Marketing stratégique

The Walt Disney Company : faire rêver est un métier

Disney s’est imposée comme une marque incontournable. Dévoilement du processus de création de valeur de la plus connue des souris.

Disney s’est imposée comme une marque incontournable. Dévoilement du processus de création de valeur de la plus connue des souris.

En 2020, The Walt Disney Company était placée en quatrième place parmi les « sociétés les plus admirées au monde » selon le magazine américain Fortune, le deuxième grand média papier d’économie après Forbes.

En 2021, la firme aux grandes oreilles se plaçait 10ème du classement des marques les plus puissantes au monde avec une valorisation de près de 44 milliards de dollars selon Interbrand.

1111 Citations de Stratégie, Marketing, Communication, par Serge-Henri Saint-Michel

En 2023, à l’occasion de ses 100 ans, Disney affirme son statut de marque mondiale et se place en leader du divertissement.

Pour autant, après tant d’années à façonner de grandes histoires et à produire du divertissement, qu’est-ce qui crée la valeur de la firme aux grandes oreilles ? Disney répond-elle au besoin des visiteurs qui pénètrent dans son univers ou n’est-ce pas le visiteur lui-même, gargarisé de belles histoires, qui en vient à créer le monde qu’il souhaite consommer ?

A travers cet article nous aborderons la création de valeur de la marque Disney.

Des débuts prometteurs des frères Walt et Roy Disney

Tout débute en 1923 au cœur des studios Hollywoodien. Les frères Walt et Roy Disney, alors à la tête de la Disney Brothers Studio, produisent des petites courts-métrages d’animation muets en noir et blanc. À l’aube des années 1930 et après un changement de nom en Walt Disney Studio, les frères créent un personnage : Mickey Mouse. Pensé pour remplacer la star actuelle et vieillissante, Felix The Cat, la souris va connaître un succès immédiat. Le studio capitalise dessus en se lançant dans la distribution internationale et les premières diversifications (magazine, produits manufacturés, bandes dessinées…).

C’est en 1937 que le tournant se fait avec la production de Blanche-Neige et son budget de 1,5 millions de dollars qui en rapportera 8 lors de sa première année d’exploitation. La machine Disney est lancée, notamment avec l’ouverture du premier parc en 1955 : le public, avide d’histoires féériques dans un monde d’après-guerre, est au rendez-vous.

A la fin des années 80 et au début des années 90, le studio est en perte de vitesse : le décès de Walt Disney en 1966 a mis un coup d’arrêt à la créativité des scénaristes. C’est avec l’arrivée d’un nouveau PDG, Michael Eisner, que la marque va retrouver le chemin de la réussite. On notera la création de films d’animations tels que :  La Petite Sirène (1989), La Belle et la Bête (1991), Aladdin (1992) et Le Roi Lion (1994).

Adoptez un livre

Preuve d’un renouveau s’il en fallait, Le Roi Lion, deux fois oscarisé, est alors le deuxième film le plus rentable de tous les temps derrière Jurassic Park avec une recette au  box-office de 968,5 millions de dollars. C’est à cette période que la firme aux grandes oreilles fait son entrée en Bourse : la magie est désormais une affaire d’adultes.

Vaincre la concurrence de Disney par le rachat

En 2005 l’entreprise fait face à une rude concurrence de la part de Pixar, ce dernier malmène les productions Disney au box office : Ratatouille, “Le monde de Némo”, “Cars” ou “Wall-E” font la part belle aux “Atlantide” et autres “Frères des Ours”.

Bob Iger est engagé pour sauver le navire. Sa réponse ? Le rachat des franchises et studios Pixar. En 2006, Disney acquiert Pixar pour 7,5 milliards de dollars puis Marvel en 2009 pour 4,2 milliards de dollars. C’est Lucasfilm qui suivra en 2012 pour près de 4 milliards de dollars et la Twenty-First Century Fox en 2017, qui sera rachetée pour plus de 50 milliards de dollars.

Tous ces rachats poursuivent le même but : faire de la Walt Disney Company une entreprise mondialement reconnue.

Bob Iger a relevé le défi : 15 ans après son arrivée, il multiplie la valorisation de Disney par 5. A son départ en 2020 le groupe se maintient à flot durant la pandémie grâce à son service de streaming Disney+. Iger est rappelé en 2022 pour reprendre les rênes de l’entreprise.

