Paroles d'experts

Comment fausser un appel d’offre public en marketing et communication

Manuel de bidonnage des appels d’offres publics en matière de marketing et communication à l’usage des collectivités territoriales et entreprises publiques…

Vous parviendrez à vos fins en vous appuyant sur deux grands piliers :

  • Votre relationnel et vos objectifs
  • La rédaction et la publication de l’appel d’offre.

Cultivez un relationnel intéressé

Tout d’abord, vérifiez que vous avez le profil (car tous les donneurs d’ordre n’ont pas les « qualités » que nous allons aborder).

Vous devez donc disposer d’un ensemble d’éléments, que nous nommerons « compétences » :

  • Une agence ou un prestataire ou un consultant
  • Un ami, une relation, un réseau… D’aucuns parlent d’alumni d’Ecoles, de Franc-Maçonnerie, etc.
  • Un zeste d’affairisme, de népotisme, de financement politique, de prise d’intérêt

Faites en sorte que tous ces points soient reliés entre eux. Exemple : ayez un consulant ami ou une agence avec laquelle vous êtes en relation dans le but de financer votre parti ou syndicat.

Si vous êtes découvert, évoquez la théorie du complot, l’échiffre dans l’oeil du voisin et la poutre dans celui du contradicteur, etc.

Vous pouvez ajouter à l’architecture de ces « compétences » l’un ou plusieurs des bonus suivants :

  • Une mémoire sélective, voire défaillante
  • L’excuse de votre âge ou de l’homme de paille ayant rédigé l’appel d’offre
  • La proximité d’une élection ou le changement récent des équilibres politiques au niveau de l’exécutif (du département, de la région, de l’entreprise publique…).

Leur efficacité a en effet été maintes fois démontrée (ou est en passe de l’être).

Sachez rédiger un appel d’offre orienté mais légal

Une demi-douzaine de points sont à respecter. Vous attacherez un soin particulier à les mêler en fonction de vos objectifs personnels (cf. partie ci-dessus) et des circonstances locales, politiques et temporelles. N’en faites pas trop (du moins visiblement), soyez créatif.

Rédiger un cahier des charges (CDC) large… mais précis

  • Large, en demandant par exemple aux soumissionnaires de remettre avec leur réponse une analyse marketing, un concept, trois axes, un plan média international…
  • Précis, amenant à ne retenIr que les propositions d’entreprises pouvant présenter trois Kbis, disposant d’une représentation sur place (par exemple dans le département en question) et d’une expérience à l’international…

Exiger des critères improbables

Ils vous permettront de sélectionner à coup sûr le prestataire que vous souhaitiez (ravalant, de facto, les autres à un rôle de figurant) : nécessité de prouver que le prestataire a déjà travaillé sur le même sujet, les mêmes problématiques, le même « marché » (mais pour le même camp politique, il ne faut pas abuser, tout de même !)… tout en n’étant plus en relation contractuelle avec un tel client. Veillez à bien énoncer ces critères, pour un vrai sur-mesure de votre sélection.

Vous pouvez aussi demander à ce que l’on vous remette une copie des créas déjà réalisées. Une rapide recherche vous permettra de leur attacher un nom d’agence, contournant l’anonymat des propositions.

En cas de question, évoquer : « ces critères, totalement objectifs, nous permettent de sélectionner le meilleur professionnel ».

Mettre la charrue avant les boeufs

Exiger un engagement de résultat (donc de ROI) avant le lancement de la campagne. A dégainer pour les appels d’offre concernant le off-line (c’est plus drôle et souvent inapplicable !).

En cas de question, évoquer : « l’argent public ne peut être dépensé sans retenue. Cette exigence est un élément-clé de notre politique de maîtrise budgétaire au bénéfice de la collectivité ».

Semer le doute

Vous le ferez en vous abstenant de préciser :

  • Que des partenariats et alliances entre soumissionnaires sont possibles
  • Que les budgets sont (généralement) exprimés en TTC. Vous poser la question directement reviendrait pour le prestataire, à se décrédibiliser…

En cas de question, reformuler péremptoirement : « vos interrogations montrent que vous n’avez pas encore répondu à des appels d’offre public »… Laissez ensuite planner le doute sur ses capacités professionnelles.

Publier l’appel d’offre le plus discrètement possible

En cas de question, tenez à disposition de votre interlocuteur la liste des supports dans lesquels l’appel d’offre a été publié (vous aurez évidemment veillé à satisfaire aux exigences minimales de publication des mises en concurrence + un support).

Résolvez les objections à votre stratégie

A l’issue de ce rapide bréviaire, vous reste-t-il un doute sur la faisabilité de notre méthode ? Dans l’affirmative, dites-vous que les « chances » d’un procès par un prestataire déçu sont minces.

A défaut, utilisez le « kit de réponses d’urgence » suivant :

  • « C’est politique. Depuis le début l’opposition nous met des bâtons dans les roues »
  • « Critiquer cet appel d’offre ne vous aidera pas à gagner le prochain »
  • « Vous êtes l’agence sortante, soyez fair-play, votre tour reviendra, j’en suis convaincu »

Le copinage et le clientélisme ne sont-ils pas à ce prix ?

————

Note à nos lecteurs

  • Le ton volontairement satirique de cet article n’a pas pour objectif d’induire à penser que tous les appels d’offre publics sont faussés et / ou gérés par des serviteurs de l’Etat peu scrupuleux. Ces excellents professionnels, j’en suis certain, ne nous en tiendront pas rigueur.
  • Soumissionnaires, collectivités publiques et entreprises publiques, vous souhaitez nous dévoiler vos « tours de main » et vos expériences ? N’hésitez pas à commenter cet article.
4 commentaires

1 Commentaire

  1. Schmitt

    19 septembre 2011 à 19:02

    Je viens de lire votre bréviaire et il m’a rappelé quelques anecdotes vécues, certes dans d’autres circonstances mais au combien similaires. Cela n’est pas très encourageant pour quelqu’un qui souhaite pénètrer cet univers des marchés publics. Si vous avez un petit conseil, je suis preneur.
    Cordialement
    Michel Schmitt

  2. Serge-Henri Saint-Michel

    19 septembre 2011 à 20:48

    Merci Michel. Conseil très ordinaire, d’ailleurs mentionné dans « Marketing business to business de Malaval et Benaroya : tout est dans la relation que vous aurez su nouer en amont avec le donneur d’ordre. Ce qui signifie en gros que les jeux sont déjà faits avant l’appel d’offre.
    Et chacun de nouer ses contacts pour maintenir son pré carré… Décevant, éthiquement détestable, , mais si économiquement répandu… 😉

  3. Jonathan Loriaux

    18 février 2013 à 14:59

    Il faudrait créer une plateforme de génération automatique de ce genre d’appels d’offre ! Surtout pour la partie concernant les critères improbables 😉

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