Les fraudes à l’e-publicité se résoudront par la collaboration de toutes les parties (régies, supports, éditeurs…) et par plus de vigilance. Détails avec notre interviewé, Jean-Marie Dessaignes, General Manager de Powa Technologies.
Selon certaines estimations, 50% de l’e-publicité serait inutile. Est-ce aussi votre sentiment ?
La publicité numérique prend de plus en plus de place sur le marché. En France, elle a d’ailleurs surpassé la presse papier en 2014, atteignant 25% de part de marché. Contrairement aux autres canaux, l’e-publicité continue de connaître une croissance soutenue : +4% en 2014, avec une tendance similaire pour 2015. L’année dernière, près de 2,9 milliards d’euros ont été dédiés au support digital. A titre de comparaison, les investissements publicitaires en télévision, qui reste le media le plus utilisé en France, étaient de 3,2 milliards d’euros net en 2014.
Malgré ce boom de la publicité digitale, les résultats concrets en termes d’impact et de conversion restent difficiles à mesurer. Très peu d’internautes effectuent leurs achats suite à la visualisation d’une publicité digitale.
Si cela est dû à de multiples facteurs, la fraude semble la menace la plus importante. Si l’on regarde les statistiques de visualisation des publicités online, on ne peut pas dire qu’ils soient très fidèles à la réalité. On estime qu’un peu moins de la moitié des e-publicités serait visionnée par des robots ou résulterait de techniques de fraudes toujours plus sophistiquées. Cela fausse complètement les relations entre médias, régies et annonceurs.
Un autre facteur à prendre en compte est le caractère intrusif de la publicité numérique, qui réduit grandement son efficacité. Si les internautes comprennent l’intérêt de la publicité online, ils n’apprécient pas toujours les formes qu’elle prend et les jugent parfois comme étant trop envahissantes. Selon une étude menée par Ifop/Generix group, 68% des français trouvent que l’e-publicité sur les réseaux sociaux est « insupportable » mais paradoxalement, 80 % trouvent que les publicités sur Internet sont malgré tout utiles. Le phénomène de rejet de la publicité en ligne est d’autant plus mesurable avec l’essor de logiciels dédiés, comme AdBlock Plus.
Pour lutter contre ces problèmes, il faut trouver des façons toujours plus innovantes pour capter l’attention des consommateurs. Cela ne pourra se faire qu’en créant des outils plus interactifs, qui impliquent directement le consommateur. En outre, il faut prendre en compte l’évolution des modes de vie des internautes. Ces derniers passent de plus en plus de temps sur leur smartphone. Cela représente une vraie opportunité pour les annonceurs : le ROI des publicités mobiles est facilement accessible, bien plus que sur desktop.
Comment réagissent les agences face à ces pratiques ?
Face à tous ces changements, les agences doivent absolument suivre les tendances en termes de publicité et bien se tenir au courant des derniers moyens innovants mis à leur disposition pour augmenter l’efficacité de la publicité numérique, et ainsi rester attractifs pour les annonceurs.
Cela suppose en premier lieu une plus grande honnêteté. Les agences sont parfois à même de déceler certains fraudeurs. Le problème est qu’il est aussi dans leur intérêt de laisser penser à l’annonceur que ses publicités fonctionnent à merveille, alors qu’elles sont en réalités rarement vues par des humains. C’est pourquoi, il arrive que certaines agences puissent abuser de leurs clients. Heureusement, nombre d’agences sont honnêtes et se rangent du côté des annonceurs.
Rappelons tout de même que la publicité digitale « traditionnelle », de type display ou search, fonctionne tout de même plutôt bien comparé à certains canaux offline. Il faut cependant garder à l’esprit qu’un message concis et engageant est la clé pour ne pas paraitre intrusif. Une publicité interactive est toujours préférée à une publicité fixe. L’internaute a besoin d’être impliqué, que ce soit par un jeu concours, des avis d’autres internautes, une inscription… Mais le maître mot quand il s’agit de faire de la e-publicité est personnalisation. Le client a besoin de se sentir écouté, grâce à des offres qui correspondent à ses besoins du moment.
Un moyen qui permet d’innover et d’offrir un message personnalisé et interactif est le smartphone. En effet, le client est toujours connecté. La géolocalisation et les cookies sont d’une grande aide pour développer des stratégies cross-plateforme. Le smartphone est aussi capable d’interagir avec son environnement, faisant ainsi le lien entre monde online et offline. Il permet de récolter de nombreuses données sur les clients, leurs recherches et leurs besoins. Avec le smartphone, le consommateur repasse au centre de la stratégie de communication.
Et les régies, comme Google ?
Le monde des régies est principalement dominé par Google (90% de PdM). Les petites régies doivent se battre et innover pour subsister. Quoi qu’il en soit, grandes ou petites, les régies doivent toutes faire face au même problème : la fraude. De nombreux facteurs viennent troubler leur travail, que ce soient des robots, de faux sites internet et d’autres techniques plus élaborées les unes que les autres. C’est leur rôle de déceler le vrai du faux afin de fournir des informations fiables à leurs clients.
