Marché en plein devenir, le multimédia n’attire pas encore beaucoup de licences. Tout reste à construire pour que la licence trouve sa juste place dans ces nouveaux univers du jeu.
A l’heure où les technologies numériques évoluent de jour en jour, dresser un état des lieux des jeux présents sur les nouveaux supports multimédia relève du défi. Une certitude domine toutefois, les licences qui les accompagnent sont encore très timides au regard des enjeux mis en œuvre. A leur décharge, l’univers qui s’ouvre devant elles se montre à la fois gigantesque, souvent hostile et pour le moins incertain. « Les tablettes numériques sont apparues il y a à peine deux ans, rappelle Eric Nguyen, directeur marketing d’Anuman. Avec déjà plus de 100 000 applications, l’IPad domine actuellement le marché, grâce à sa plateforme de téléchargement AppStore et à la simplicité d’utilisation qu’elle a générée. Imaginez que nous avons vécu une véritable révolution numérique en moins de dix ans. Au début des années 2000, nous vendions des jeux PC emballés dans des boîtes carton que nous expédiions par courrier aux joueurs les plus avertis. Aujourd’hui, avec les nouveaux supports multimédia qui se sont multipliés et la facilité de téléchargement qu’apportent les plateformes, les jeux attirent une population de plus en plus large, composée à la fois d’hard core gamers, et de joueurs occasionnels ». A ce jour, sur les 350 applications développées par Anuman depuis 2008, une soixantaine seulement affiche les couleurs d’une licence. Côté cible, les applications visent large, du plus jeune enfant à partir de 3 ans, jusqu’au senior féru de décoration intérieure. « Sur une majorité de jeux sur tablettes, nous pouvons affirmer qu’il existe une mixité quasi-parfaite », ajoute Eric Nguyen.
Licences, multimédia et digital : de nouveaux enjeux
Face à ce nouveau paysage numérique, c’est aussi le monde de la licence qui voit ses règles remises en question. Le support numérique dicte d’autres contraintes. « Il ne suffit pas de dupliquer une image pour développer un jeu pour le numérique, rappelle Sébastien Doumic, directeur marketing chez Ouat. C’est un nouvel univers dans son entier qu’il faut recréer, imaginer de nouvelles situations, et étoffer le profil des personnages. Par ailleurs, la dimension universelle du Net ajoute une donnée supplémentaire. Les licences n’ont pas toutes une audience internationale. Pour certains détenteurs de licences, la question se pose : l’investissement nécessaire pour se développer sur le net mérite-t-il d’être engagé ? »
A titre de comparaison, les plus gros succès recensés dans le segment des jeux vidéo ne sont pas sous licence. Dans ce contexte, force est de constater que la plupart des développeurs de jeux pour plates-formes numériques préfèrent créer leurs propres jeux plutôt que de s’adosser à une licence, aussi puissante soit-elle. « La licence constitue un choix à double tranchant ; elle peut à la fois limiter le développement d’un jeu ou en être un formidable accélérateur de notoriété, poursuit Sébastien Doumic. Avec une licence, vous attirez tous les fans de la propriété, mais vous vous coupez d’une partie des joueurs qui pourraient apprécier le jeu. Ils ne vont pas l’essayer parce que la licence ne leur plaît pas, ou parce qu’elle pourrait « ternir » leur image auprès de leur entourage. L’exemple est encore plus parlant quand on l’applique aux médias sociaux comme Facebook. Nous avons développé des applications jeux sur Facebook avec Totally Spies!. Peu d’hommes osent afficher sur leur mur personnel qu’ils jouent avec les Spies… Et pourtant beaucoup en apprécient les jeux ! »
Reste encore à maîtriser la multiplicité des supports numériques. Si les ventes de consoles classiques de jeux se tassent, elles constituent toujours un marché à part entière, aux côtés de celui des ordinateurs portables, des tablettes numériques, et des différentes plateformes, sans oublier les medias sociaux. Si pour le moment Apple domine un segment, les autres acteurs (Androïd, Archos, Windows, Dell Streak, Kindle, RIM…) n’ont pas dit leur dernier mot. En regard, la licence tentée par cet univers virtuel doit choisir ou doit prévoir de se développer sur une majorité de supports.
