Le consommateur-vengeur nourrit un nouveau rapport à la consommation, aux marques et à l’offre en général. Ses moyens d’action l’amèneront-ils à menacer puis renverser les marques ?
Les origines de la vengeance consommateur
Sans aborder le contexte macro et micro économique, illustrons quelques causes de la tendance à la vengeance du consommateur par des anecdotes-verbatims.
Pression et déconsidération
Le consommateur se sent parfois…
Influencé par les « vendeurs du dernier mètre ». Le jeaner vous invite à regarder sur l’un de ses vendeurs filiforme combien ce Levi’s est seyant. Vous savez qu’il vous fera ressembler à Bibendum et vous vous interrogez sur le manque de tact de ce « commercial »…
Considéré comme un sujet sensible aux stimuli, comme les souris de laboratoire. Abercrombie and Fitch vous impose son univers sombre, bruyant, olfactivement agressif… Cela ne fait pas seulement partie du spectacle, mais de l’abrutissement recherché pour réduire votre libre arbitre.
Pris pour un idiot, un pigeon (le restaurant De Beurze, sur la Grand’ Place de Bruges propose une carte différente de celle affichée en devanture, vous invite à commander des légumes alors que le waterzooi en comprend, essaie de compter le service en plus, etc.), un empêcheur de tourner en rond, un béotien (« pourquoi vous plaignez-vous des alèses en plastique de mon hôtel, cela fait 20 ans que j’en mets et personne ne s’en ait jamais plaint » ; la scène se passe à l’hôtel Anne de Bretagne, à Vannes).
Produits, prix et promotions
Déçu par un produit et / ou un service, fort de sa présentation sur Internet :
- Certaines chambres d’hôtel font ainsi figure « d’appartement témoin ». Jamais vous n’y dormirez !
- Vous êtes attiré par de l’ADSL jusqu’à 20 mega ? Votre FAI ne vous prévient pas que votre DSLAM est à 3 km de votre domicile. Vous devrez, après avoir contractualisé, vous contenter de 6 mega maximum. Déception à haut débit.
Étranglé par des prix au montage étrange (je veux bien être éclairé à ce sujet). Pour reprendre un exemple concernant l’une des marques ci-dessus : un sweat est vendu 80 dollars aux USA, il sera donc posé à 80 euros, convertis ensuite en dollars (vous me suivez ? 80€ = $113 environ). Le sweat sera donc vendu en France à… 113€ !
Affolé par la variation des prix. Un forfait fibre FAI coûte environ 30€. Vous surfez un peu sur d’autres sites et remplissez quelques formulaires puis décidez de vous engager chez Numéricable. Le lendemain, magie du re-targeting oblige, voilà que sur le site web du cablo-opérateur on vous propose le premier mois gratuit ! Si vous aviez su…
Baladé par les promotions, même dans les banques. Ne passez pas cette semaine dans votre agence favorite, c’est la semaine des FCP, qui, par chance vous correspondent. Le mois dernier était consacré au crédit immobilier, qui fait aussi, forcément, partie de vos objectifs financiers et patrimoniaux…
Morale et responsabilité
Cible d’industriels peu scrupuleux. Ce mythe, pourtant réalité depuis le cartel de Phoebus (1924) s’illustre par des ententes entre acteurs, au détriment des acheteurs : obsolescence programmée, maintien de prix élevés, répartition de l’offre entre circuits, organisation de la pénurie, actions sur le cours des matières premières, etc.
Victime d’arbitraire et d’injustice. Virgin continue à facturer un client 6 mois après son départ vers un autre opérateur, puis missionne un huissier (avec mise en demeure en 2e lame) pour recouvrer les dettes auprès de son ex-client. Dettes inexistantes, vous l’avez compris. Pratiques anciennes dans l’univers des télécoms puisqu’appliquées dès 1998 par les FAI qui se livraient déjà à quelques errements de facturation.
