Le consommateur a-t-il réellement pris le pouvoir ? Génère-t-il des réaction « consommateur centric » ? Anthony Grolleau-Fricard, Responsable Online Reputation Management chez Vecteur d’image, répond à nos questions.
L’extrémisme des expressions des consommateurs n’est-elle pas le résultat de l’ouverture permise par le web ?
Il est évident que la liberté et la facilité de publication permises par le web offrent toute latitude à des débordements, à des avis qui tiennent souvent plus du défoulement que du commentaire réfléchis, construits et donc sérieux. L’immédiateté, l’accessibilité du web jouent également un rôle et favorisent des prises de position sur l’instant, toutes chargées d’émotion, de frustration.
D’ailleurs, lorsqu’on cherche à engager le dialogue avec un client mécontent qui s’est plaint sur le web, nous constatons que nombre d’entre eux ne répondent pas. Ils ne cherchent pas à résoudre leur problème, ils ont juste manifesté leur mécontentement à un moment précis. Le web est donc dans bien des cas devenu une soupape permettant au consommateur connecté de lâcher la pression.
Mais attention, tous les commentaires ne sont pas « extrémistes » et, si les marques savent écouter, ils peuvent être de vrais apports pour améliorer leurs produits et leurs services.
Comment les marques et les sites d’accueil des avis consommateurs peuvent-ils s’affranchir de l’extrémisme des avis des consommateurs ?
Pour les marques, le meilleur moyen de s’affranchir est de prendre la parole, d’engager la conversation et donc de montrer qu’elle est intéressée par les avis de ses clients, qu’ils soient positifs ou négatifs.
Encadrer un contenu négatif d’un contenu positif publié par la marque, faisant preuve d’empathie, d’écoute, permet de transformer du négatif en positif et donc de ne pas être dépendant ou victime des avis de consommateurs.
Du côté des sites d’avis de consommateurs et des forums, leur relation vis-à-vis des commentaires extrêmes n’est pas forcément bonne. Ces commentaires sont d’une qualité moindre car passionnés, peu réfléchis et donc moins réalistes par rapport aux marques attaquées. Les modérateurs préfèrent des avis argumentés, que ce soient positifs ou négatifs, qui apportent une vraie valeur ajoutée au commentaire et au site.
Pour les sites d’avis et les forums, il y a plusieurs moyens d’action. Ciao.fr, par exemple, a opté pour la notation des commentaires par la communauté des internautes. Ainsi, les internautes qui ont déjà publié et dont les commentaires ont été reconnus par leurs pairs, peuvent juger si un avis est intéressant ou pas. Dans une certaine mesure, cette mécanique pondère les avis extrêmes.
D’autres forums, comme lesarnaques.com ou quechoisir.org, identifient clairement les marques. Leur stratégie consiste à laisser la parole aux marques en toute transparence. Cela permet de trouver des solutions aux vrais avis et d’identifier les avis qui ne sont que frustration et défoulement.
Quels sont les principaux critères de modération des commentaires et avis consommateurs si la charte de publication est respectée ?
Force est de constater que les marques sont souvent les premières victimes de la modération même si elles respectent clairement les règles et les chartes. Il existe chez beaucoup de modérateurs une méfiance à l’égard de celles-ci. Ils pensent qu’une marque fera systématiquement du commercial même si elle ne publie pas de lien, si elle ne place pas un produit et si elle fait uniquement de l’engagement de la conversation ou tente de résoudre les problèmes de ses clients.
En ce qui concerne les consommateurs, les modérateurs interviennent peu. Si l’avis est purement négatif, attaque la marque, n’est pas constructif ou est peu développé, il est rarement modéré. Les seuls cas où les modérateurs interviennent sont des situations où les marques prouvent qu’il y a diffamation ou volonté de nuire.
Quoi qu’il en soit, cette situation crée un véritable déséquilibre entre les marques et le consommateurs.