Un modèle à inventer
Alors que peu de licences sont présentes sur les supports multimédia, chaque jour de nouvelles annonces sont faites : Dofus (Ankama) sur IPhone, Gameloft qui élargit son offre mobile avec Harry Potter, Assassin’s Creed Revelations, ou Lego Batman, World of Warcraft (Blizzard) qui serait sur le point de signer avec AppStore, tout comme Nintendo (Pokémon)… De son côté, Moulinsart, qui a déjà conclu un accord avec Dujardin pour un Mille Bornes aux couleurs du héros de bandes dessinées Tintin, aurait décidé aussi de se lancer sur tablettes numériques à travers l’AppStore. TFou vient, par ailleurs, de basculer ses programmes sur ce même format. Dans la même logique, MTV et tous les programmes Nickelodeon, Bob l’Eponge et Dora en tête, adoptent des recettes similaires. Ils viennent de signer avec Samsung pour un développement sur les nouvelles tablettes Galaxy 10.1 et 8.9 sous format Bada. « Additionner les supports et se contenter de dupliquer des modèles ne fait pas beaucoup avancer le marché, explique Laurent Taieb, VP Nickelodeon Consumer Products South. De notre côté, nous cherchons à donner toujours plus de créativité aux enfants et aux parents. Et la multiplication des supports nous permet de répondre à cet objectif en apportant en permanence du contenu additionnel. Nous pensons, par ailleurs, que nous devons être présents sur tous les supports parce que notre cible est elle-même consommatrice de tous ces supports ».
Pour autant, cette course à l’innovation est-elle rentable pour l’ayant-droit ou le détenteur de licences ? « Ces nouveaux modèles coûtent cher à développer en amont, et également en aval puisqu’il faut sans cesse enrichir les contenus, n’hésite pas à affirmer Patricia de Wilde, Senior VP Consumer Products – Marathon Media. Il faut donc réinventer de nouveaux modèles économiques, et sans doute très ciblés par type de propriétés ». Si Patricia de Wilde se félicite du succès de « Où est Charlie ? » avec plus d’un million d’unités vendues dans le monde, elle pense aussi qu’il faut aller plus loin. « Cette licence reste exceptionnelle, car non seulement elle se prête bien à ces nouveaux supports mais elle est également connue partout dans le monde », précise-t-elle.
Avec Totally Spies (cf. têtière) et le nouvel accord signé avec Ouat et La Redoute, Marathon Media semble avoir trouvé une solution, en initiant carrément un nouveau modèle économique, aux revenus qui s’annoncent plus confortables. En se lançant dans le « social gaming », ce sont plus d’un million de joueurs français inscrits sur Totally Spies ! Fashion Agents qui vont s’additionner aux 700 000 fans Facebook de La Redoute, et donc autant d’acheteurs potentiels des garde-robes des trois filles agents secrets. Des marques de mode comme Morgan, Guess, Esprit ou Ray Ban ont décidé de se lancer dans l’aventure. La cible visée est clairement établie : les jeunes femmes de 18 à 34 ans. « Avec ce nouveau modèle, nous donnons aux marques l’occasion d’entrer dans une nouvelle relation d’intimité avec le joueur, conclut Patricia de Wilde. Une relation inédite à ce jour ». Tablons que le pari est d’ores et déjà gagné et qu’il suscitera rapidement de nombreuses autres déclinaisons, toutes plus ciblées les unes que les autres, redonnant ainsi aux acteurs du monde de la licence des occasions de bénéficier de nouveaux leviers de croissance.