Rogner sur les marges pour proposer des prix plus offensifs, telle est l’option stratégique principale choisie par quelques intervenants de la visite mystère. Les coûts salariaux représentant une grande partie de ce service, des prestataires peu scrupuleux proposent des rémunérations indignes à leurs clients mystère (inférieures à 4 euros de l’heure), leur imposant des statuts d’indépendant, des indemnisations avec des bons d’achat, etc.
Visite mystère et travail dissimulé
Conséquence de cette pression sur les coûts salariaux des clients mystère : une baisse de la qualité des prestations, des discours qualitatifs qui ne passent plus à cause d’une concurrence déloyale. En somme l’émergence d’un low cost passant par de l’abattage et des pratiques commerciales border line accompagnées d’un manque à gagner pour l’Etat (fisc et URSSAF).
Aurélien Daussy, Directeur Associé de Qualivox, répond en exclusivité à nos questions après avoir levé ce lièvre…
Quel pourcentage pèsent les coûts salariaux dans une visite mystère ?
Suivant les volumes de visites mystères confiés par nos clients, le coût du client mystère (salaire, charges sociales, frais de déplacement) représente entre 30 et 60% du prix facturé à notre client. A cela s’ajoute le coût de la gestion des salaires (contrats, DUE, bulletins de salaire, etc.) que nous estimons entre 8 et 13% du prix.
Quels sont les artifices utilisés par certains prestataires de visite mystère pour diminuer ces coûts ?
Les astuces sont de deux sortes :
- Le prestataire agit en apparence conformément à la règlementation, c’est-à-dire en employant son enquêteur client mystère dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée d’usage. Néanmoins, il propose une durée de travail manifestement inférieure au temps que passera le client mystère à la réalisation de sa mission. En effet, une mission en tant que client mystère se fait en 3 étapes : briefing sur la mission (lecture d’un brief écrit et éventuellement briefing téléphonique suivant les prestataires), déplacement et réalisation de la mission sur le lieu du point de vente, puis rédaction du rapport de la visite mystère au retour à domicile. Certains prestataires n’hésitent pas à annoncer des rémunérations nettes entre 5 et 10 €, soit entre 30 minutes et une heure. Cela ne prend bien évidemment pas en compte le temps passé à domicile.
- Le second procédé, et de loin le plus « avantageux » pour le prestataire, est de dédommager les clients mystères sous forme de bons d’achats ou chèques cadeaux. Certains vont même jusqu’à émettre des virements bancaires comme un salaire, en reportant sur le client mystère l’obligation de payer les charges sociales. Cela permet de décharger l’entreprise de ses responsabilités mais reste bien entendu illégal, du fait que tous les clients mystères employés ne sont pas auto-entrepreneurs.
Quel est l’impact commercial de ces pratiques pour les sociétés qui travaillent dans le respect des normes sociales ?
Les prestataires qui ont recours aux méthodes précédemment évoquées vendent une prestation sur laquelle ils réduisent au maximum leurs charges. Les sociétés qui respectent les normes sont donc confrontées à une concurrence déloyale, puisque que l’exercice de la libre concurrence est faussé par des pratiques illégales et répréhensibles (travail dissimulé). Il en résulte que les tarifs proposés par les prestataires loyaux sont généralement supérieurs aux tarifs des sociétés déloyales.
En outre, il est évident que le niveau de qualité de la prestation en pâtit : en effet, comment exiger d’un client mystère rémunéré 5 € nets pour une mission qui lui prendra au bas mot 1h30 un rapport de qualité ?
Comment un annonceur peut-il estimer qu’un prestataire en visite mystère ne franchit pas ces seuils plancher ?
En premier lieu, l’annonceur doit s’assurer que le client mystère qui interviendra pour lui est bien employé dans le cadre d’un contrat de travail. Une simple recherche sur Internet permettra de connaître les modalités d’emploi du client mystère par les différents prestataires du marché, puisque ces pratiques ne sont jusque-là que peu dissimulées.
Dans un second temps, l’annonceur doit demander au prestataire de s’engager contractuellement sur la durée de travail contractuelle prévue pour chaque mission. Cette durée doit bien évidemment tenir compte du travail préparatoire, du temps passé sur le terrain puis pour rédiger le rapport.
On sait que la loi impose à tout donneur d’ouvrage l’obligation de s’assurer que son cocontractant rempli ses obligations légales en matière de travail dissimulé, sans quoi il peut être accusé de défaut de vigilance. Ainsi, l’annonceur pourra vérifier que le contrat qui le lie avec son prestataire mentionne bien les engagements en matière de respect de la législation du travail. Une attestation établissant la réalisation du travail par des salariés employés régulièrement peut-être demandée par l’annonceur tous les 6 mois.
Suggérez-vous une charte de bonne conduite des annonceurs et des prestataires ? Quels en seraient les principaux points d’articulation ?
Je ne suis pas sûr qu’il soit possible de convaincre tous les acteurs du marché de suivre une charte de bonne conduite, d’autant que certains prestataires sont basés à l’étranger.
Néanmoins, j’invite les prestataires à communiquer auprès des annonceurs sur les pratiques du marché, car le client final n’est jamais informé des aspects contractuels avec le client mystère. Il est ainsi indispensable d’être transparent sur :
- Le montant net gagné par le client mystère ;
- Le paiement ou non des charges sociales ;
- Les frais annexes remboursés (indemnités kilométriques, achats, etc.).
Mais l’annonceur et le prestataire ne sont pas les seuls acteurs qui peuvent influencer le marché : il revient également au client mystère de refuser des missions proposées dans les conditions que j’ai pu détailler. Mais les agences peu scrupuleuses surfent sur le chômage en hausse et que de plus en plus de personnes sont prêtes à accepter des missions sous-payées pour boucler les fins de mois.
Kraska
5 novembre 2012 à 22:56
Vraiment bravo pour cet article on ne peut plus près de la vérité….. je suis titulaire CE et suppléant DP dans une société de sondage. Il y a beaucoup de travail à faire pour améliorer les conditions de travail des enquêteurs mystère. Nous dépendons d’une convention syntec annexe 4 qui permet tout et n’importe quoi…. voilà d’ou vient le grand mal. Et le contrôle du temps passé n’est pas activé par les instances protectrices du droit du travail.