Société de consommation. Avec ou sans guillemets. La société serait-elle devenue consommatrice au point d’en emprunter le nom ? Pourtant, la « déconsommation » s’étend…
Le 22 janvier dernier, une promotion sur les pots de Nutella créait une émeute dans différents magasins Intermarché. La « déconsommation » est-t-elle bel et bien enclenchée ? Selon le sociologue Dominique Desjeux «les biens matériels subissent comme une décote statutaire puisqu’ils deviennent communs à tout le monde. Le statutaire se déplace vers le service ». Les biens matériels n’auraient donc plus la même valeur que par le passé et seraient ainsi remplacés par une consommation de services expérientiels. Le philosophe Gilles Lipovetsky dans « Le bonheur paradoxal, Essai sur la société d’hyperconsommation » nous explique que la logique de consommation matérielle donne la priorité de l’avoir, sur la possession. À l’inverse, le service met, lui, l’accent sur l’être, sur la recherche de symbiose avec soi-même. Une étude publiée par le site Bloomberg montrait que sur les 600 premières entreprises européennes, celles basées sur l’offre de service étaient les plus performantes. L’être aurait pris le pas sur l’avoir chez le consommateur et cela s’illustre dans l’offre de plus en plus fournie des entreprises spécialisées dans le service.
La tendance dite du « Do It Yourself » démontre bien ce nouvel engouement du consommateur pour l’expérientiel, même s’il traduit un certain paradoxe. Le « faire soi-même » prône une certaine dose de déconsommation puisqu’il s’agit de faire plutôt que d’acheter. Selon une étude de l’Observatoire Société et Consommation, ce marché pèserait 95 milliards d’euros. Gilles Lipovetsky nous dit dans le même ouvrage que cité précédemment « tout semble opposer diamétralement la conception du bonheur matériel et celle du bonheur spirituel » avant d’ajouter que nous souhaitons « le bonheur intérieur, sans qu’il y ait besoin de renoncer à quoi que ce soit d’extérieur (confort, succès professionnel, sexe, loisir) ». Le consommateur serait comme tiraillé entre un désir d’être et sa nostalgie de l’avoir, en conséquence il adopterait une attitude « schizo-consumériste » en tentant de répondre à ces deux types de besoins.
Être ou Avoir ? Telle est la question !
Une nouvelle culture de consommation que la journaliste Fanny Parise a théorisée et nommée la « double consommation » tente de résoudre cette dissonance cognitive du consommateur à l’égard de l’être et de l’avoir. Ce nouveau marché permet aux individus de consommer mieux tout en étant en adéquation avec leurs valeurs. Ces mêmes individus sont invités par les marques à consommer des produits de plus en plus transformés ou virtuels afin d’entrevoir un quotidien plus naturel et atteindre ce nouvel idéal de consommation. Les marques cherchent à dépasser l’usage primaire du produit pour lui donner une valeur spirituelle. D’après Olivier Badot, pour répondre à ce paradoxe présent chez le consommateur les marques mettent en scène une sorte de « marketing du dé-marketing » grâce à la « rusticité des matériaux, l’optimisation des fonctionnalités des produits, la réduction de l’assortiment, une politique de prix concentrée, des ambiances de point de vente austères». Ce principe de « double consommation » permettrait à l’individu de composer plus facilement avec les contradictions matérielles, sociales, morales auxquelles il se voit confronté au quotidien.
Mouvement né à la fin du XXème siècle, issu d’un mariage entre les termes écologie et économie, l’éconologie tente de limiter au maximum la consommation d’énergies non renouvelables tout en excluant la dématérialisation de l’économie. Autrement dit, vivre dans une société plus écologique n’est pas pour autant gage de déconsommation. Cette contraction de mots répond à ce désir toujours plus croissant chez le consommateur de plus de naturel comme étendard de simplicité et de sobriété. Consommer d’une manière plus engagée et durable permettrait à l’individu de dépenser plus pour consommer mieux. Bien que cette tendance permette au consommateur d’exprimer ses désirs de manière plus intelligible, elle peut avoir un effet pervers sur sa quête de l’être bien plus énigmatique que celle de l’avoir.
« Déconsommation » ou guerre invisible d’un statut social en perte de repères
Aux balbutiements de la société de consommation, le statut social des différents individus avait le mérite d’être tangible, les individus étaient ce qu’ils consommaient. Selon Jean Baudrillard l’individu ne consommait pas pour accumuler, mais bien pour instaurer un rapport de force social avec ses pairs. En 2000 l’essayiste Jeremy Rifkins confirmait cette tendance « D’ici à 25 ans l’idée même de propriété paraîtra singulièrement limitée (…) C’est de l’accès plus que de la propriété que dépendra notre statut social», preuve que cette compétition sociale s’est détournée des sentiers battus. Ainsi le bénéfice ne dépendrait plus du coût, mais bien de la valeur symbolique de ce que l’on consomme.
Mais quel est l’élément déclencheur de ce changement de consommation ? Selon l’économiste et sociologue italien Vilfredo Pareto (1848-1923) les classes supérieures sont toujours à l’initiative des tendances, mais cherchent à avoir l’aval du reste de la population pour conserver leur position de domination. En 2008, la crise a totalement rebattu les cartes de la consommation, le pouvoir d’achat des ménages a chuté et la consommation avec elle. La conjoncture économique a ainsi poussé les classes les plus aisées à redéfinir les contours d’une consommation accessible à tous, notamment à travers la formule : « déconsommation ».
Le terme « déconsommation » serait donc issu d’une conjoncture économique elle-même issue de notre époque propice à ce changement de mentalité. Il ne faut pas oublier que l’idée de consommer moins n’est pas nouvelle : en mai 1968 on fustigeait déjà cette nouvelle société à travers des slogans tel que : « Consommez plus, vous vivrez moins ». Peut-on réellement parler d’une nouvelle ère de « déconsommation » ? Pour Jeremy Rifkins, « l’assignation d’une valeur marchande à la totalité de l’existence des individus dans le but de transformer l’intégralité de leurs expériences vécues en transactions commerciales représente en quelque sorte le stade suprême du capitalisme ». La « déconsommation » ne serait-elle pas un moyen de faire perdurer la société de consommation ?
Auteur : Théo Benech
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Un article de notre dossier Le Temps & le marketing
(c) Ill. DepositPhotos
Grégoire
22 août 2018 à 10:31
« La conjoncture économique a ainsi poussé les classes les plus aisées à redéfinir les contours d’une consommation accessible à tous » …
https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/automobile/20140709trib000839237/le-haut-de-gamme-auto-triomphe-dans-le-monde-avec-des-ventes-record.html
Article dans lequel on peut lire « Les labels de prestige les plus exclusifs battent également des records, tel le britanique Rolls Royce (BMW), en progression de 33% »
https://news.autojournal.fr/news/1517292/haut-de-gamme-premium-luxe-%C3%A9conomie-industrie
Article qui nous indique que « La plupart des marques de luxe voient leurs ventes progresser depuis cinq à huit ans, et la tendance ne semble pas près de s’inverser » avec un exemple « celles [les ventes] de Jaguar ont bondi de 77 % »
Effectivement Jaguar et Bentley sont tellement accessibles à tous !