La première création de valeur de la marque Disney passe donc par l’absorption de la concurrence. Traversant différentes phases plus ou moins bénéfiques pour elle, la firme a su trouver la  recette du succès en imposant ses valeurs. L’une d’elle est le storytelling, cœur historique du savoir-faire Disney.

Un mastodonte du storytelling

Le storytelling est le second élément permettant à Disney de façonner la valeur de sa marque. C’est en analysant les créations de la firme que l’on retrouve 4 grands piliers qui façonnent son storytelling.

De belles histoires

Chez  Disney le storytelling c’est d’abord des histoires simples et universelles.

Contes européen,  légendes chinoises, pures créations originales, etc., Disney puise une part de son inspiration dans des récits existants qu’il remanie et actualise. Quand il ne reprend pas des histoires existantes, Disney convoque l’imaginaire et l’extraordinaire. Créant des histoires simples avec une morale compréhensible par tous, Disney invite à une mise en avant des différences de chacun et de l’acceptation de celles- ci.

Accessible à tous, Disney façonne des histoires pouvant servir de grands principes de vie , pour le plus jeune des spectateurs.

Disney, miroir d’un siècle par Collège des Bernardins

Des personnages attachants

Que seraient les histoires sans les personnages ? Chez Disney, le storytelling passe aussi par des personnages mémorables et mémorisables. Quoi de plus normal pour une marque, utilisant une souris pour mascotte, de réussir à rendre crédible un ours mal dans sa peau, une sirène en pleine crise d’adolescence ou à un phacochère un peu limité quoique très attachant ? L’exploit de la firme réside dans le fait d’écrire une histoire cohérente à pléthore de personnages tous plus différents les uns que les autres. On s’attache à ces personnages hauts en couleur : on s’émeut avec eux, on partage leurs peines et surtout leurs joies. Et quand résonnent les premières notes du générique de fin, on quitte,  la gorge nouée, des compagnons d’aventure partis trop tôt.

Un univers musical entraînant

Les chansons et les musiques occupent une place primordiale dans les histoires de Disney. Elles jouent 3 rôles : identification, soutien et mémorisation. Identification d’abord : chaque personnage, bon ou mauvais dispose d’un univers sonore, d’une couleur musicale dédiée. Soutien ensuite : tout au long des récits, elles distillent leur part de l’histoire non dite par les personnages mais comprise par tous, à travers ces musiques et chansons. Mémorisation enfin : la présence de musiques et chansons facilement mémorisables permet de continuer le film, une fois celui-ci terminé. A ce propos, on notera l’usage qui en fait, à grand renfort de concerts “édition Disney”, inscrivant ces mélodies entêtantes dans un paysage féérique où tout se réutilise.

La féérie d’un autre monde

Enfin la firme a toujours été reconnue pour la magie des décors et des effets spéciaux.

Pionnière dans le domaine, la marque a pu s’entourer d’un grand nombre d’accessoiristes, de maquilleurs, de spécialistes FX (effets spéciaux) afin de créer les plus beaux décors possibles à ses personnages. Considérant que chaque histoire avait besoin du plus bel écrin pour être racontée, Disney a toujours mis en avant la qualité, au service des scénaristes. Les premiers films Disney étaient réalisés à la main par des dessinateurs aguerris et minutieux. Pareils à des bijoutiers, considérant chaque image comme une œuvre à part entière, leur sens du détail et leur professionnalisme à contribué à créer l’image de Disney telle qu’on la connaît aujourd’hui.

Tous ces éléments ont permis à Disney de s’imposer comme un mastodonte du storytelling. Celui-ci a permis à Disney de créer l’une des valeurs essentielles de sa marque.  À sa création chaque œuvre du studio était un bijou de réussite technique et un cas d’école en termes d’écriture. La magie Disney se situait aussi dans le processus de création de ces œuvres, toutes plus innovantes les unes que les autres.

100 ans sur le marché du rêve industriel

Ce processus de création de histoire magique, la “recette Disney” a permis à chacun de s’identifier au sein des histoires de la firme. Traversant les années, Disney a su s’adapter à son époque en proposant des histoires universelles. Enjoignant chacun à se retrouver dans ses scénarios, la marque a porté la morale au cœur de ses créations originales.

