Deux cultures différentes, voire opposées peuvent-elles se réunir dans les salles obscures ? Le cinéma français et son exception culturelle sembleraient plaire au pays du Soleil Levant. État des lieux du marché cinématographique chinois.
211,3 millions d’euros de recettes ! L’année 2012 reste en mémoire comme exceptionnelle pour l’exportation du cinéma français. C’est aussi l’année du nombre record d’entrées réalisées par les films français à l’étranger. Avec 144,1 millions d’entrées, (+93,8 % par rapport à 2011) les films français ont attiré plus de spectateurs à l’étranger qu’en France (83,3 millions) ! 2013 aura été plus morose : UniFrance films, organisme chargé de promouvoir le cinéma français à l’étranger, a annoncé une baisse de 65% du nombre d’entrées à l’étranger. Toutefois l’organisme souligne l’exception de la Chine où le cinéma français a atteint un record de fréquentation avec près de 5,2 millions d’entrées. La Chine, nouvel Eldorado de notre cinéma national ?
Le cinéma chinois explose !
2013 a marqué les esprits. La Chine est devenue le 2ème plus important marché mondial du cinéma ! Le pays a, semble t-il, eu la chance de bénéficier d’une baisse des recettes aux USA et d’une baisse de la fréquentation en France. Ainsi, le box office chinois a vu ses recettes progresser de 36% (soit 11 milliards de Yuans soit 1,36 milliard d’euros) par rapport à 2012. Le marché cinématographique chinois explose littéralement et voit s’ouvrir 10 écrans par jour ! Autant dire que le septième art a un bel avenir devant lui dans l’Empire du Milieu.
Cette croissance laisse les Chinois rêveurs, voire ambitieux. En effet, Ang Lee, réalisateur taïwanais double oscarisé, assure que le cinéma en langue chinoise rapportera plus d’argent qu’Hollywood dans une dizaine d’années. Prétention ? Peut-être pas… Avec quatre fois plus de personnes qui parlent le mandarin que l’anglais, il y a des chances que cela arrive. Il est donc grand temps de poser notre regard sur ce géant qui nait.
Ivy Zhong, vice président de la société Galloping Horse a d’ailleurs annoncé à The Hollywood reporter que le pays cherche « des projets prometteurs. Pas seulement en Chine, mais partout dans le monde ».
Le cinéma chinois, devant Hollywood ?
Pas certain ! Si la Chine représente de belles opportunités de business, le pays reste fermé, protectionniste, censuré. Lʼintervention, en 2010, du célèbre écrivain et blogueur chinois Han Han lors d’un forum sur la culture donne un aperçu du niveau de liberté d’expression du pays : « Chers dirigeants ici présents, chers professeurs, chers camarades de classes, bonjour. Savez-vous pourquoi la Chine ne pourra jamais être un grand pays au sens culturel ? Cʼest parce quʼon commence toujours un discours par chers directeurs ici présents alors que la plupart des directeurs n’ont aucun sens de la culture. Ils ont peur de la culture, ils censurent la culture mais en même temps ils peuvent contrôler la culture. »
Demandez également à la liste des courageux qui attendent désespérément qu’on produise leur film ou quʼon accepte leur scénario, vous aurez un aperçu de la situation. Intégrer le marché culturel en Chine n’est pas chose facile. Le financement, la censure sont très dissuasifs. Le système de régulation est intraitable et surveille de près les industries culturelles. Le pays oblige l’obtention dʼinnombrables permis avant de commencer à produire le moindre contenu culturel. Le gouvernement autorise seulement une cinquantaine de films étrangers par an, majoritairement des blockbusters américains avec une garantie de recettes.
Et pour cause, le bureau du cinéma du SARFT (State Administration of Radio, Film and Television) est partout et respecte des règles strictes. Son but ? Donner une image positive, saine et vierge de toute forme dʼillégalité, dʼimmoralité ou « dʼanormalité ». Donc pas de drogue, de mafia, dʼhomosexualité ou de prostitution. La règle d’or est de ne pas porter atteinte à l’honneur national.
Et pour ceux qui arriveraient à passer tous ces obstacles administratifs, le gouvernement chinois a la solution. Les périodes de fortes fréquentations des salles, comme décembre, la Saint-Valentin et l’été, ont été décrétées « mois du cinéma chinois » ou réservées aux films nationaux.
Cette ambiance presque contreproductive a de lourdes conséquences sur le marché du cinéma chinois. L’innovation reste marginale, et c’est finalement l’imitation qui est favorisée. C’était le cas des industries culturelles japonaises et coréennes qui, en se focalisant sur l’imitation, avaient obtenu de beaux succès. Néanmoins, ces pays ont su prendre la voie de lʼinnovation contrairement à la Chine qui reste encore enfermée dans un modèle de dépendances au déjà fait, au déjà-vu qui rassure le gouvernement.
