Partons du principe que le chaos, que nous définirons comme un état de confusion générale est le fruit de deux facteurs : l’incertitude et la liquidité.
La liberté, fruit de l’incertitude
L’incertitude est intrinsèquement liée à la nature de l’Homme. L’être humain a pour particularité d’être un sujet conscient, responsable et sans essence déterminée, il n’est donc pas façonné pour remplir une fonction particulière mais est libre de ses choix. Sa faculté d’auto formation et de transformation indéfinie font de lui un être condamné à la liberté. Sartre distingue dans ses travaux l’existence de l’essence, l’être-pour-soi, de l’être-en-soi. L’existence précédant l’essence, l’Homme n’a d’autre choix que d’être libre, de prendre des décisions qui seront à l’origine de son identité et de son évolution. Il lui est impossible d’être autrement.
L’environnement dans lequel l’individu évolue est alors un espace probabiliste et non déterministe, un espace marqué par la « multiplicité de ses variables et l’intermédiation des interférences entres elles » (Desportes). L’absence de relation biunivoque entre une cause et un effet conduit à l’apparition de phénomènes aléatoires et imprévisibles marqueurs de volontés libres en interaction avec leur environnement.
La « modernité liquide » et la perte de repères
Intéressons-nous maintenant à l’environnement dans lequel l’Homme évolue : la société. A la fin du XXème siècle apparaît la société postmoderniste caractérisée par la dissolution et l’atomisation des individus. Cette société nommée « modernité liquide » (Bauman), qualifie une société au sein de laquelle les identités collectives et individuelles se fragilisent par la perte des repères sociaux-culturels. Cet éclatement est à l’origine d’un rapport au temps centré sur le présent, l’immédiateté. L’identité devient alors fluctuante, les relations éphémères et sans cesse remises en question.
L’individu amené à évoluer dans cet environnement instable, va être contraint de faire des choix affranchis de tout repère. Les individus vont alors s’accrocher à la consommation afin de construire leur identité, de s’acheter une vie (comme le titre Bauman).
La stratégie comme palliatif au chaos
Guide dans un univers chaotique, la stratégie est un outil venant pallier à la liquéfaction et à la perte de repères individuels et collectifs en essayant d’apporter des éléments de réponse à des problématiques existentialistes. Ce, grâce à la mise en place d’objectifs relatifs à ces problématiques. La stratégie a pour ambition de choisir les moyens les plus appropriés pour atteindre un objectif fixé. Elle cherche donc à comprendre et à maîtriser des facteurs sociétaux déterminés comme clés. La stratégie n’est donc pas parfaite, elle est soit replâtrage soit volonté de figer l’environnement afin de pouvoir prendre la meilleure décision possible à un instant T.
Ne pouvant s’affranchir de l’incertitude, la stratégie devient alors hypothèse dans un environnement irrationnel où l’intuition reste le décideur ultime. Toute décision modifiant par elle-même les circonstances qui l’ont faite prendre, la stratégie se positionne comme une réflexion sur la réaction à la réaction de l’autre. Par la même, toute action stratégique se doit d’être marquée par le principe d’adaptation perpétuel afin d’adapter de façon constante les décisions prises en fonction de l’évolution des circonstances qui l’ont fait prendre.
Le chaos est un paradigme, car en figeant l’environnement la stratégie transforme la réalité liquide en contexte solide. Le jugement de notre univers est alors altéré, car en décalage avec la réalité. Les outils déployés deviennent obsolètes, les repères mis en place, non significatifs.
La nécessité d’une stratégie chaotique
La stratégie est donc présentée comme un outil ayant pour ambition de stabiliser l’environnement en créant des repères normés. Or, nous pouvons nous demander si la stratégie peut réellement être efficace dans un univers chaotique en perpétuel mutation, l’environnement bougeant alors plus rapidement que les outils essayant de dessiner les individus le composant. La stratégie pour être fonctionnelle devrait elle-même être chaos… Elle doit tendre à devenir un chaos organisé bougeant au rythme de son environnement afin de coller au mieux aux attentes des parties prenantes et au contexte dans lequel ils évoluent.
Auteur : David Di San Bonifacio
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Un article de notre dossier Stratégies marketing, stratégies de communication : futuribles
Sources
Sites web
- La-philo.Sartre : L’homme est condamné à être libre. Consulté le 31.03.2017
- Zygmunt Bauman et la société liquide, Simon Tabet, 15.11.2013, Consulté le 10.03.2017
Livres
- La Vie en miettes. Expérience postmoderne et moralité, Zygmunt Bauman, Paris, Hachette, 2003
- La Vie liquide, Zygmunt Bauman, Le Rouergue/Chambon, 2006
- Décider dans l’incertitude, Vincent Desportes, Economica, 2004, 2e édition, 2007
- Le cygne noir : La puissance de l’imprévisible, Nassim Nicholas Taleb, Les Belles Lettres, 2010
- Introduction à la Stratégie, Vincent Desportes, avec Jean-François Phélizon, Economica, 2007
Vidéos
- Vincent Desportes, Xerfi Canal, L’efficacité dans l’incertitude, Youtube, 07/12/2015 (cf. supra)
- Le cygne noir, France Culture, Youtube, 21/07/2012 :
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