Les marques sont en lutte permanente contre le désintérêt, père de l’obsolescence psychologique et fils de l’éloignement visuel. Le marketing de la nostalgie, de nature générationnelle, permet une personnalisation affective de la prise de parole de la marque. L’appel aux ressorts nostalgiques des consommateurs mobilise leur culture, consciente et inconsciente, et les inscrit dans une relation forte avec la marque.
La création d’un lien implique fondamentalement une relation entre deux êtres. La nature de ce lien est définie en fonction des interactions et des sentiments que les deux individus connectés entretiennent l’un envers l’autre. Aussi, on peut considérer sur ces différents principes qu’une marque peut incarner un individu, une identité à laquelle le consommateur s’attache et se fidélise. Grâce au lien développé par la marque avec son consommateur, il devient plus aisé de transformer ce consommateur en vecteur porteur ou ambassadeur de ses produits et/ou solutions.
On notera également le facteur « digital », par le biais des réseaux sociaux, ainsi que la tendance des « consom’acteurs » qui portent la relation marque / consommateur à une relation d’échanges égalitaires dans laquelle les deux parties ont un pouvoir et une parole de valeur assimilables à une relation entre deux personnes. Auparavant, les égéries ou mascottes, tels Bibendum pour Michelin et l’ours bleu de Butagaz, véhiculaient le message de leur marque mère au travers de leur prise de parole suivant un schéma communicationnel à sens unique voire moralisateur. Dorénavant, les groupes ou communautés sur les réseaux sociaux accordent une dimension familiale au lien existant entre les consommateurs et la marque à laquelle ils adhèrent. En effet, cet espace réservé aux « membres », qui protègent la réputation de la marque et qui sont garants de son image, ressemble à une réunion de famille où chacun est libre d’échanger, de donner une opinion et de conseiller.
Ce rapprochement, initié par les marques, s’inscrit dans une politique temporelle où l’individu doit appréhender la marque comme un partenaire de vie, une relation du quotidien qui va lui apporter une aide ou lui faire vivre une expérience. Intermarché avec ses campagnes, sous forme de courts métrages, intitulés « l’amour l’amour » et « j’ai tant rêvé », nous plonge dans des scènes familières, à valeurs fortes et synonymes de souvenirs heureux pour le consommateur.
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Une nostalgie consciente au service du produit
Le consommateur peut aborder un produit grâce à différents leviers : le prix, le packaging, les bénéfices produit, l’effet de mode … L’utilisation du marketing de la nostalgie est pertinent si le produit s’inscrit dans un rite quotidien, dans une habitude parente d’un point de repère pour le consommateur. En 1997, McKenna, dans Real Time, définit la marque comme une « expérience active » considérant celle-ci comme « un prisme de perception du monde voire un partenaire de l’environnement familier et affectif des consommateurs ». C’est par l’ancrage au sein du familier et des habitudes que la marque inscrit son produit dans des gestes consommatoires : les achats routiniers, les produits sentimentaux à forte saisonnalité (Noël, Pâques…), les produits à valeurs communes avec le consommateur (« la confiture de grand-mère …). Ainsi, l’enseigne de supermarché allemand Edeka avec sa campagne « il est temps de rentrer chez vous » pour Noël utilise la temporalité et la saisonnalité à leur paroxysme. Décuplée par la crainte de la mort et la tristesse de la perte d’un être cher, le souvenir que l’on souhaite faire revivre à ses enfants et la transmission intergénérationnelle sont des expressions puissantes de la nostalgie du moment. Interpellant le consommateur sur sa condition d’être mortel, la marque valorise chaque moment passé comme un cadeau et s’invite à la table familiale comme partie prenante incontournable de ce souvenir.
