En matière de collecte de dons, l’enjeu de MSF est d’aller chercher de nouveaux profils, non donateurs. Marie-Charlotte Brun, Directrice adjointe de la collecte de fonds privés, Médecins sans Frontières MSF, dévoile son dispositif d’acquisition et de fidélisation mobilisant des outils digitaux et traditionnels.
Le marketing direct sur la cible des donateurs : toujours aussi efficace ?
La collecte de fonds privés, de manière générale chez MSF, est absolument clef et décisive : l’indépendance d’action que nous revendiquons est permise par un financement émanant en écrasante majorité par des fonds privés (96,3% de nos ressources sont d’origine privée). Pour continuer à la garantir, nous avons mis en place, depuis plus de vingt ans, un modèle et une mécanique basés essentiellement sur la sollicitation, en marketing direct, du grand public. Aujourd’hui, sur l’ensemble des ressources collectées en France, 83% émanent des actions de marketing direct. Plus de 530 000 donateurs individuels soutiennent nos actions, et, fait saillant, plus des 2/3 d’entre eux sont des donateurs réguliers, ayant décidé de nous soutenir par le biais de dons mensuels par prélèvement.
Par ailleurs, le marché du « don » est plutôt stagnant et mature en France et la croissance des dons est « organique », drivée non pas par la croissance du nombre de donateurs, mais par celle du montant moyen des dons. C’est un marché atone, avec un profil de donateur assez traditionnellement stable et ancré sur des personnes plutôt senior, très urbaines, CSP+. Les plus jeunes sont très peu représentés. Il faut également tenir compte du fait que les habitudes de « paiement » du don n’évoluent pas (le chèque est ultra majoritaire, la croissance du don on line complètement décrochée par rapport à celle du e-commerce). Enfin, pour MSF, l’aide d’urgence internationale est bien loin d’être la cause prioritaire pour les français.
En parallèle, les budgets opérationnels pour les missions menées par MSF sur le terrain connaissent une croissance exponentielle, liés à des terrains de crise et d’urgence toujours plus complexes et chroniques, tandis que nous nous engageons également sur des projets de moyen/long terme ambitieux et coûteux (recherche médicale, engagement dans des structures hospitalières, prise en charge de pathologies lourdes etc…)
Partant de ces constats, les enjeux pour nous sont pour nous de trouver de nouveaux relais de croissance, tant par le biais du mix marketing employé, que pour les cibles et le profil des donateurs, sans s’aliéner le soutien de nos donateurs historiques. Pour l’acquisition, nous investissons de manière massive sur les canaux à même de permettre le recrutement de donateurs jeunes et fidèles (digital, street-fundraising). Pour le mix marketing « traditionnel », en déclin (rendements en baisse sur le print, contacts en télémarketing de moins en moins performant, du fait de la sur-sollicitation de cibles identiques), il nous faut innover et imaginer d’autres moyens de créer du lien entre nos donateurs et notre association, dont l’action est par définition lointaine, peu « palpable » et portée par la figure iconique de nos médecins.
Comment augmenter la part des dons générés via Internet ?
La croissance des dons en ligne est une réalité, même si bien moins importante que la croissance du e-commerce. Aujourd’hui, environ 20% des dons ponctuels sont réalisés sur notre site internet. Le montant de la collecte en ligne a doublé entre 2012 et 2014, même si on partait de loin !
Le digital ouvre de réelles perspectives en termes de communication et de collecte. Mais il ne faut l’envisager comme un canal parmi tant d’autres au sein du mix marketing. C’est une stratégie à part entière, qui bouscule les équilibres en place et qui nécessite une expertise dédiée et des outils pointus. Investir massivement en visibilité, driver du trafic qualifié sur notre site web, identifier le mix de canaux on line permettant de favoriser les conversions et l’acte de don, multiplier les points de contact, s’adjoindre les nouvelles opportunités offertes par les audiences sur les réseaux sociaux et monitorer au plus fin et plus précis les résultats sont autant de mesures nouvelles mises en œuvre. S’agissant de notre plan relationnel et du mix marketing, nous faisons évoluer nos cycles relationnels, pour intégrer ou substituer certaines sollicitations en digital.
Mais le défi pour nous, c’est d’assurer une croissance de ce canal tout au long de l’année, et pas uniquement en cas d’urgence médiatique ou sur le mois de décembre, où nous réalisons 50% de la collecte annuelle on line ! C’est donc une stratégie au long cours : il faut changer les habitudes pour nos donateurs existants, capter de nouvelles audiences, qui ont des cycles de décision plus longs. Il faut multiplier les points de rencontre, trouver le bon équilibre entre sollicitations purement relationnelles et appel aux dons. On ne peut pas se permettre d’arroser purement et simplement des emails, chaque prise de parole doit correspondre à une réalité.
