Le crowdsourcing a révolutionné nos façons d’innover et le rapport des marques avec leurs consommateurs. Cette pratique collaborative s’intègre aujourd’hui de plus en plus dans notre quotidien. Quelle est sa réelle ambition ?
Domino’s qui propose d’inventer sa propre pizza et d’en faire la promotion, Oxylane qui permet à n’importe quel internaute d’inventer les accessoires sportifs de demain, Open Meteo Data, une plateforme alimentée par les observations terrain en temps réel des membres… Ce ne sont que quelques exemples parmi les milliers d’opérations de crowdsourcing auquel nous pouvons désormais prendre part sur la toile, pour tenter d’inventer les produits et services de demain.
Crowdsourcing… et crowdsourcing
A l’image de ces exemples, on peut distinguer deux types de crowdsourcing. Celui qui consiste à recueillir la connaissance des participants pour enrichir une base de données mise à disposition de tous, comme le fait Open Meteo Data ou Wikipédia par exemple, et par ailleurs celui qui vise la création de nouveaux produits ou service, comme c’est le cas pour Domino’s ou Open Oxylane.
Mais ces derniers visent souvent l’innovation de forme : un nouveau gadget, une nouvelle recette, une décoration de produit… Finalement de l’innovation anecdotique, et non de l’innovation de concept.
Si l’on considère le nombre de projets qui n’aboutiront jamais sur le site d’Open Oxylane, on a l’impression d’une dynamique de création sans but. Des centaines d’idées sont proposées tous les jours, espérant être parmi les rares qui seront présélectionnées par le jury. Tout est libre et aucun cadre n’est posé. C’est donc le règne du « petit bonheur la chance » et c’est encore finalement la marque qui fait son choix dans la masse de projets proposés.
Peut-on alors vraiment parler d’innovation par les consommateurs quand la R&D de l’entreprise appose encore son filtre ?
Finalement, le crowdsourcing, plus que des idées, promet en fait, un nouveau rapport au consommateur.
L’expérience de marque plutôt que l’innovation
Gilles Lipovetsky, philosophe de la consommation qualifie de consommateur moderne d’ « hyperconsommateur », en perpétuelle recherche de changements et d’expériences émotionnelles. Il nomme cela « l’expansion du marché de l’âme ».
Les nouveaux modes de consommation sont plus « émotionnels » : on consomme de plus en plus de loisirs et la publicité met moins en avant les avantages fonctionnels des produits que les valeurs subjectives qu’il est censé véhiculer. Dans ce contexte, le consommateur attend aussi un rapport privilégié avec ses marques favorites. Cela passe par une volonté de reconnaissance, un désir d’exister aux yeux de ces dernières. Le crowdsourcing permet avant tout de délivrer une expérience de marque valorisante en impliquant le consommateur dans le processus d’innovation.
Les consommateurs ont des relations de plus en plus émotionnelles avec les marques qui fascinent mais déçoivent aussi. Les nombreux scandales comme celui du Rana Plaza qui a impliqué H&M ou Gap ou celui de la viande de cheval qui a ébranlé plusieurs marques de surgelés entame la confiance que les individus placent dans les marques.
Les consommateurs remettent en cause la course effrénée à l’innovation que mènent les marques parce qu’ils ont plus que jamais le sentiment d’une consommation futile alors qu’ils ont besoin d’y retrouver du sens. L’étude « BeCause It Matters » menée par Havas en 2014 démontre que 34 % des consommateurs dans le monde déclarent privilégier l’achat d’une marque plutôt qu’une autre pour son engagement social ou environnemental.
Le consommateur cherche à consommer utile et souhaite que les marques s’impliquent dans cet effort.
Pour retrouver la confiance et prouver à leurs consommateurs que l’innovation peut enfin servir leurs vrais besoins, les marques redonnent le pouvoir « à la foule ». Tel est le principe du crowdsourcing. Mais dans ce cas, peut-on vraiment parler d’innovation si le but final n’est pas la création, mais bien davantage la relation ?
Du crowdsourcing à « l’expert-sourcing » ?
Peut-on vraiment compter sur les consommateurs pour créer les produits qu’ils consommeront demain ?
« Si j’avais demandé aux gens ce qu’ils voulaient, ils m’auraient répondu des chevaux plus rapides ». Cette phrase de Henry Ford, inventeur de l’automobile résume bien l’idée que les gens sont les moins bien placés pour savoir ce qu’ils consommeront demain, et que leur laisser les rênes de la R&D mènerait à l’amélioration perpétuelle de l’existant et non à l’innovation.
Pour innover, il faut parfaitement connaître son domaine d’intervention, ses enjeux et ses problématiques. C’est donc une question de spécialité, d’expertise.
Le futurologue Thomas Frey, créateur du « DaVinci Institute », un Think Tank qui réunit des entrepreneurs et des penseurs qui réfléchissent aux innovations de demain, reconnaît que le crowdsourcing peut être utilisé pour encourager l’innovation mais dans certains cas précis : en mettant en place des campagnes limitées à un certain nombres de participants, au sein de réseaux fermés. Par exemple, certaines entreprises se servent du crowdsourcing auprès de leurs employés ou partenaires, garants d’idées plus pertinentes et ciblées car générées par des connaisseurs. Dans la même dynamique, il existe aussi des initiatives de crowdsourcing limitées aux scientifiques ou aux chercheurs.
Dans les campagnes de crowdsourcing que nous connaissons, les propositions des consommateurs sont toujours passées au filtre de la R&D de l’entreprise. Open Oxylane fonctionne comme cela, Quirky aussi… Finalement, des experts sont toujours au bout du processus d’innovation.
De plus, le Big Data prend aujourd’hui une importance grandissante dans les processus d’innovation et les possibilités qu’il offre s’améliorent au fur et à mesure que la technologie évolue. Demain, il sera possible d’anticiper bon nombre de besoins et donc d’inventer de nombreux produits et services grâce à la récolte et au traitement de données via le Big Data.
Expertise et technologie semblent former le nouveau visage de l’innovation. Il devient alors évident que les consommateurs n’ont qu’un rôle très limité dans les nouveaux processus d’innovation.
Mais crowdsourcing et innovation ne sont pas pour autant antinomiques. Si le crowdsourcing « de masse » n’est visiblement pas le futur de l’innovation au sens de production, il a permis d’initier de nouveaux rapports entre marques et consommateurs, de permettre aux marques d’innover en donnant un tout nouveau visage à leurs relations avec leurs consommateurs pour des rapports plus horizontaux et plus égalitaires.
Les marques se rapprochent de leurs consommateurs, les considèrent. Les consommateurs attendent des marques plus humaines et plus investies. Plutôt que les produits et services issus des campagnes de crowdsourcing, c’est ce nouveau rapport donnant-donnant qui constituera l’innovation de demain.
Auteure : Nina Chaulet
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Un article de notre dossier Marketing & innovation
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