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Les marques peuvent, au travers du marketing de la nostalgie, mettre en histoire le passé du consommateur en narrant des situations familières afin de capturer l’attention de celui-ci. La mobilisation du souvenir, ou l’exploitation de la nostalgie, peut également passer par le nom évocateur de marques, la nature « kitsch » du produit ou la production limitée d’un ancien produit « phare ». Nokia, en 2017, a annoncé la réédition de son mythique 3310 sous forme améliorée. La simple évocation du nom du produit a provoqué un buzz international et Nokia affichait des ruptures de stock, à cause de l’afflux de réservation, trois mois avant la sortie officielle du produit.
L’affection nostalgique liant le consommateur à un produit trouve des origines plurielles qui ouvrent le champ des possibles aux marques quant à la nature de leur discours. Certaines marques portent des valeurs fortes et proposent des produits ancrés dans un quotidien multi générationnel propices à une communication par la nostalgie. Mais l’utilisation du marketing de la nostalgie n’est pas l’apanage des marques centenaires perpétrant des savoirs-faire ancestraux.
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Une nostalgie fantasmée au service de l’image de marque
Nous ne sommes pas tous fils et filles de fromager basque. Pourtant, la publicité du « Petit basque », forte des symboles de la relation père/fils et de la transmission intergénérationnelle, captive et résonne avec l’histoire familiale du consommateur. C’est à travers un passé fantasmé que la publicité côtoie la réalité du vécu. Utilisant des valeurs culturelles, la marque conduit le consommateur à se projeter inconsciemment au sein d’une histoire fictive mais réaliste. Le principe de résonnance est primordial. L’identification s’effectue par la reconnaissance du lien mis en avant : mère/fille, père/fils, grands parents/petits enfants, maitre/animal ainsi que par le lieu : une cuisine, la montagne, la mer, le jardin de la maison familiale …
Les liens et lieux valorisés restent, en partie, dans le conscient du consommateur. La transposition de ces éléments dans l’histoire inventée du story telling de la marque appartient aux pensées onirique et poétique du consommateur. La mobilisation de l’inconscient est ici suppléée par la mise en mythe des symboles de l’enfance. En effet, le marketing de la nostalgie prend son ampleur lorsqu’il sollicite les codes de l’enfance et de l’adolescence : le petit déjeuner, le goûter, le biberon, les erreurs de langage, les premières fois … Cet univers foisonnant de souvenirs mémorables est riche d’une candeur perdue lors du passage à l’âge adulte. Assimilable à une bouée, cette publicité pétrie de bonheur et d’anecdotes familières permet à la marque d’être perçue comme une entreprise familiale dont les produits respectent les engagements de ses consommateurs. Ainsi, Apple sort en 2013, à l’occasion de Noël, une publicité où un adolescent passe toutes les sorties de famille, les yeux rivés sur son écran. Arrive le soir de Noël, cet adolescent taciturne et geek projette sur l’écran du salon un film de sa composition retraçant ses derniers jours. En immortalisant ainsi les plus beaux souvenirs familiaux, il inscrit à la postérité sa famille auprès des futures générations.
L’exploitation de la nostalgie par une marque a deux objectifs : provoquer des émotions favorables vis à vis de la marque et favoriser la mémorisation de son message. La douceur des souvenirs d’enfance et l’émerveillement de l’adolescence, dans une époque où tout se digitalise et devient immatériel, reste le seul lien tangible, pour le consommateur, d’une époque pleine de promesses. La création d’un lien et la fidélisation par l’affectif sont donc deux principes primordiaux pour que les marques puissent utiliser la nostalgie afin d’ancrer leurs produits dans le familier du consommateur. Mais, finalement, ce besoin de raviver des souvenirs passés n’est-il pas une manifestation de la peur de mourir du consommateur ? L’attachement à une marque qui lui survivra et accompagnera ses enfants dans leur parcours de vie pourrait-il être affilié à la transmission d’un patrimoine ou d’un héritage familial ?
Auteure : Florence Royer
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Un article de notre dossier Le Temps & le marketing
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