8 mars 2021. L’engouement sur les réseaux sociaux et dans les médias est total. Durant 24h, tout le monde, partout (eh oui ! Parce qu’il s’agit d’une journée « mondiale »), est concerné par les droits des femmes !
Instagram, marronnier géant en floraison constante échappant aux saisons, est un lieu magnifique pour observer des revendications fleurir et faner toutes les 24 heures, sous forme de stories. Ce jour-là, j’ai pu y contempler plus d’une centaine de fleurs engagées, militantes, combattantes… pour les droits des femmes. Amis, collègues, marques, écoles, célébrités, influenceurs, médias… publient de façon encore plus éphémère que la floraison du Sakura. Un tour de cadrant (ou plutôt de story) plus tard, emporté par le vent les droits des femmes, nous sommes le mardi 9 mars.
Je publie, donc je suis/suis
De mon côté, je n’ai fait que contempler, et au fil de la journée, j’ai ressenti comme un sentiment d’infériorité. Il m’a semblé que la participation à cette journée de floraison sur l’arbre social était devenue un acte nécessaire pour exister. Comme si pour réellement appartenir à ma branche générationnelle, je me devais, moi aussi, de publier et faire la preuve de mon engagement. Comme si, au fil des stories, il me paraissait de moins en moins envisageable de ne pas brandir, moi aussi, ma fleur revendicatrice. Ont-ils tous publié par pure liberté, par pure idée morale, ou bien guidés par l’influence sociale, par volonté d’être approuvés et d’exister ? Nietzsche me répondrait sûrement qu’ils se complaisent tous par habitude et par paresse, à reproduire cette même action et ce mode de pensée. Et peut-être qu’à son tour, Hegel m’expliquerait simplement que leur subjectivité individuelle se développe au contact des autres, dans un rapport social fondé sur l’accès à la reconnaissance, qui leur est essentielle pour exister, et qu’ils sont finalement tous asservis par cet arbre social. Qu’ils cherchent à éveiller en autrui une bonne opinion d’eux-mêmes, qu’ils n’ont pas eux-mêmes, mais en laquelle ils finiront par croire à force de publier. Aussi Rousseau les verrait comme des hommes civils asservis, vivant dans le regard des autres, et corrompant l’amour de soi en amour propre.
Admirer, haïr, imiter
Je me suis donc sentie amoindrie par le fait de ne pas faire comme ces autres, de ne pas brandir mon soutien, de ne pas publier, de ne pas m’exprimer, de ne pas me montrer. Mais d’un autre côté, je me complaisais aussi dans ma distinction, et en venais à ressentir une fascination haineuse pour ces autres. Me sentant à la fois inférieure et supérieure, ayant envie de les imiter, mais aussi de m’en distinguer. Je devenais alors l’esclave dépendante de ces autres, projetant mon centre de gravité dans le regard de ceux que j’envie et que je hais, à raison de l’enthousiasme secret que je leur porte, ceux dont j’ai besoin pour me sentir supérieure.
Peut-être alors devrais-je fleurir moi aussi dès que l’occasion se présente, et me laisser aller à une rivalité mimétique girardienne. Lutter pour le prestige dans le but d’être reconnue comme supérieure par ces autres. Corrompre moi aussi mon amour de moi en amour propre. Fleurir, être vue, reconnue, sur cet arbre immense où les fleurs sont toutes plus belles et engagées les unes que les autres, mais toutes aussi éphémères.
C’est donc la fleur au fusil, ou plutôt au smartphone, que je pars combattre pour ma reconnaissance aujourd’hui. Nous sommes le jeudi 18 mars 2021, c’est la journée mondiale du recyclage, et je m’en vais poster mon compost sur les réseaux sociaux.
Auteure : Rebecca Blanchard
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