Les marques cherchent à séduire. Selon Baudrillard, « La séduction est de l’ordre du rituel, le sexe et le désir de l’ordre du naturel », « l’amour naît de la destruction des formes rituelles, de leur libération. Son énergie est une énergie de dissolution de ces formes » (De la séduction). Mais le marketing lessivier, l’arrosage push sous lequel rien ne repousse, le capitalisme, critiqué par Z. Bauman, entre autres, sont passés par là.
Depuis, « Le capitalisme profanise l’Eros pour en faire du porno » (Byung-Chul Han, Le désir, p. 65) tue l’érotisme et le désir (p. 72) par overdose d’information. Trop d’information tue le fantasme. Autrement dit, la surinformation, l’infobésité, la sur-présence des marques, le concours de longue traîne (oups !) font le lit du porno. Pas du porno graveleux pour adultes. Non, du porno entendu comme informations hypertrophiées, multicastées, non filtrées en prise directe avec l’objet montré. Imposées. Le JT peut être porno. Une publicité pour parfum aussi, sans qu’aucun sexe ne soit aperçu…
Oui auxxx marques érotiques et erratiques
A l’opposé, les marques interstitielles effectuent un retour à l’Eros car sans Eros, prévenait Platon « la pensée perd toute vitalité, toute in-quiétude, elle devient répétitive et réactive » (cité par Han, p. 96). L’Eros développe le mystère (pas seulement de l’amour) et nimbe d’ombre la relation à l’autre : « Si on pouvait posséder, saisir et connaître l’autre, il ne serait pas l’autre ». L’Eros « met en marche une déreconnaissance de soi volontaire, un vidage de soi intentionnel » (Han, p. 19) ; en somme une marque souhaitant aimer son consommateur doit s’oublier, se placer au second plan, bannir les jugements hâtifs. La marque interstitielle accepte de ne pas connaître l’autre, le consommateur, la « cible ». Du moins pas intégralement ; pas complètement jusqu’à l’absorber. Car « posséder, connaître et saisir sont des synonymes du pouvoir » (Han, p. 34).
Est-ce pour autant la fin des préjugés des marques envers les consommateurs ?
Peaux Rouges, préjugés et ensauvagement
Olivier Razac, dans L’Ecran et le Zoo, rappelle que des Peaux Rouges ont été exhibés au Jardin d’Acclimatation en 1883. Ce que la foule venait chercher, ce n’était pas « la découverte de l’inconnu mais la confirmation des préjugés ». Au zoo, l’action, même issue d’un dressage, doit paraître authentique. C’est ainsi que les préjugés, tuteurs du réel, empêchent la nouveauté.
Les marques interstitielles se défient de tout préjugé envers les consommateurs. Elles deviennent alors « topistes ». Les topistes, relève Mona Chollet dans La tyrannie de la réalité, « partent des conditions existantes en essayant d’y apporter un regard neuf, en jouant avec pour découvrir les possibilités qu’elles recèlent » (p. 128). Tel est le principe même de la marque interstitielle : aimer le consommateur sans le consommer, privilégier un rapport érotique polysensoriel et ouvert, à un porno monosémique. Le challenge des marques sera donc d’apprendre à faire confiance au consommateur, de sortir de leur zone de confort (paid et owned) avec, à la clé, un énorme bénéfice mutuel : « Si l’on veut se donner une chance d’être heureux, il faut déserter le petit coin de vitrine dans lequel on nous invite à parader » (Mona Chollet) et prendre à contrepied les stéréotypes. Ainsi, en s’appuyant sur Olivier Razac, les marques interstitielles considéreront-elles que l’ensauvagement peut être une réponse à la domestication de nos vies ?
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Un article de notre dossier Consommation, aliénation ou libération ?
La marque interstitielle : définition du concept initié par Serge-Henri Saint-Michel.
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