Spectateur à la cour d’Ubu Roi où personne n’est responsable de ce qui se passe. Abonné à Free ? La mauvaise qualité de la ligne est due à l’infrastructure France Telecom. Patate chaude… Abonné à SFR, vous souhaitez désimlocker votre iPhone ? Il faudra patienter de 2 à 4 semaines. Inutile de chercher à savoir pourquoi, quand vous avez SFR, c’est Apple et quand vous avez Apple… OK, OK ! Le désimlockage est légalement encadré, au grand dam des opérateurs ; ils traînent donc les pieds. Mais allez leur expliquer pourquoi, en rétorsion, vous tarderiez à régler vos factures…
Ces « petits moments de vérité » et de mécontentement, d’insatisfaction, touchent tantôt le consommateur ad hominem, tantôt tous les individus d’un même segment. Ils le marquent profondément, le rendent aigri aux yeux de certains analystes et font sourdre en lui une solution unique et radicale : la vengeance.


Les marques ne sont qu’à demi descendues de leur piédestal. A leur base la révolte gronde. Le consommateur-vengeur ira-t-il jusqu’à les renverser ?
Le mix du consommateur-vengeur
Le consommateur vote avec son porte monnaie, c’est-à-dire avec son chariot, entend-on parfois. Cette assertion, valable dans le cadre d’approches consuméristes classiques (au sens historique) de la consom’action, est à mon avis dépassée suite à l’ouverture au mécontentement du consommateur d’un terrain d’expression plus vaste.
Les moyens utilisés peuvent être conjoints (le vengeur mix !) :
- Les sites d’avis de consommateurs, boulevards aux critiques de tout poil.
- Les plaintes et réclamations qui saturent le service client. Objectif, une sorte de « deny of service » !
- Du viral via des sites communautaires, des réseaux sociaux, afin de générer un bad buzz. Presque une « dislike attack » !
- De l’infidélité, du churn, de l’attrition (voilà pour les mots clé !) qui, par réaction, vont demander des efforts de conquête aux marques. Ces dernières semblent comprendre l’intérêt d’accorder à leurs clients actuels autant d’avantages que les impétrants (cf. opérateurs télécom, à nouveau). Le consommateur a conscience que la concurrence n’offrira pas de meilleures prestations. Mais la vengeance lui permet, à son niveau, de pénaliser les marques fautives.
- Une chasse aux prix bas, aux promotions, au gratuit.
- Une négociation des prix, sans compter l’importance des sites d’achats groupés qui, pour le coup, font financièrement la part belle à la plate-forme et aux consommateurs, tandis que les dents des commerçants grincent… (« ils l’ont bien cherché », rétorquent parfois les consommateurs).
- Un attentisme, un report des achats pour les produits non contraints, avec une attention particulière portée aux soldes. Le consommateur a d’ailleurs appris à décrypter les soldes, et à séparer les « vraies » des « fausses »… ce qui le conforte dans sa méfiance à l’égard de la distribution et toute mise en avant promotionnelle.
- Une déconsommation voulue : réduction des dépenses, reconfiguration de l’allocation des ressources dans le ménage, développement de produits et d’usages de substitution (location, utilisation quasi gracieuse, autoproduction, réparation, réutilisation, détournement, don, troc et échange…).
- La sur-utilisation du produit afin d’en « avoir pour son argent »…
- Des comportements légalement répréhensibles, comme la fraude (cf. vidéo ci-dessous).
Ainsi, le consom’acteur a-t-il tout d’abord muté en conso-mateur, observant depuis son écran ou derrière la vitrine les opportunités, recherchant promotions et gratuité pour ne pas s’engager, puis, plus récemment, en conso-vengeur…
Mais pourquoi le consommateur est-il si vengeur ?
Le consommateur-vengeur assume sa part d’ombre, de défiance et de déviance. Il endosse un rôle de vengeur roublard et désillusionné qui lui permet de…
- Purger ses frustrations
- Montrer son pouvoir : attirer l’attention, se faire voir…
- Punir des comportements qu’il juge amoraux, faisant du mal à son tour.