Les dons par Internet concernent-ils les cibles traditionnelles de l’association ?
En partie oui. La croissance constatée des dons en ligne est liée à un effet de report de certains dons réalisés anciennement par des moyens de paiement traditionnel. Ce que nous savons de nos donateurs « internautes » c’est qu’ils ne sont pas tellement différents de nos donateurs traditionnels. Ils sont peut-être un peu plus jeunes que la moyenne de nos donateurs (50 ans contre 55 ans sur nos donateurs « traditionnels » réguliers, ce qui est déjà plus jeune que la moyenne française), davantage urbains et surtout parisiens, et logiquement beaucoup plus acheteurs sur internet.
Puisqu’il n’y a donc pas de « grand écart » entre nos cibles traditionnelles et nos cibles de donateurs internautes, la cohabitation dans notre stratégie est préservée.
L’enjeu pour nous est donc davantage d’aller chercher de nouveaux profils, non donateurs.
Quel est votre principal outil de marketing digital en matière de recrutement de donateurs individuels ?
Il est assez difficile d’isoler un unique canal, puisque notre expérience est que les canaux digitaux (référencement, display, retargeting, emailing, visibilité diverses sur les réseaux sociaux), ont tous un rôle à jouer dans le tunnel de « conversion » des donateurs, et derrière, en fonction des logiques d’attribution, on peut trouver des résultats assez différents !
Néanmoins, une chose est certaine : la professionnalisation de notre marketing digital a clairement permis un saut qualitatif (en termes d’analyse, de tracking etc…) et quantitatif (en termes de volume collecté on line). Le premier chantier a bien sûr et naturellement été celui de l’investissement en référencement (SEO/SEM), qui drive l’essentiel de notre collecte.
L’enjeu principal reste celui que l’ensemble de nos initiatives digitales doivent être coordonnées et partagées par l’ensemble des fonctions de notre association : si la collecte de fonds privés est un objectif, toutes les initiatives de communication pure, qui relèvent de notre mission sociale (rendu de compte sur nos actions, RP, publication de papiers de recherche, advocacy) doivent être intégrées. En cela, l’adaptation de nos supports (dont notre site web), la gouvernance des réseaux sociaux, l’équilibre à trouver entre différents impératifs, priorités et public cible, sont des enjeux majeurs en termes d’image et de fundraising.
Comment mesurez-vous l’efficacité des campagnes marketing et communication que vous menez ?
Le pilotage de nos actions et la mesure de leur efficacité est une préoccupation constante, à plusieurs titres. D’une part parce que, par définition, notre budget dédié aux actions de collecte de fonds (que je distingue volontairement du budget lié aux actions de communication, partie intégrante de notre mission sociale) n’est pas extensible : notre engagement est de dédier l’essentiel de nos dépenses à nos missions de terrain, et pas à des investissements de collecte. En 2015, moins de 4% de nos dépenses concernaient les dépenses de collecte de fonds privés. Le pendant de ce premier constat est que nous devons tirer le meilleur « profit » de l’euro investi, et être efficace, pour générer des ressources qui permettront de financer nos opérations de terrain. Le dernier élément concerne la mesure du risque et la prévisibilité de nos sources de collecte, pour permettre la conduite de nos missions.
A l’aune de ces contraintes, nous allons veiller, au-delà du rendement primaire des campagnes et d’indicateurs de don moyen, au retour sur investissement (ROI), à la « marge » générée, et également, de plus en plus, à la valeur à long terme de nos actions : combien de temps un donateur recruté en année N va rester à nos côté et nous soutenir ? Nous avons un œil extrêmement attentif sur l’attrition et le taux de fidélité de nos donateurs, notamment au fur et à mesure que nous activons des canaux de marketing direct qui vont faire rentrer des donateurs plus jeunes, plus volatiles.
Quelle OP marketing récente pouvez-vous ériger en business case incontournable ?
