Le Made in France est-il un concept trompeur ? Que laisse-t-il entrevoir derrière le rideau de l’idéologie et des stéréotypes ? Que promet-il par son slogan et quelle vision du monde impose et propose-t-il ? Ces angles et postures semblent permettre au Made in France de se développer économiquement, d’être vendeur. En toute pérennité ?
Le Made in France entre réalité, fiction et synecdoque
Le Made in France n’est pas qu’un concept (qui est une idée). Le Made in France est parfois une réalité… et une fiction.
- Réalité pour les entreprises qui ajoutent de la valeur à leurs produits par cette forme de « marque »
- Une forme de fiction car seuls les labels « Origine France Garantie » ou « indication géographique France » (Loi Hamon, juin 2015) font foi
- Une réalité-fiction lorsqu’un industriel fabrique en France des produits conçus ailleurs (automobile).
Concept, idée, le Made in France est aussi une figure de style. Plus précisément, c’est une synecdoque qui considère la partie (quelques produits nativement porteurs du Made in France) pour le tout (tous les produits élaborés en France ont capacité à être Made in France). Et les bras du fauteuil ne sont pas le fauteuil…
Globalisation, indigence et lacunes
Trois éléments se cachent sous le terme Made in France…
Une étiquette globalisante. Si c’est Made in France, ça veut dire quoi ? Un produit de qualité ? Cher ? L’étiquette Made in France colle à tous les produits, avec les atouts et les inconvénients de la production sur notre territoire.
L’indigence marketing. Si le Made in France est le seul argument différenciant et convaincant d’un entreprise, elle a des soucis à se faire sur sa proposition de valeur.
Les lacunes de la politique industrielle française (chaussure, lingerie…), en faisant peser sur les individus le poids de décisions que l’État n’a pas su / pu / voulu prendre. En somme, sauver le travail et le savoir-faire français passe par nos emplettes. Un air de déjà vu dans les années 90…
Le Made in France est un concept tautologique et bégayant qui laisse penser que dire c’est avoir fait, alors que le Made in France ce n’est que redire et laisser à revoir.
Le made in France, un bon slogan ?
Slogan vient de schlagen en allemand, qui signifie frapper. Un bon slogan doit donc être percutant.
Alors le Made in France frappe-t-il ? Par sa différenciation ? Par son décalage ? Non !
Par son appui sur des stéréotypes culturels et de l’idéologie ? Oui !
Ce slogan semble dire deux choses :
- Produisons en France. Une invitation à ne pas se laisser vaincre par la mondialisation, à défendre notre patrimoine, à conserver nos emplois. Qui peut être contre cela ? C’est de l’idéologie culpabilisante. Selon cette approche, pour être un bon français, il faut produire des produits français, à l’image du « produisons français » des années 70
- Produit en France. Cette caution porte naturellement sur les produits les plus attribuables à la France : les parfums, les fromages, les vins, la mode… Quant aux autres secteurs, comme l’électronique, c’est plus vague, ou plus complexe, à l’image de l’automobile. Ce sont des stéréotypes s’appuyant sur l’image de soi, l’image idéalisée : pour être un bon français, il faut acheter français.
Si le Made in France est un bon slogan politique, est-il vendeur côté marketing ?
Le Made in France : vendeur ?
Le français est amateur de produits Made in France. Pourrait-il acheter plus de produits Made in France ? Certainement. A la condition que le supplément de prix payé pour un produit Made in France ne dépasse pas un certain niveau par rapport aux produits non estampillés Made in France. Cet écart s’appelle la valeur.
Plus le Made in France sera une valeur pour les consommateurs, plus ils seront prêts à la payer cher. Mais certains consommateurs pensent que le Made in France, « c’est cher pour ce que c’est », surtout pour le non alimentaire. Cela induit donc des achats moindres.