Le consommateur vengeur est donc devenu le talion d’Achille des marques !
Et le consommateur s’accommode sans heurts de ce comportement parfois border line et radical ; il le justifie, même (principe de congruence oblige !) : « frauder c’est aussi un geste de résistance à cette solidarité forcée qui va a l’encontre de nos libertés » (verbatim).
Quel impact sur les marques ?
Les conséquences négatives sur les marques sont largement connues : réputation, image de marque, capital marque, ventes… et donc valeur (souvent boursière) en baisse…
Pis, cette relation délétère se diffuse et touche aussi
- Le monde du travail : désimplication, doute, frustrations, stress, colère, anxiété, colère, voire, de manière plus extrémiste, suicide, meurtre…
- La politique ; le mouvement des Indignés en étant un des illustrations, tandis que l’expression « Indignez-vous !
» et un comportement ad hoc deviennent aussi tendance
- … et les entreprises et les marques qui, dans la lutte contre des mesures perçues comme défavorables, menacent de rétorsion les pouvoir publics.
Le pire reste peut-être à venir, sauf si les relations entre les parties prenantes à l’échange parviennent à être réaménagées.
Un marketing à reconstruire
« Réenchanter la consommation » ne suffira pas. « Placer le client au cœur de l’organisation » non plus.
Quelques clés, pourtant classiques peuvent cependant être activées…
- Écouter le client et le considérer : « le client, c’est quelqu’un » qui se respecte vraiment
- Faciliter les retours d’expériences, les remontées du terrain… et les descentes du staff marketing au « niveau » » du consommateur
- Travailler l’équilibre entre « promis » et « servi »
- Procéder rapidement et efficacement aux corrections nécessaires
- Reconnaître aux équipes terrain le droit d’innover à leur niveau… et de se tromper
- Faire amende honorable et ses excuses en cas de boulette !
Quelques bonnes pratiques
Sans distribuer de bons points, nous avons relevé quelques pratiques intéressantes, qui, par la satisfaction qu’elles induisent, inhibent la tendance à la vengeance !
- Le service client de l’hébergeur Strato vous appelle un samedi, moins de deux heures après votre mail. Il solutionne votre problème immédiatement et le contact est sympa. L’accent suisse doit aider ;).
- Un Club Bouygues Telecom de Vannes vous prête un smartphone le temps que son concurrent procède au désimlockage de votre iPhone.
- Le safranier de Draguignan vous reçoit sur son exploitation en amis, pas en clients.
- Suite à un service en salle plus que défaillant, le service client de Flam’s s’excuse et vous remercie de lui avoir permis de s’améliorer (featuring Eric).
- Le KFC de Clermont-Ferrand héberge un client ayant un souci de véhicule, l’aide à transférer ses bagages dans le restaurant, l’invite à se servir gracieusement des boissons, prend régulièrement des nouvelles de sa prise en charge par l’assurance…
Changer les attitudes pour modifier les comportements d’achat est long. On le sait. Sachons attendre en agissant dès à présent, en prônant le retour de l’Humain. Avec ses forces et ses faiblesses.