Les régies sont sûrement les mieux placées pour détecter la fraude. De plus en plus de régies, tout comme nombre d’agences, utilisent déjà des outils pour éradiquer les fraudes. Elles ont par exemples développé des codes qui permettent de distinguer humain et robot. Les régies publicitaires peuvent ainsi faire le choix de renforcer leur sécurité en faisant appel aux services de prestataires spécialisés. Malgré ces progrès, la fraude reste significative, les fraudeurs ayant toujours une longueur d’avance.
L’autre point à améliorer est l’adaptation des contenus à tous les terminaux. Pour que les publicités soient visibles, donc plus efficaces, elles doivent s’adapter à tous les écrans : c’est le « responsive design ». De nos jours, nous utilisons de plus en plus de smartphones, tablettes et d’autres objets connectés. C’est pourquoi les régies se doivent de prendre en compte ces nouveaux terminaux qui représenteront prochainement la majorité du marché. Google a d’ailleurs fait un pas de plus vers le mobile, avec son nouvel algorithme favorisant les sites adaptés au mobile. Sur ces terminaux, notons que la recherche reste le canal publicitaire principal, mais que le display est en pleine croissance, au sein même des applications mobiles. C’est également une évolution à prendre en compte pour les régies.
…Et les annonceurs, qui semblent en être les premières victimes ?
Les annonceurs sont en effet les premières victimes de l’inefficacité de la publicité et ils sont malheureusement bien impuissants face à ce phénomène. Les fraudes massives les empêchent d’avoir des indicateurs de ROI fiables. Ils basent ensuite tous leurs calculs sur des résultats biaisés. Des budgets astronomiques sont gâchés du fait de la fraude, qui les pousse à dépenser à tort et travers.
De la même façon que les agences et les régies, il est évident qu’ils doivent changer leurs habitudes, et s’ouvrir à de nouveaux outils plus efficaces et fiables. En étroite collaboration avec les agences, il leur faut trouver de nouveaux outils innovants. Encore une fois, passer par le mobile ou la tablette est essentiel. Par exemple, il existe des applications qui permettent de voir exactement qui va sur votre site, mesurer l’audience, ou encore d’avoir des informations sur la clientèle.
Un niveau de sécurité et de surveillance élevés, et cela à toutes les étapes du processus de publicité, permettra aussi d’augmenter la fiabilité des indicateurs, et donc de faire des économies. N’oublions pas que l’e-publicité ne se limite pas à un seul écran. Il est possible de faire interagir le consommateur avec plusieurs supports publicitaires, ce qui diminue le risque de fraude également tout en augmentant considérablement le niveau d’engagement. Il est en effet possible de combiner smartphone et affichage ou encore smartphone et télévision, smartphone et radio… Le consommateur doit alors faire interagir ces terminaux, ce qui annihile tout risque de fraude tout en s’assurant d’un niveau d’engagement maximal.
Quels impacts ces pratiques peuvent-elles avoir sur le revenu des éditeurs ?
On parle souvent des désastres financiers que causent les fraudes publicitaires aux annonceurs, mais on oublie que les éditeurs sont aussi des victimes. En effet, même si les faux clics génèrent des fonds supplémentaires pour les sites qui revendent des espaces publicitaires, de nombreuses fraudes les pénalisent à eux aussi. Parmi d’autres, c’est le cas des réseaux hardware, logiciels qui « volent » les publicités des éditeurs et leur portent préjudice.
De plus, les annonceurs ont des niveaux d’exigence de plus en plus élevés, car ils sont conscients de toutes les barrières de fraude, ce qui pousse le CPM à décroître. Cela pénalise fortement les éditeurs qui utilisent la publicité pour financer leur site. Les éditeurs sont souvent contraints à faire l’acquisition d’inventaires à bas cout, souvent peu qualitatifs.
Comment voyez-vous l’avenir de la publicité digitale ?
Pour rester compétitif, il est nécessaire de s’adapter aux nouveaux moyens de faire de l’e-publicité et de proposer de nouveaux supports, adaptés à tous les terminaux. C’est un des meilleurs moyens de minimiser la fraude. Certains magasins physiques disposent de solutions de beacons qui proposent de la publicité sur smartphone aux consommateurs proches du point de vente. Cette publicité est ciblée, personnalisée et en temps réel. Cela diminue les fraudes également puisqu’il est très difficile de capter les beacons sans être à proximité. Les terminaux mobiles offrent ainsi des possibilités bien mieux contrôlables, et moins sensibles à la fraude. La publicité instantanée est aussi bien plus efficace, car elle favorise les achats coup-de-cœur. C’est la grande force du smartphone, et il serait dommage de ne pas en tirer profit.
Nous devons tout de même penser à un scenario inquiétant. Si les annonceurs se retirent tous du marché online pour privilégier d’autres supports, les éditeurs se retrouveront coincés et seront obligés de trouver d’autres sources, ce qui peut avoir de lourdes conséquences pour les médias en ligne et leurs lecteurs. A plus large échelle, c’est tout le système qui est mis en danger par la faute des fraudeurs. Ce problème ne se résoudra que par la collaboration de toutes les parties et une hausse de la vigilance à tous les stades.
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Un article de notre dossier E-publicité, illusion ou efficacité ?
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