Les entreprises cherchent à être en capacité à imposer leurs prix, ce qui constitue la vraie valeur d’une marque. De quoi dépend ce « pricing power » ? Le Big Data contribue-t-il à fixer optimalement les prix ?
Précisions avec notre interviewée, Virginie Dupin, Vice Présidente Marketing Europe, Moyen-Orient et Asie Pacifique chez PROS.
Le pricing power ne dépend-il pas du poids de la marque sur le marché ?
Le pricing power a été historiquement lié à la notoriété d’une marque et la confiance qu’elle inspirait aux consommateurs (robustesse des produits, innovation, santé financière, etc.). Aujourd’hui, aussi bien en B2B qu’en B2C, la dimension temporelle s’ajoute à ces facteurs traditionnels et vient bouleverser la notion historique du « Pricing Power ». La notion de temps s’impose comme un facteur important. John Bruno, analyste de Forrester indiquait récemment (Conférence Outperform à Chicago en mai 2017) qu’à New York, les clients de Uber, sont prêts à utiliser un concurrent comme Lyft si le délai d’attente est supérieur à 5 min. Ce n’est pas le prix de la course qui compte, c’est la rapidité à pouvoir l’accomplir. En effet, la capacité à offrir aux consommateurs le produit ou le service de leur choix dans un délai de plus en plus bref devient à mon sens un nouvel aspect du pricing power des marques.
Dans la même veine, ces consommateurs pressés deviennent aussi des consommateurs plus exigeants quant à la qualité des interactions avec le vendeur. C’est l’effet « Amazon » : l’expérience d’achat rapide, fluide et personnalisée devient petit à petit une attente « normale » pour l’acheteur en B2B comme en B2C. Et cette expérience de vente qualitative offre un nouveau levier prix.
Pour résumer, à mon sens, si les facteurs « traditionnels » du pricing power restent des paramètres importants, il s’y ajoute aujourd’hui les facteurs « temps » (il doit être court) et « expérience d’achat » (qui doit être qualitative, c’est-à-dire fluide, rapide et personnalisée).
Un nouvel intervenant sur un marché… et des prix en baisse. Au bénéfice de qui ?
Prenons l’exemple de l’aérien. Nous avons vu l’arrivée il y a quelques années des Low Cost avec des compagnies comme EasyJet ou RyanAir. D’un seul coup, la question qui se pose c’est : « pourquoi payer plus quand on peut faire un Paris-Toulouse pour quelques dizaines d’euros ? » Ces acteurs bousculent les codes et permettent à des consommateurs qui n’auraient pas forcément voyagé ou utilisé un autre moyen de transport de prendre l’avion. Ils poussent les marques traditionnelles à innover dans leurs offres et à faire des efforts sur le prix. Mais ils créent aussi une nouvelle demande : l’aérien qui pouvait apparaitre comme un mode de voyage un peu élitiste s’est démocratisé grandement.
À mon sens, si le consommateur voit donc son éventail de possibilités s’élargir (destinations, horaires, tarifs) et sort donc gagnant de ces évolutions du marché, c’est aussi bénéfique pour les marques qui doivent repenser leurs stratégies et chercher à cibler toujours mieux leur clientèle. On le voit avec le lancement récent de Joon qui adresse une cible de clients jeunes et les tarifs qui vont avec alors qu’Air France continue sa montée en gamme qui répond aussi à une attente.
Quel est l’apport du Big Data en matière de fixation des prix ?
Force est de constater, que beaucoup d’entreprises n’utilisent pas, ou peu les données dont elles disposent. Pourtant bien exploitées, elles leurs permettraient de trouver un relais de croissance. Comprendre cette masse de données n’est pas simple, car le nombre d’informations disponible est exponentiel à mesure que la numérisation des services est alimentée par une complexité multicanal croissante. Pourtant, le Big Data est un atout majeur qui permet lorsqu’il est utilisé judicieusement de mieux segmenter les consommateurs et de proposer des offres plus pertinentes à des audiences mieux définies. C’est l’idée du bon produit, pour la bonne personne, au bon prix et au bon moment.
On rejoint ici la notion d’expérience client : aujourd’hui le consommateur apprécie de se sentir « unique » et obtenir ce qu’il souhaite au juste prix. L’analyse des données, combinée à des solutions pour définir, personnaliser et tarifer des offres permet cette finesse d’interaction et l’établissement du prix le plus appropriés.
Enfin, les prix se doivent d’être dynamiques pour correspondre au mieux au marché. En n’adaptant pas leurs prix en fonction des données disponibles de nombreuses entreprises perdent beaucoup d’argent. L’important réside donc pour les entreprises dans l’exploitation des data pour trouver le meilleur prix produit.
Cette volatilité n’induit-elle pas des comportements « négatifs » de la part des clients ?
À mon sens, aujourd’hui, le rôle du prix a changé et il est moins central qu’auparavant. Je reviens sur ce que j’ai évoqué plus haut, les consommateurs sont plus exigeants qu’avant. S’ils continuent — évidemment — à être sensible au prix d’un produit, ils l’englobent dans un contexte qui s’est enrichi de nouveaux paramètres : la qualité de l’interaction avec le vendeur, la rapidité et la fluidité des échanges sont maintenant beaucoup plus valorisées qu’auparavant.
Cette expérience d’achat qualitative qui est maintenant souhaitée en B2B comme en B2C, force les entreprises à repenser aussi leurs stratégies commerciales et à développer ce que l’on appelle une stratégie de « modern commerce ». Cette stratégie englobe la capacité à vendre sur l’ensemble des canaux de distribution (web, boutique, call center), de façon cohérente à un prix qui est défini pour être à la fois le plus juste afin de favoriser l’acte d’achat et protéger les marges et le revenu de l’entreprise.
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