Pis, entouré de doutes, le consommateur se demande parfois si le Made in France… est bien produit en France, créant ainsi des freins à l’achat. Cela est surtout notable pour des produits peu concernés a priori, dans l’esprit commun, par le Made in France : pâte à tartiner, ceintures en cuir… Le soupçon peut aussi émerger lors de l’achat de marques utilisant les couleurs du drapeau voire leur nom, la devise de la République, etc., sans parler des contrefaçons aux étiquettes MIF trompeuses, ajoutant à la confusion et décrédibilisant l’ensemble.
Cela nécessite de la part des « vraies » marques Made in France des explications… qui illustrent la faiblesse de la caution du Made in France qui, normalement, devrait être un accélérateur motivationnel, pas un doute supplémentaire.
Enfin, le Made in France est-il plus vendeur qu’un made in England pour des chaussures en cousu Goodyear ? Et que le Made in Swiss pour des montres ?
Donc, le Made in France est vendeur pour les produits qu’il abrite (ombrellisation) naturellement. Quant aux autres, c’est plus difficile.
Motivations à l’achat du Made in France
Quatre principales motivations, parfois cumulées, peuvent être relevées quant à l’achat de produits provenant de France.
Le consommateur s’achète un comportement vertueux, responsable, tant égoïste que d’affichage en direction de ses amis ou de sa famille. Un exemple d’objet Made in France d’affichage : la marinière.
Il achète une idéologie, il la ratifie. Une idéologie mêlant résistance et défense contre la mondialisation ennemie. Avec des motivations politiques allant de l’extrême droite à l’extrême gauche, avec, à la clé, du « marketing identitaire », du « marketing national ».
Il achète un totem, un grigri pouvant le protéger des coups de boutoir d’un monde liquide qui lui échappe. Alors cet achat, cet objet, c’est un mélange de ses souvenirs et de son présent. Une vraie réassurance, celle d’un savoir-faire ancestral français dont l’antériorité semble garante de sa durabilité.
Enfin, il achète un produit qui, de plus, est produit en France, avec tous les symboles induits : tradition, provenance locale… Si cela va de pair avec les Appellations d’origine contrôlée, pour le reste, le Made in France est du Made in Nostalgie qui conduit à acheter un concept lacunaire en regardant dans le rétroviseur.
Qu’achètera le consommateur dans le futur ?
Il est urgent de se demander comment le Made in France pourrait couvrir un éventail plus large de produits. Et de produits plus modernes, moins hérités d’une France musée à ciel ouvert que d’une France redéployée capitalisant sur ses racines.
Et si la référence n’était plus le Made in pays, mais le Made in Europe, Made in UE comme en aéronautique ? Cela pourrait avoir comme objectif de rééquilibrer les forces face à l’Amérique et à l’Asie.
C’est ainsi que se créent les vraies marques : les pieds dans un savoir-faire traditionnel, la tête dans les nuages. Et pas seulement dans le drapeau.
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Cet article est la version longue de l’interview donnée à Bruno Duvic, de France Inter, pour son émission Un jour en France, diffusée le 3 novembre 2015.
Pour aller plus loin :
- Marketing de la provenance et de l’origine géographique (dossier)
- Made in France : vraie valeur ou vraie cosmétique ?
- L’Indication Géographique : naissance d’un nouveau droit de propriété industrielle
(c) ill. Shutterstock
Cet article sur le MIF n’a pas de rapport avec un film éponyme : Made in France est un film français réalisé par Nicolas Boukhrief, sorti sur les écrans le 18 novembre 2015 (1h34min). Le pitch De Pretty Pictures : Sam, journaliste indépendant, profite de sa culture musulmane pour infiltrer les milieux intégristes de la banlieue parisienne. Il se rapproche d’un groupe de quatre jeunes qui ont reçu pour mission de créer une cellule djihadiste et semer le chaos au cœur de Paris. Bande originale : Robin Coudert. Acteurs : Malik Zidi, François Civil, Dimitri Storoge…