Un nouveau genre de marques féroces se déploient largement sur le globe, et ce sont plus de 150 millions d’auto-entrepreneurs dangereusement narcissiques qui poussent l’offensive et envahissent un peu plus chaque jour la société, se visualisant en stars de leurs propres réseaux.
Alors que les marques – les entreprises, les vraies – deviennent plus humaines, les humains, eux, se transforment en self-commerce mercantiles.
Qui sont les nouveaux émules des marques ?
Un homme ultra connecté, dont la vie n’est plus que le pâle reflet de l’illusion qu’elle projette sur la toile, contamine notre environnement : il « publie » un concert assourdissant de photos, de pouces levés, de statuts sempiternels, où vicieusement, l’image de sa vie finit par compter plus qu’elle-même.
Plus que jamais, l’être humain digital s’enfonce dans un paraître hypocrite et mythomane corrompu qui séduit, flatte son égo et son désir de narcissisme subversif. Il s’oublie au profit de sa popularité, un paradigme pervers qui l’enlise dans une vie virtuelle prenant l’ascendant sur la réalité, comme un temps les entreprises se sont noyées dans le mensonge et la dissimulation au profit d’une richesse artificielle et éphémère. L’existence n’est plus vitale mais digitale, le transformant en avatar, en des projections.
Le danger d’un être humain numérique
La tolérance de cette mutation est d’autant plus infecte qu’elle transforme son rapport avec les autres ; une oppression cruelle qui accroît l’anxiété ressentie face à sa vie. L’illusion d’être insoumis et indépendant, la « vigitale » est devenue sa nouvelle carrière et il se retrouve assailli par des concurrents redoutables, qui font toujours mieux, s’affichant au milieu d’eldorados éblouissants, mystifiant un bonheur qui semble constamment supérieur et qui crée une envie malsaine mais mammifère de se dépasser pour que son existence ne (lui) semble pas insignifiante. Alors son destin devient un fardeau à porter, devenant rongé par le résultat déplorable qu’offre la comparaison forcée de ses propres instants de vie, les défis, les métiers, les histoires, les malheurs, les voyages, la créativité ; une pression injustifiée qui masque au fond l’objectif pourtant simple du passage offert sur Terre.
Une concurrence capitalistique destructrice
La vie se transforme en compétition géante, mais singulière car en plus de notre cercle proche qui formait jusqu’ici la seule échelle de comparaison, la vigitale démultiplie la vision et le nombre d’individus avec lesquels nous établissons une nouvelle hiérarchie. Une sorte de d’espace concurrentiel inédit aux frontières illimités, où le capital est remplacé par la popularité.L’aspiration de ce nouvel homme et sa puissance n’est plus représenté par l’argent, mais par son image.
En filmant ou photographiant chaque instant de sa vie, se retrouvant déjà dans la projection « selfique » de cet instant, il omet tout simplement de les ressentir. Aucun besoin de se souvenir, les photos sont là pour rappeler ce qui n’a été qu’à moitié vécu. Elles rappellent en revanche ce moment où il a suscité l’admiration, l’envie, le respect, au détriment de cet entourage virtuel qui devient son nouveau baromètre de bonheur.
Un comportement victime de sa propre logique
Une démultiplication du sentiment d’infériorité s’installe, car la visibilité s’est accrue autour de nous et nous devenons des prestidigitateurs hors pair. Ces vies créées de toute pièce menacent à chaque instant notre statut social, notre sex-appeal, et l’estime de soi.
Nous sommes nos propres community manager, augmentant à chaque minute notre sentiment d’infériorité alors que nous avons l’impression de le combattre par quelques batailles victorieuses mais trompeuses. Une insatisfaction grandissante et inconsciente de notre reflet dans ce miroir fictif s’installe profondément. Le plus paradoxal, c’est que l’absence de ce mirage digital induit que nous n’existons pas. Celui qui existe vraiment serait en fait le discret. L’invisibilité serait-elle devenue la seule existence perceptible dans le royaume des contemplateurs aveugles ?
Auteur : Tiphaine de Pélichy
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