Dans ces moyens de modération, quelle place devrait-on accorder à la formation des modérateurs ?
Au vu des travers actuels, il est nécessaire de sensibiliser les modérateurs. Ceux-ci doivent comprendre que les marques qui entrent en conversation ne cherchent pas forcément à placer du commercial, mais bien à échanger sur leurs produits et à soutenir des clients en difficulté. Il faut que les modérateurs puissent identifier rapidement les marques qui sont sincères dans leur démarche et celles qui ne le sont pas.
Les modérateurs doivent également comprendre que les réponses des marques à des clients qui sont insatisfaits apportent une plus-value à leur espace. Ils ne sont pas juste espace d’expression de la frustration mais espace de résolution, qui fidélisera les internautes. Donc oui, il faut former et informer les modérateurs.
Sur les sites d’avis de consommateurs, comment les marques peuvent-elles communiquer sur le mode de « filtrage » des avis dont elles sont l’objet ?
Les forums et sites d’avis sont des espaces d’échanges et de communication. Quand une marque intervient sur un forum, il est important de communiquer, d’échanger avec les modérateurs, de se présenter, d’établir un lien et surtout de bien expliquer les raisons de la présence. Pourquoi s’inscrit-on sur ce forum et que veut-on y faire ? La transparence de la part de la marque est essentielle.
Il faut interroger le modérateur sur le fonctionnement du forum pour les marques. Chaque espace a sa culture de fonctionnement, sa communauté, ses codes. L’échange avec le modérateur permet de comprendre au mieux comment la marque peut s’insérer dans ce microcosme.
Dans le cadre des discussions avec le modérateur, il faut être force de proposition et ne pas hésiter à lui suggérer de s’entendre ensemble sur un code d’utilisation du forum spécifique aux besoins de la marque et aux attentes du modérateur. Clarifier la relation, s’entendre sur les interventions de la marque et y mettre des limites posent des bases de collaboration saines.
Les forums, sites d’avis conso&co, doivent commencer à réfléchir sérieusement à la mise en place d’une charte des marques sur leurs espaces de dialogue.
Et sur les réseaux sociaux en général ?
Sur les réseaux sociaux, l’esprit doit rester le même. Une marque qui intervient pour engager la conversation avec des clients satisfaits ou pas se doit au préalable d’établir la discussion avec les responsables des pages/groupes où des internautes sont susceptibles d’intervenir. Même s’il est plus facile d’agir sur une page Facebook que sur un forum où il faut s’enregistrer, il ne faut pas céder à la facilité. Au contraire, l’établissement du dialogue avec les administrateurs ne peut qu’être positif pour la marque.
Le filtrage des avis n’impacte-t-il pas la surveillance des verbatims et des attentes clients ?
A part dans des cas de diffamation, l’objectif de la marque n’est pas de faire disparaître des commentaires. Non, son objectif est clairement d’engager la conversation, de comprendre la raison pour laquelle un consommateur a publié son avis et d’établir une relation de confiance. Pour la marque, cette relation permet d’améliorer ses services et ses produits et d’éviter d’avoir à terme des clients mécontents.
Maintenant, la pertinence de certains commentaires disant seulement « n’allez pas dans ce magasin », ou « n’achetez pas ce produit » est très faible. Face à un commentaire de ce genre, la marque doit faire de la maïeutique : elle doit aider l’internaute à accoucher de son idée, à expliciter son vécu, à argumenter afin de pouvoir non seulement réagir (parfois réfuter des informations fausses) mais aussi apporter des solutions.
Donc, du point de vue de la marque, il n’y a pas d’ambition à édulcorer les verbatims, mais bien de qualifier au mieux les commentaires pour les comprendre et apporter un élément de réponses à son client.
Attention une marque ne doit pas être intrusive et avoir un discours commercial sur les espaces conversationnels, elle doit être là pour aider un consommateur ou faire de la pédagogie.