Kantar annonce la fin de l’hyperconsommation. Quels sont les stigmates de cette mort annoncée ? Avec quels impacts sur les typologies de consommateurs ? En somme, un nouvel hédonisme se fait-il jour ? Pistes et réflexions avec Gaëlle Le Floch, directrice marketing de Kantar.
Est-ce l’hyperconsommation en grande conso ou l’hyperconsommation au sens global dont la mort est annoncée ?
Chez Worldpanel on suit les marchés PGC (alimentaires, Entretien et HB) donc mon analyse porte sur ces marchés. On constate dans les faits en 2019 une baisse de la conso historique, -1,2%, soit la même baisse que celle de 2008 au moment de la crise financière, mais alors dans un contexte de forte inflation, ce qui n’est pas le cas en 2019. Parmi les marchés très impactés par des baisses volume: le Maquillage (-5%), les Alcools (-6,4%), la viande (-4%), les Surgelés (-3,3%), l’Hygiène Bébé (-7,5%)…
Et dans les déclarations, il y a un rejet de la sur-consommation, car les consommateurs ont pris conscience de son impact sur leur santé et sur l’environnement. On assiste de plus en plus à des mouvements militants anti-consommation, qui prônent une moindre conso, de manger local, moins de viande avec une préoccupation du bien-être animal.
Si « le consommateur moyen n’existe plus », quelles sont aujourd’hui les typologies émergentes ?
On constate des besoins très clivés entre d’un côté ceux qui sont soucieux de la planète et exigent de plus en plus d’engagements sociétaux de la part des marques, ce sont des foyers typés CSP +, diplômés et disposant de revenus élevés. Ils fréquentent les circuits spécialisés qui proposent du bio ou du vrac, consomment moins de viande, plus de produits végétaux en substitution des protéines animales. Et de l’autre côté des foyers qui ont des préoccupations économiques, et n’ont pas le temps d’avoir des préoccupations écologiques. Ils fréquentent de plus en plus les EDMP (enseignes à dominante marques propres), les déstockeurs, qui leur permettent de faire de bonnes affaires, et Lidl, qui a changé de façon très pertinente sa stratégie avec « le bon prix des bonnes choses », car s’il y a bien une aspiration transversale qui concerne tout le monde, c’est de mieux manger pour préserver sa santé.
Les consommateurs prennent le pouvoir, grâce à des applis comme Yuka, ou grâce à des marques comme C’est qui le patron, qui leur permettent de définir le cahier des charges des produits qu’ils souhaitent voir en magasins. Le grand hyper proposant les mêmes produits pour tous a perdu de son attractivité, la standardisation et la massification de l’offre aura de plus en plus de mal à satisfaire le désir d’acheter des produits et des services adaptés à ses besoins propres.
Les typologies consommateur semblent clivées ; invitent-elles les marques à resegmenter leur offre ?
Les acteurs des PGC-FLS sont confrontés à de nombreux défis et à un nouveau paradigme : attirer un consommateur français qui veut manger local et sain mais qui a toujours des attentes sur les prix et les promotions. Difficile de tout mener de front pour les marques, il leur faudra choisir leurs combats, quitte à prendre des risques et à déplaire.
Enfin, les consommateurs s’orientent-ils vers un hédonisme d’une forme différente ?
Une partie des consommateurs remet en question la consommation qui ne rend pas heureux, et prône une consommation différente, dans des magasins de proximité et plus petits qui remettent au cœur du magasin de l’humain. Certains même conseillent sur les réseaux sociaux de vider ses placards et de se débarrasser des choses inutiles, mais ce sont souvent des profils de consommateurs qui ont fait le plein et sont très bien équipés, et ils peuvent freiner leurs achats sans manquer. Par contre, les foyers de classes modestes, qui craignent de décrocher, ont encore un désir de consommer et la frustration de ne pas en avoir les moyens.
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