Paroles d'experts

Personal branding : généalogie d’une marque à visage humain

Originellement conçu comme un ensemble de techniques pour la commercialisation d’objets de consommation, le marketing se propage et se transforme en une logique de fabrication de l’individu : entrepreneur et consommateur de lui-même.

Originellement conçu comme un ensemble de techniques pour la commercialisation d’objets de consommation, le marketing se propage et se transforme en une logique de fabrication de l’individu : entrepreneur et consommateur de lui-même.

« Pour réussir dans la vie, il faut savoir se vendre ».

Qui ne s’est jamais vu ainsi conseiller la gestion de sa carrière par cette sentence populaire ? Aujourd’hui, la maxime semble avoir été prise au pied de la lettre par des experts d’un genre nouveau, les bien nommés coachs en personal branding. Mais ce qui se blogue, se twitte, se share, se like comme l’une des dernières trouvailles de nos années deux-mille dix, remonte bien loin aux confins du XXème siècle quand émerge et se propage un discours inédit – le marketing.

Originellement conçu comme un ensemble de techniques pour la commercialisation d’objets de consommation, le marketing se propage et se transforme en une logique de fabrication de l’individu : entrepreneur et consommateur de lui-même.
1111 Citations de Stratégie, Marketing, Communication, par Serge-Henri Saint-Michel

Personal branding : généalogie de la marque "Ma pomme"

Généalogie d’une marque à visage humain

Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, alors que se préparent les logiques de la société de consommation, les termes, nés avant-guerre, dans les bureaux du marketing industriel américain, vont déborder la sphère professionnelle de leurs premiers usagers. Packaging sera vite utilisé pour décrire la couverture d’un livre, tout comme produit le sera pour designer tel artiste et telle star de cinéma.

Les hommes politiques seront à leur tour envisagés comme des marques qu’il faudra savoir « rebrander ». Les grands moments électoraux des années quatre-vingt seront d’ailleurs des opportunités d’affirmation pour l’agence de communication britannique Saatchi & Saatchi. Michel Bongrand, publicitaire français revenu d’outre-Atlantique, proposera dès le milieu des années soixante, une vision « nouvelle » des campagnes électorales, conception aujourd’hui familière qu’il intitule à son époque marketing politique. Aussi, pour répondre à cette demande sociale croissante, vont se développer de nombreux cabinets de conseils en image et en réputation. Formés dans les écoles naissantes de commerce et de gestion, leurs dirigeants contribueront à l’importation de ces techniques vers des structures non commerciales.

Au tournant des années quatre-vingt, la fille sémiotique du marketing voit le jour : le branding accompagne l’affermissement d’une croyance en un nouveau type de création de valeur. Cette nouvelle discipline entendra participer à la génération d’un profit symbolique et non plus seulement financier. Le branding hérite du marketing sa conception stratégique des relations sociales mais lui associe des composantes culturelles et psychologiques. En effet, dès ses débuts, la marque sera pensée sous un prisme personnel. Identité, ADN, personnalité, features, portraits… Encore aujourd’hui, l’emploi de tout un lexique personnifiant n’est pas rare chez les brand managers. Il n’est pas rare non plus de rencontrer des campagnes publicitaires où sont associées marque et personne. Qu’elles soient fictives comme les mascottes, que l’on retrouve sur les packagings de nos céréales, ou réelles comme peuvent l’être les célébrités qui peuplent les annonces-presses de produits cosmétiques. Ces présences anthropomorphiques transfèrent des traits de personnalité aux marques. Au-delà de cette face visible, celle des dispositifs de promotion tournés vers le consommateur, la grande métaphore d’une marque à visage humain irrigue profondément les théories du branding.

Si la marque s’est trouvée personnifiée, il ne faudra pas attendre longtemps pour que la personne soit faite marque. Très tôt dans l’histoire du branding, se verront réduits les écarts qui séparaient autrefois marque et personne. On pouvait ainsi lire en 1981, à l’introduction du vingtième chapitre de Positioning, the Battle for Your Mind* : « If positionning strategies can be used to promote product, why can’t they be used to promote yourself? No reason at all. So let’s review positionning theory as it might apply to your personal career ». Échange renversant s’il en est, le chiasme s’opère et le pont entre marque et personne est traversé dans l’autre sens.

Personal branding : généalogie d’une marque à visage humain

Personal branding : la marque "moi je"

Adoptez un livre

Après ce premier passage, dix-sept ans plus tard, Tom Peters, dans son essai pour FastCompany intitulé « The Brand Named You », installe définitivement l’idée d’un self-branding : « Peu importe l’âge, la position sociale ou le secteur dans lequel nous nous trouvons, chacun de nous doit saisir l’importance du branding. Dans l’univers du business aujourd’hui, notre travail le plus important est d’être le directeur marketing de cette marque appelée Vous ».

Ces fils tendus entre marque et personne au-dessus du vide identitaire relèvent d’un édifice bien plus imposant que la propagation d’un discours professionnel à des espaces du social, jusqu’alors vierges de l’empreinte consumériste. Cette conjonction des termes « personal » et « branding » nous renseigne sur la familiarité contemporaine que nous entretenons avec le marketing. Une proximité hypodermique qui inspire son titre au dossier d’Intelligent Life du magazine The Economist – « HOW MARKETING HAS GOT UNDER OUR SKIN ». Le personal branding apparait bel et bien comme l’ultime étape d’infiltration dans la vie quotidienne d’une conscience gestionnaire. Recherches Google sur nos contacts et sur nous-mêmes – décompte de nos amis d’amis Facebook – publication dans l’immédiateté des tweets – conception éditoriale d’un profil Linkedin – jeu avec les formats de Doyoubuzz. Ces micro-gestes en série viennent désormais rythmer nos activités de lecture et d’écriture les plus ordinaires. Mais quel est l’arrière-monde de ce nouveau régime sémiotique auquel nous incitent les experts du personal branding ? Un régime qu’il faut désormais suivre sous peine de se dissoudre dans le chaos mouvant du réseau.

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Cet article de Allan Bahroun est inclus dans Infiltration et propagation, le marketing hypodermique,  comprenant trois parties :

* Acheter Positioning: The Battle for Your Mind de Al Ries et Jack Trout. New York : McGraw Hill, 2001

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Dossier spécial Personal Branding

Le personal branding : outils, méthodes, usages

Déconstruction du personal branding

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