L’acrasie consiste à « connaître ce qui est le meilleur et ne pas le faire, bien qu’on le puisse, et faire le contraire », établit Socrate dans Protagoras. L’acrasie consiste à être « vaincu par le plaisir » et à « ne pas faire ce que l’on connaît être le meilleur ».
Un vote plaisir, un vote facile
Être vaincu par le plaisir, c’est céder à quelque chose d’agréable dans l’immédiat alors que cette chose sera ultérieurement source de désagréments.
Selon Socrate, ceux qui se disent vaincus par le plaisir font seulement un mauvais calcul : ils soupèsent mal l’agréable et le désagréable résultant de l’action. C’est donc seulement, selon lui, par ignorance que l’on choisit (le) mal.
L’élection de Trump, le Brexit, le « non » français au référendum pour une Constitution pour l’Europe sont des illustrations de l’acrasie.
Les stéréotypes, bras armé de l’ignorance
Les stéréotypes dévalent les pentes naturelles de l’électeur à l’esprit flatté par les « il y a trop de… » hispanos, immigrés illégaux, taxes, mensonges dans les médias, et les « il n’y a pas assez de… » honnêteté, rigueur, respect, limites, murs…, à la conviction forgée par « celui qui nous ressemble et nous comprend » que l’élection est jouée d’avance (ah, le coup de l’élection, piège à c… !) car les médias nous manipulent (c’est plutôt du Chomsky, pas vraiment à droite…), nous mentent et font le lit des arrières-mondes, de la théorie du complot permanent et des fantasmes les plus basiques.
Ce prêt-à-penser, ce facile à ingérer (un « prêt-à-panser », dans ce cas…) débouche sur des insights de qualité, c’est-à-dire des pensées-truismes que le citoyen électeur peut résumer en des « oui, c’est vrai » ou « oui, nous sommes prêts à croire que… » propulsés par un mass marketing de la pensée préconçue, prête à l’emploi, dont la diffusion croissante dans une opinion faiblement critique, souvent dénuée de littératie, sous la pression du temps et des contraintes quotidiennes, ne fait que banaliser. Et rendre « acceptable » puisque devenant opinion majoritaire, mainstream.
Banalisation : plus de honte à voter pour un populiste !
L’opinion, en se banalisant, devient moins honteuse pour ceux qui la transportent et s’en prévalent. Elle s’affirme dans le même temps plus visible, car plus dicible et avouable, par les instituts de sondage, les analystes de tout poil, les experts politologues (paralysés en ce T Day).
Une inconnue demeure : les électeurs ayant penché pour le populisme ont-ils exercé leur (réel) libre arbitre ? Sont-ils des avares cognitifs (Bronner), des désabusés, des personnes qui n’ont plus rien à perdre et qui, du coup, tentent l’aventure (pistes non exhaustives évidemment) ? L’acrasie mute alors probablement en plaisir du jeu, en loterie, mâtinés de divertissement.
Que sort-il alors du bingo ? Le 7, le 13 ou le 666 ?
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