>> Dossier consommation, consommateur, shopper
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- Le point de vente, clé du rapport marque consommateur, Florian Pittion-Rossillon, Brandcasterz, Directeur associé
- Le point de vente physique, le magasin connecté et les attentes consommateurs, Véronique da Costa, Consultante en stratégie digitale, BeDigitalBusiness.com
- Le shopper est enfin devenu un vrai sujet ! Bruno Botton, Directeur Général Adjoint de TNS Sofres
- Les comportements du shopper grande distribution et de l’e-shopper, Catherine Ducerf, Client Manager au sein du pôle SIMM-TGI chez Kantar Media
- Le consommateur-vengeur, talion d’Achille des marques, Serge-Henri Saint-Michel, planneur stratégique, Marketing PME
- L’émergence du conso’battant, Jean-Claude Pacitto, Maître de conférences à l’Université Paris Est,
Philippe Jourdan, Professeur à l’Université Paris Est, Associé Panel On the Web - Éloge du désaccord : une révolution culturelle pour les marques ? Erik Bertin, Directeur des stratégies de l’agence Business lab
- Règle N° 1 : le client à toujours raison ! Christian Barbaray, Fondateur de Init
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Deux livres conseillés sur la consommation
- L’état de l’opinion
, de Olivier Duhamel et Edouard Lecerf. Critique sur Marketing Professionnel
- Tendançologie, de Ronan Chastellier, particulièrement pour les… tendances, les modes et le consommateur, donc ! Lire la critique de ce livre sur Marketing Professionnel


Serge-Henri Saint-Michel
7 septembre 2011 à 14:31
Juste une précision : cet article ne vise pas à prouver la globalisation de telles attitudes et comportements, mais, après observation, à en éclairer l’émergence, leur tendance, sous un angle certes critique, dont l’objectif est surtout de vous faire réagir 😉
charlotte
8 septembre 2011 à 17:45
Excellent article!
Il semble, effectivement, évident que l’influence des marques sur le consommateur tend à disparaître, ou du moins à perdre de son efficacité, quand elle ne devient pas contre-productive.
Les consommateurs s’organisent pour se renseigner, vérifier et se faire conseiller autrement: la plupart du temps entre eux. Blogs, forums, sites participatifs… c’est le web qui permet aux consommateurs de s’unir « contre les marques ».
Certaines marques l’ont compris et s’y adaptent. Sephora par exemple et ses « avis de consommateurs » sur son site qui permet aux internautes de partager leurs expériences entre eux.
Mathias Poujol-Rost
17 septembre 2011 à 20:49
Il y a aussi le cas des personnes attaqués en Justice.
Exemple : l’agence Cometik Group de création de sites internet, basée à Lille (Nord), m’a fait plusieurs procès depuis le 17 juin 2010.
Elle semble ne pas avoir compris que les résulats de ses procès, bien que plutôt à son avantage, ne pourront pas être supprimés du Web, et que donc ils constitueront toujours une petite tache dans son identité numétique.
On peut en effet attendre d’une agence de conseils de « communication éthiuqe » qu’elle cherche d’abord à régler un conflit par un accord à l’amiable ou à s’expliquer sur ses méthodes (technique one shot, assignation en référé…)
Cherchez « cometik mathias poujol rost » sur le Net, c’est vraiment une agence web surprenante !
Eric J
19 septembre 2011 à 9:16
Bingo !
Cette typologie du consommateur-vengeur est pertinente et fait échos à de nombreux exemples vécus, que je n’hésite pas à utiliser dans mes cours. Il est intéressant que Serge-Henri créé cette nouvelle typologie, fruit de l’attitude Darwinienne du commercial : effet boomerang de l’impérialisme prétentieux du vendeur, voire de la pression mercantile de ses supérieurs.
A cette liste d’exemples en magasins de proximité, l’on pourrait rajouter, sans trop chercher, des comportements dans le macro économique.
Il est désolant de voir les métiers du marketing rentrer dans un comportement tribal et irrespectueux de la personne. Une méthode qui n’est ni issue d’une stratégie intelligente, ni emprunte de réponse aux vrais besoins et attentes du citoyen.
Je pourrais qualifier ces techniques « commerciales » par quelques mots : c’est idiot, amoral et déshonorant pour le marketing. Elles génèrent la méfiance et la défiance en occultant résolument les besoins holistiques du citoyen. Les dernières études comportementales révèlent ces attentes devenues majeures avec une réclame de ne pas être considéré comme des objets de ressources.
Il est vrai qu’il en va du changement de comportement si tant est que la peur disparaisse du cœur du vendeur. Si cette prise de conscience est effective, le changement doit et peu se faire rapidement. Dans le cas contraire, l’économie changera de paradigme dans une ambiance de crise. Mais après tout, c’est peut-être ce que souhaite ce conso-vengeur : un nouveau militant ?