que je n’imaginais pas si élevé, la remarque et ses effluves m’arrivent en pleine figure.
Alors que ma tête tourne, que mes sens s’agitent, qu’une envie de rendre la planche à 20€ partagée plus tôt se fait de plus en plus pressante : patatras je m’écroule.
C’est en me réveillant le lendemain que je comprends la cause de mon malaise : le TGV – pour Tequila Gin Vodka – après la planche était de trop.
Réunissant mes forces je me m’aperçois que résonne en moi comme un écho : bullshit job… bullshit job…. bullshit job…
Et soudain l’illumination : mon boulot n’a pas de sens, ma vie n’a pas de sens, il y a très peu de chance que 42 soit la réponse à la vie. Me sentant vaciller de nouveau, je décide de mener mon enquête.
Qu’est ce qu’un bullshit job, pourquoi cette sur-utilisation du terme, mon travail a-t-il un sens et finalement pourquoi les planches de charcuterie sont si chères ?
Reconnaissance dans et par le travail
Bullshit job est donc le terme anglo-saxon signifiant non pas « travail de caca de taureau » mais bien « travail à la con ». Terme inventé par David Graeber, anthropologue américain en 2013 avec son article Le phénomène des jobs à la con [1]
L’article a été une bombe, traduit dans une quinzaine de langues. Il a été le déclencheur d’une vague de démission un peu partout en Europe.
Si pour Marx le travail est socialement nécessaire, il apparaît pour Graeber que tous ne se valent pas.
9 ans plus tard le mot est tordu, sur-utilisé, galvaudé.
De postes à la con sur son lieu de travail, on passe à des posts à la con sur LinkedIn, des textes vides écrits par des travailleurs avec beaucoup de temps libre.
Ce mot interroge alors à la fois sur l’idée d’utilité et de reconnaissance dans son travail.
Ce que je fais est-il vraiment utile à la société ? Suis-je reconnu pour mon travail ?
Ces questions, nous ont tous traversé au moins une fois l’esprit…
Et si c’était à nous de donner du sens à nos jobs ? D’aller chercher la reconnaissance que l’on mérite auprès de ceux qui la délivrent ?
D’après une une étude menée en France en 2022 plus de 4 actifs sur 10 songent à se tourner vers un métier plus porteur de sens.
La recherche d’utilité au travail est criante.
Nicolas Kayser-Bril, auteur d’un livre sur les bullshitjobs explique « l’importance du travail est si grande qu’elle a totalement éclipsé son intérêt ».
A l’heure des reconversions professionnelles et dans une ère post confinement la réalisation a été brutale. Avec des nouveaux jobs créés tous les ans, il n’est pas simple d’éviter celui qui ne contient rien.
Extraction dans le bon sens
Gilles Lipovetsky dans Le bonheur paradoxal explique que « le souhait premier de l’individu hyper-moderne n’est pas tant la performance au travail mais plutôt de se sentir bien dans son environnement professionnel, de travailler dans un cadre respectueux des personnes et des mérites de chacun. »
On comprend sans mal l’envie de trouver des alternatives à des postes ne proposant rien de tout ça.
Contre les bullshits job une solution existe : l’engagement. Je ne vous incite pas à gueuler la Marseillaise sous le drapeau après une nuit en caserne. Non je vous parle de l’autre engagement, celui qui vous fait vibrer, vous pousse à vous lever le matin pour la cause qui vous tient à cœur. L’écologie, le combat pour la reconnaissance d’une minorité, la lutte contre l’exclusion sociale… Les combats sont divers mais partagent un point commun : ils sont remplis de sens.
Pourquoi ne pas tenter l’aventure à votre tour ?
Après tout, comme le dit Michael Scott : « on loupe 100% des tirs qu’on ne tente pas ».
David Graeber est parti en 2020, m’obligeant à parler de lui au passé.
Et si dès à présent nous repensions à l’utilité du travail pour faire du bullshit job un vestige d’un autre temps ?
Que mes mots vous marquent pour le futur : pas de TGV APRÈS une planche.
Auteur : Théo Vintéjoux
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[1] https://www.slate.fr/story/76744/metiers-a-la-con
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