Le storytelling est une stratégie de communication à part entière tant sur la forme que sur le fond. Un contenant emprunté aux récits, un contenu immergeant les consommateurs.
Plus de la moitié des consommateurs français (57%) déclaraient, en 2004, avoir « plutôt » ou « tout à fait » confiance dans les messages des grandes entreprises. Ils ne sont plus que 26% en 2016* !
Nature Humaine révèle que les marques manquent d’un récit collectif pour pallier cette prise de distance des consommateurs face aux communications de marque. Il suffirait donc d’une histoire simple, prometteuse, facile à retenir, à raconter, et qui, pour ce qui concerne l’entreprise, exprime sa raison d’être et sa mission sous forme d’une aventure vécue, avec ses épisodes, ses rebondissements, ses suspenses.
Quid d’une marque qui entre en narration ? Qu’apporte cette mise en récit à la marque et à ses consommateurs ? Quelle valeur-ajoutée par rapport à une stratégie de communication classique ?
Du symbolique au figuratif
Selon Bruner en 1996 (1), le cerveau a une capacité prodigieuse de perception de l’information quand celle-ci lui est présentée sous une forme narrative. En effet, par le simple fait que le récit mette en scène un personnage et se rapporte à des évènements vécus par des êtres humains ou anthropomorphes, génère de multiples passions qui permettent au lecteur d’éprouver des sentiments et des émotions. « Les gens oublieront ce que vous avez dit, ils oublieront ce que vous avez fait, mais ils n’oublieront jamais ce que vous leur avez fait ressentir » a dit Maya Angelou (2). Effectivement, le consommateur, touché en plein cœur, est plus vulnérable et plus sensible ; les messages en sont donc plus percutants. C’est en ce sens que l’approche narrative de la communication, qui active l’imaginaire et fait référence à des constructions narratives pré-existantes dans nos esprits (mythes, archétypes), accroche de façon différente et plus captivante le consommateur.
Selon Valentin Becmeur dans son article « comment le storytelling a redéfini les stratégies de communication » (3), les procédés narratifs reposent essentiellement, par la stimulation de l’imagination, sur la capacité à rendre concret, visuel ou imagé en mettant en scène des éléments figuratifs, immédiatement compréhensibles et identifiables. Le niveau narratif permet donc d’humaniser le discours de la marque et particulièrement de donner à ses valeurs, souvent implicites, une forme montrable, racontable et par conséquent explicite. Le discours de la marque est alors plus facile à « voir », à imaginer. Par exemple, chez The Body Shop, les valeurs de responsabilité sociale, de protection environnementale et animale sont représentées dans ce spot à travers la douceur avec laquelle les éléments de la nature sont approchés, mais aussi le jeu des couleurs qui apporte une note de fraicheur (et donc de naturalité) pouvant être reliée donc à la protection environnementale.
La narration comme résolution d’un conflit
Comme tout récit, le storytelling suit un schéma narratif en cinq temps : une situation initiale, un élément perturbateur, des péripéties, des éléments de résolution et une situation finale. Au-delà de l’intrigue, l’intérêt porté à une histoire provient aussi de son personnage principal. Ce personnage et sa destinée doivent présenter des similitudes avec le lecteur et son histoire intime (âge, milieu social, caractère, préoccupations, épreuves…). Si ce n’est pas le cas, il faut que le personnage soit attrayant et donne envie de lui ressembler. Sébastien Durand écrit d’ailleurs : « plus personne, de nos jours, ne croit aux visites de Mercure aux pieds aillés et pourtant nombreux sont ceux qui ont acheté des Nike dans l’espoir de pouvoir courir plus vite et plus haut, à la façon d’un Michael Jordan » (4). Ainsi, par identification, le consommateur développe une empathie avec le protagoniste et/ou découvre des points communs avec la marque.