Des histoires Disney devenus produits de consommation

À ses débuts déjà avec le court métrage de 1932, Flowers and Trees, le bien s’oppose au mal. Le film se termine avec la victoire du bien sur le mal, l’amour triomphe, emporté par la liesse populaire. 100 ans plus tard la formule n’a pas changé : une morale simple pour un scénario simple.

Que ce soit Star Wars VII, Avengers 2 ou Toy Story 4, la fin reste inchangée, le bien triomphe sur le mal dans une énième copie du monomythe de Campbell. Cette réutilisation permet de garder une cohérence au sein de l’empire Disney. Il s’agit de garantir le même niveau de magie pour toutes les productions Disney quelque soit l’histoire. De par sa taille, le groupe s’est retrouvé face au danger de perdre sa “recette Disney”. En convoquant Campbell il s’assure d’avoir un produit qui répond à un cahier des charges magique, interdisant tout dépassement créatif et autre sursaut d’orgueil.

Dorénavant, les scenarii eux-mêmes doivent être en mesure de répondre à des dispositifs artistiques, eux-mêmes industrialisés. On produit du rêve à foison et les histoires obéissent à un schéma bien particulier, reproductible et surtout bien visible dans chaque film d’animation. C’est une structure en trois actes théorisée par Simo Essouci associé au monomythe de Campbell et qui fait la part belle au schéma narratif traditionnel.

Résultat d’un siècle d’une formule sur-utilisée à la morale inchangée, le consommateur ingère les produits Disney comme son fast-food : vite. Dans cette course où le profit prime sur le reste, Disney a façonné son offre pour que ses histoires, devenues produits, conviennent au plus grand nombre. Embrassant le modèle industriel, la firme aux grandes oreilles associe rendement et conte, bénéfice et princesse, retour sur investissement et magie. Dorénavant les histoires Disney sont des produits qui offrent à chacun un bout de magie. Au revoir les créations à la main, bonjour les processus informatisés et hyper normés nécessaires à un empire de cette taille (plus de 80 milliards de dollars de chiffre d’affaires !).

Avec la création de produits sur mesure, Disney a permis de façonner un public en quête de belles histoires. Chaque production de la Walt Disney Company est célébrée,preuve d’un engouement sans limite on assiste à de véritables prise de position sur des questions de crédibilités des histoires, nécessité de prise de risque

Si la création de valeur de Disney passe par la mise en place de produits et par le façonnement des consommateurs, elle passe aussi par l’industrialisation des expériences que la marque offre.

Empire industrialisé et créations d’expériences

Georges Lewi définit le mythe comme une “histoire qui nous vient de très loin et que les gens croient vraie”. A l’instar des produits que Disney façonne depuis maintenant 100 ans, les expériences créées grâce à eux sont une succession de mythes à part entière. Le dessin-animé originel n’est plus, il est dorénavant constellé d’expériences formatées, proposées dans un cadre rigoureusement industrialisé.

En effet, à l’heure où “vivre une expérience” est devenu le credo de nombreuses marques, Disney a radicalement industrialisé la création d’expériences par la massification des divertissements. Des produits manufacturés sus-cités, en passant par la production de belles histoires à la chaîne, la marque n’est plus à ses balbutiements. La multiplication des parcs, véritables institutions et simulacres du rêve, en est le parfait exemple. Une fois les portes du château passées, le filet se referme habilement sur les visiteurs qui affluent : l’accueil est au beau fixe, les mascottes disséminées à des endroits stratégiques du parc côtoient les plus jeunes en les guidant vers toujours plus de féérie. Le parcours entre les différentes attractions est lui aussi ponctué d’écriteaux qui vous plongent dans un univers, bien reconnaissable pour les plus aguerris. Car, ici-bas, “faire rêver est un métier” et c’est d’ailleurs ce que le site en question promeut. De nombreux cast-members (plus de 17 000, de 124 nationalités différentes) se disputent l’arrivée des badauds. Peu importe le consommateur qui foulera du pied l’univers Disney, ces cast-members-là ont une réponse à apporter, et ce, en plus de 20 langues différentes. C’est une équipe qui travaille ingénieusement pour vous offrir une expérience magique et exceptionnelle, laquelle perdurant une fois rentrés chez vous, fièrement récompensés de votre périple par un énième goodie auquel vous n’aurez pas su dire non.

Dépasser les frontières du réel

Cette véritable expérience, développée autour d’histoires qui n’étaient, à l’origine, ni plus ni moins que des dessins-animés américains pour enfants, a connu un pic d’accélération après les différents rachats opérés au début des années 2000.