Si je devais citer une initiative récente réellement innovante, j’aimerais évoquer la campagne de fin d’année 2016, qui sera lancée le 21 novembre prochain. Il s’agit d’une opération digitale à l’attention d’un public jeune. Pourquoi investir sur cette cible ? Parce que nous cherchons à mobiliser de nouveaux soutiens et que les jeunes sont d’une part les donateurs fidèles de demain, mais aussi une cible peu et mal travaillée par la plupart des associations. Or les jeunes, autant que leurs aînés, sont généreux et prêts à s’engager*. Ils sont justes moins à l’aise financièrement, davantage contraints que les plus de 50 ans. Et ils se disent mal informés par les ONG. Les études nous indiquent que la génération des 18-35 ans globalement nous connait mal. Elle ne sait rien ou presque des valeurs de MSF, de son mode d’action. Contrairement à la génération des 60s et des 70s qui a grandi avec MSF, les jeunes n’ont pas connu MSF autrement que comme une organisation internationale, comparable aux UN. Pourtant nous avons beaucoup d’atouts pour séduire cette population : nos principes, nos valeurs (et l’indépendance en particulier, que nous avons placée au cœur de notre discours) et la modernité de notre projet doivent nous permettre d’établir des liens avec les jeunes.
Dès lors, il s’agit pour nous d’engager un public qui ignore tout de l’univers de MSF (valeurs, sources de financement, actions) d’une part en mettant au cœur de cette campagne une valeur fondatrice de MSF et qui parle aux jeunes : l’indépendance, en expliquant à quel point elle est essentielle et justifie l’appel à la générosité (vocation pédagogique) ; d’autre part en les incitant à s’orienter sur un don « Feel good » en accord avec leur propre univers de communication et de consommation (vocation d’activation).
Cette campagne s’articule donc autour d’une plateforme de crowdfunding (independance.msf.fr), permettant aux donateurs de contribuer au financement de notre indépendance. Comme dans tout dispositif de crowdfunding, nous proposons, au titre de « récompenses symboliques » en retour des dons réalisés, des contreparties inattendues et inédites : ces récompenses peuvent être soit matérielles (nous avons établi des partenariats avec des marques, artistes et personnalités en affinité avec MSF et notre public cible qui ont créé des éditions limitées pour la campagne de multiples produits), soit immatérielles, c’est-à-dire de l’ordre de l’expérience. Pour ces « expériences », l’objectif est de rapprocher le donateur de MSF, de nos volontaires, de nos médecins et de faire preuve d’une certaine dose de légèreté, d’autodérision, qui tranche assez clairement avec la tonalité de nos prises de parole, mais qui garde une authenticité et un lien avec ce que nous sommes. C’est le pari que nous faisons.
On s’appuie également sur la diffusion d’un « film événementiel » qui met en scène un jeune acteur français, Ahmed Dramé, qui nous soutient et accompagne sur cette initiative, en explicitant le pourquoi de cette campagne, de ce dispositif et son articulation avec la notion d’indépendance.
Les medias activés sont essentiellement digitaux, avec un relais social important (FB, Twitter, Instagram), du display, de la diffusion sur les plateformes telles que Youtube, de la visibilité en partenariat avec Konbini etc….). En offline, nous investissons en affichage guérilla marketing, en presse, et probablement, au gré des opportunités, en télévision, sur les chaînes en affinité avec la cible.
Pourquoi l’ériger en business case alors qu’on n’en connait pas encore l’issue ? Car nous pensons réellement que nous avons mené, grâce à l’agence qui nous a accompagnés, un travail réfléchi, documenté, précis et méticuleux sur l’élaboration de l’idée créative et des ingrédients de la campagne, que nous mettons en œuvre un dispositif franchement inédit, avec une idée et une déclinaison créatives originales et adaptées, en accord avec nos principes et nos valeurs.
L’objectif « symbolique » est fixé à 1 million d’euros, mais c’est l’attrait et l’écho favorable auprès des jeunes qui nous permettra d’en mesurer le succès, avant tout !
Que manque-t-il à MSF pour développer un marketing que vous estimez performant ?
Indéniablement, nous devons poursuivre nos efforts la question du digital en général, pour en faire un canal incontournable et prioritaire de nos actions. Cela passe, outre l’acquisition d’une culture digitale en interne et d’un renforcement de ces compétences, par la révision de notre mix-marketing, l’adaptation de nos cycles relationnels, et l’amélioration de notre capacité d’innovation et de test & learn. Cela va de pair avec le fait de se doter d’outils de pilotage et d’aide à la décision plus robustes, adaptés à ce media réactif et quasi instantané.
La question du renouvellement de notre cible (notamment celle des jeunes, mais uniquement), est également clef pour garantir, sur le long terme, une collecte de fonds efficace et pérenne, permettant de trouver des relais de financement et de croissance pour financer nos opérations de terrain.
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Un article de notre dossier Marketing & secteur caritatif
* Etude Médiaprism pour France Générosité, octobre 2016
© photo interviewée : Virginie Amehame Troit/MSF © ill. Depositphotos