L’idée du storytelling réside dans le fait de raconter, non pas un conte de fées, mais un conte de faits (5) : la marque apporte une solution au problème de l’utilisateur grâce à une série de faits qui feront écho à son expérience et à ses sentiments, à travers l’identification. C’est ce qu’il apporte de supplémentaire à une communication produit basique où ce sont plus souvent les caractéristiques « techniques » qui sont mises en avant. Ikea a, par exemple, bâti son positionnement minimaliste autour d’un vrai storytelling de marque et de gamme proposé, presque, comme des thérapies. Le produit n’est pas minimaliste uniquement par son prix, la marque propose surtout, à ses consommateurs, des meubles qui leur apporteront du calme, de la sérénité. De même, dans ce spot, Nike apporte le courage, la détermination et l’inspiration à Chris, premier athlète transgenre, à entrer en équipe nationale masculine, pour lui permettre de dépasser ses limites malgré toutes les questions auxquels il n’avait pas la réponse et qui auraient pu le décourager : serait-il assez rapide ? Assez fort ? Serait-il tout simplement à la hauteur ? Les valeurs d’authenticité, d’inspiration et de courage de Nike apportent une réelle solution au coureur.
https://www.youtube.com/watch?v=_gq8PO9XK2Y
Plus qu’une solution, la raison d’être et la promesse de la marque
Christian Salmon apporte l’idée selon laquelle le storytelling correspondrait à la construction consciente de croyances destinées à des consommateurs en manque de repères (6). Patrick Beauduin (7) fait état d’une société fragilisée sur ses valeurs. Les consommateurs ne recherchent plus seulement à acheter un produit, mais sont dans la recherche de sens. « La marque à laquelle je m’associe en consommant ses produits a-t-elle du sens pour moi? », répondre à cette question, c’est toucher aux valeurs des consommateurs. L’essentiel, c’est ce qu’elle va dire sur ce qu’elle est plus que sur ce qu’elle fait, exprimer sa raison d’être, son ADN, tout en se positionnant en tant que repère pour les consommateurs.
En tant que repère, la marque ne peut donc plus faillir à ses obligations. Le storytelling permet également d’être porteur de la promesse de marque. George Lewi considère même que cette dernière va au-delà des valeurs, c’est un engagement de la marque envers son consommateur (8) faisant donc entrer les consommateurs et la marque dans un échange.
Plus qu’une jolie histoire touchant le cœur du consommateur à travers une palette émotionnelle garnie, le storytelling s’impose comme une réelle valeur-ajoutée par rapport aux stratégies de communication classiques. Grâce à sa structure narrative comparable à celle des contes et des légendes, il intervient comme un vecteur de figuration, de résolution et de sens auprès des consommateurs dont l’expérientiel et le relationnel deviennent des priorités face à des communications de marque de plus en plus semblables.
Auteure : Emeline Bodet
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Un article de notre dossier Stratégies marketing, stratégies de communication : futuribles
Sources
- * Etude sur la consommation responsable réalisée chaque année par Ethicity
- (1) Jerome S. BRUNER (1996) : L’éducation, entrée dans la culture. Les problèmes de l’école à la lumière de la psychologie culturelle, Paris, Retz
- (2) Worth Repeating: More Than 5,000 Classic and Contemporary Quotes (2003) by Bob Kelly, p. 263
- (3) Comment le storytelling a redéfini les stratégies de communication in Communication, Storytelling by Valentin Becmeur. http://www.othello.group/comment-le-storytelling-a-redefini-les-strategies-de-communication/
- (4) Sébastien Durand, Le storytelling : réenchantez votre communication, 2011
- (5) https://www.webmarketing-com.com/2016/11/17/53270-tendance-passez-storyliving
- (6) Christian Salmon, Storytelling, machine à fabriquer les images et à formater les esprits (2007).
- (7) http://www.infopresse.com/article/2017/2/22/les-marques-peuvent-etre-un-repere-de-valeurs-sociales
- (8) Mémento pratique du branding: comment gérer une marque au quotidien. Par Georges Lewi,Caroline Rogliano
- http://www.ikea.com/fr/fr/catalog/categories/departments/bedroom/roomset/20141_bero05a/
(c) ill. DepositPhotos