La création d’expériences dans des lieux féériques simulés est devenue transnationale, en plus d’être industrielle. A l’image des scenarii qui obéissent à un cahier des charges magique et standardisé, les douze parcs qui se partagent les recettes mondiales doivent avoir une gestion uniforme de leurs modes d’accueil. Les cast-members doivent être capables d’opérer de la même manière, aux quatre coins du globe. Pourtant, il faut savoir innover en permanence, la standardisation des nouveaux produits et des expériences d’achats devant rester attractives. La logique est donc de maintenir cet empire industrialisé du rêve tout en étant en mesure de répondre aux nouveaux enjeux sociétaux et environnementaux.

Disneyland : un véritable simulacre moderne

A plusieurs égards, la succession de produits et d’expériences standardisées sont créées pour plaire au visiteur. Pourtant cette industrialisation prend le pas sur la réalité. Biberonnés dès le plus jeune âge aux histoires magiques tissées par la firme, plusieurs générations en viennent à croire à cette autre forme de réalité que demeure la fiction Disney. Elle apparaît comme un flou auquel on croit inconsciemment, à la manière d’un idéal qu’il faudrait diffuser sans trop en connaître la teneur.

C’est sur ce “flou” particulier, agissant comme un sortilège, que le groupe capitalise. “La simulation du réel a pris le pas sur le réel” nous confirmait Jean Baudrillard dans Simulacres et simulation. Disneyland en est effectivement le parfait exemple. Les parcs d’attraction ne sont plus seulement de pâles copies de ce qui est réel. Les belles histoires développées par les scénaristes et qui obéissent aux changements sociétaux d’une époque donnée, sont devenues des mondes à part entière.

De fait, “Mickey n’est plus la propriété de Walt, il appartient à tout le monde”. Le visiteur est devenu le consommateur d’une simulation qu’il crée de toutes pièces.

Et par un savant équilibre, Disney jongle perpétuellement entre laisser les rênes à ses visiteurs et les reprendre à sa guise pour perpétuer son Empire. La marque devient indispensable, à l’image de son visiteur devenu client, dont il apparaît avoir irrémédiablement besoin.

Conclusion

Disney, en alliant produits et expérience consommateur s’affirme en marque monde. Capitalisant sur l’équilibre des deux, la firme aux grandes oreilles a su se démarquer de ses rivaux en se forgeant une image alliant tradition et innovation. Créateur de magie depuis un siècle, Disney fait le pari de laisser ses histoires aux mains de tous, permettant à chacun de goûter à l’extraordinaire. Disney n’est plus maître de ses créations, en façonnant le consommateur il lui offre le droit de digérer, critiquer et malmener ses productions.

Fondée sur l’idée de divertir le plus grand nombre, Disney s’est élevée comme la Reine incontournable du divertissement grand public en payant le prix fort : sa formule s’est érodée, elle a dû être retravaillée, adaptée et remise au goût du jour. Présent dans un grand nombre d’univers différents, Disney s’est accrochée à une formule industrielle afin de maintenir une cohérence de la marque. Dorénavant Disney devra compter sur ses consommateurs pour faire vivre la firme, l’esprit enfantin de ses débuts ayant été absorbé par ces derniers. Nouveaux messagers de la marque, ils s’octroient le rôle de passeur de valeur.

Auteur.e.s : Sagra Dominati et Théo Vintéjoux

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Un article de notre dossier Marques et création de valeur

Aller plus loin

  • https://disneylandparis-news.com/experience-cast-member/
  • https://1000idcg.com/jean-baudrillard-simulacres-simulation/
  • https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-grande-table-idees/disney-peut-il-etre-autre-chose-qu-une-machine-a-reves-6229528
  • https://www.crumpe.com/2019/08/le-roi-lion-est-maintenant-le-film-danimation-le-plus-rentable-jamais-realise-par-disney/
  • https://www.francetvinfo.fr/culture/cinema/films-pour-enfants/walt-disney-le-reve-americain_3744917.html
  • https://www.lalibre.be/culture/cinema/2001/12/03/il-etait-une-fois-disney-RUESKTN2BRAWDESFIG52D5NQKA/
  • https://www.ledevoir.com/culture/ecrans/449875/la-fabrication-d-un-mythe
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