Si la Chine reste frileuse en terme dʼinnovation culturelle et particulièrement cinématographique, ses spectateurs sont très réceptifs aux nouvelles technologies. Pour preuve, d’après lʼIHS Screen Digest, le continent asiatique compte plus de salles 3D que lʼensemble du continent américain, États-Unis inclus. L’Asie et particulièrement la Chine seraient lʼeldorado d’une 3D plutôt boudée en Europe.
Néanmoins, la France est loin d’être le pays de la réalisation 3D. Pourtant elle offre un avantage non négligeable dans un pays comme la Chine : éviter le piratage. Copiés illégalement dès leur sortie, la majorité des films ne survivent pas à ce marché parallèle. Le format S-3D ne permet pas, pour le moment, de reproduire chez soi l’expérience offerte en salle.
Autre point important, les producteurs et réalisateurs chinois reconnaissent la faiblesse de leur cinéma. Le producteur Jeffrey Chan rappelle que le cinéma chinois « est comme un garçon de 10 ans : plein d’énergie, mais encore brouillon. » Et devinez à qui il pense pour sʼaméliorer ? Les Américains ? En effet, mais pas seulement… Un peu plus long à réagir que les premiers, les Européens ont néanmoins fait émerger des projets grâce au lobby efficace du club des producteurs européens (EPC). C’est ainsi qu’en 2010, un accord de coproduction a été signé entre la Chine et la France. Un accord gagnant-gagnant : la France apporte ses compétences cinématographiques et la Chine ouvre son immense marché. Cet accord permet et permettra surtout aux films co-produits d’échapper aux quotas d’œuvres étrangères puisqu’ils auront la nationalité chinoise.
Maintenant, il va falloir batailler et redoubler de ruse et dʼingéniosité car avec lʼéternel coup dʼavance des Américains qui pèsent environ 40% du marché. A cela sʼajoutent les 50% occupés par le cinéma local. Le reste du monde n’a plus qu’à se partager les 10% de « miettes » restantes ! Mais surtout, ce n’est pas parce qu’il y a (un peu) de place qu’on vous accueille à bras ouverts…
Le cinéma français, la tasse de thé des Chinois ?
Intellectuel, sombre, émouvant… voilà comment on qualifie souvent le cinéma français à lʼétranger. Les Chinois, très influencés par la culture américaine, peuvent-ils apprécier notre cinéma ? Il semblerait que oui : « Le Papillon » beau succès au box-office français (1,2 million dʼentrées) a connu une incroyable réussite en Chine. Plus de 10 millions de Chinois ont été spectateurs de cette œuvre. Pourtant, rien ne laissait prédire un tel succès puisque « Le Papillon » n’a pas été diffusé dans les salles de cinéma chinoises ! C’est grâce à la diffusion à Taïwan (en chinois) qu’une version piratée du film a vu le jour sur le net via des plateformes payantes telles que Yukou et Tudou.
Là aussi se trouvent de belles opportunités pour les films français et plus généralement les films étrangers. Si le gouvernement chinois se veut partout pour tout contrôler, il n’a pas encore trouvé le moyen dʼinterdire les diffusions de films sur le net via ce type de plateformes.
Mais au delà de cet exemple, regardons de plus près l’image de la France à lʼétranger et surtout auprès des chinois. Pour eux, la France rime avec sentiment et élégance. La culture française est un peu comme sa gastronomie. Qui oserait dire, voire même penser, que notre cuisine française n’est pas bonne ? Personne ! Notre cinéma c’est un peu la même chose…
L’image glamour, riche et raffinée des rois et reines de France est toujours vivace. La Chine associe lʼhexagone aux produits de qualité, au luxe, à la littérature, au vin et à la cuisine raffinée, que l’on retrouve souvent dans nos films. Cela pourrait paraître ennuyeux aux yeux de certains mais il suffit de regarder le nombre de touristes chinois que l’on croise chaque jour pour comprendre qu’ils ne sont pas du même avis.
Consciemment ou inconsciemment, le cinéma français livre des œuvres conformes à ce que le monde imagine de la France. Et finalement cela convient à tout le monde. Les étrangers sont heureux de voir une représentation fidèle à leur imagination et les français sont flattés de vivre dans ce pays tant rêvé par les autres.
L’année 2013 n’a fait que renforcer la volonté de la France de se faire une place au Soleil Levant. La Chine pourrait bien devenir le principal acteur du succès de nos films à lʼétranger. 2014 promet d’être surprenant !
Auteur : Hélène THOMAS – helene.thomas59000 [AT] gmail.com
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Un article de notre dossier Marketing & International
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Sources
- UniFrance, http://www.unifrance.org/
- CNC http://www.cnc.fr/web/fr/actualites/-/liste/18/4219948
- Nouvel Obs http://rue89.nouvelobs.com/chinatown/2010/02/04/pourquoi-la-chine-nest-pas-un-grand-pays-de-culture-par-han-han-136848
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(c) ill. Shutterstock – teenager girl watching the movie wear 3D glasses