L’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé dispose d’un budget de fonctionnement d’environ 100 millions d’euros par an avec des financements provenant principalement de l’État et de l’Assurance Maladie. Cela peut paraître un budget important, mais au final, pas tant que ça pour communiquer de façon pertinente sur tous ses domaines d’actions. Mais un domaine nous intéresse particulièrement aujourd’hui : la lutte contre le Sida.
L’INPES, kesako ?
L’NPES met en oeuvre les politiques de prévention et d’éducation pour la santé dans le cadre plus général des orientations de la politique de santé publique fixées par le gouvernement. La loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique élargi ses missions initiales à la participation à la gestion des situations urgentes ou exceptionnelles ayant des conséquences sanitaires collectives et à la formation à l’éducation pour la santé. La loi est également adossée à 104 objectifs de santé ! De quoi s’occuper toute l’année…
La prévention contre le SIDA
La lutte contre le sida a été déclarée « Grande cause nationale » pour l’année 2005. On estime à 7 000 le nombre de personnes ayant découvert leur séropositivité VIH en 2004, dont environ 1/4 a été contaminé dans les 6 mois précédant leur diagnostic. Ce qui ne rassure pas lorsque l’on constate que des relations durables entre nous avec une confiance installée sont maintenant si difficiles à créer, notamment dans les milieux urbains. Malgré une ouverture toujours marquée à l’égard des personnes séropositives, il existe encore des réticences individuelles à la proximité.
La nouvelle campagne INPES – Décembre 2007
On peut catégoriser les campagnes de 2004 à 2006 avec des messages clés. En 2004, c’est la prévention ; en 2005, c’est une piqûre de rappel sur les risques de la maladie ; en 2006, la. lutte contre la discrimination est lancée. On peut ainsi voir l’évolution de la prise de conscience dans la population.
La stratégie adoptée en 2007 est de faire apparaître le virus du Sida comme le « troisième partenaire » d’une situation de prise de risque potentielle. Pour une fois, on personnifie la maladie mais on ne montre toujours pas le malade. Le décalage entre une scène de vie réaliste et un symbole vise à matérialiser la menace que représente un virus du Sida plus invisible que jamais. Il permet aussi de dire que l’« ennemi » n’est pas l’autre mais le virus du Sida. Parce que cette menace est la même pour tous, quelles que soient ses orientations sexuelles ou son origine géographique, la campagne TV met en scène des couples d’hétérosexuels, d’homosexuels et de migrants. Elle rappelle ainsi que tout le monde est potentiellement concerné.
Des campagnes créatives réellement efficaces ?
On peut néanmoins se demander si l’esthétique prêtée aux visuels des différents organismes traitant du sujet ces dernières années, ne nuit-elle pas à sa prévention. En effet, on peut remarquer que de plus en plus, il y a une esthétisation des corps et un onirisme sous-jacent des scènes représentées (cf le visuel du sablier avec de nombreux corps entremêlés ; des corps de belles et jeunes personnes, …). En effet, les codes du luxe sont repris : corps musclés et huilés, satinés, jeunes, divins, parfaits ou presque. Pourtant, cela est loin de représenter l’image du malade, très amaigri et rongé par les symptômes de la maladie. Seule AIDS a osé montré quelques côtés graves graphiquement (scorpion, superhéros sur lit d’hôpital, …).
On peut donc se demander légitimement si les messages délivrent sont pertinents et efficace, s’ils touchent réellement les cibles visées, quel effet cela fait-il au spectateur (est-il vraiment incité à porter des préservatifs ou faire attention aux risques ?). Les visuels et le message peuvent sembler contradictoires… Seul détail qui ramène à la « réalité », le slogan qui vient comme une morale de fin, à l’image des célèbres fables de Jean De la Fontaine, rappelant aux spectateurs l’enjeu premier de la communication.
« Le virus du sida est toujours là et continue de se transmettre. Toutes les 90 minutes en France, une personne découvre qu’elle est contaminée. Le seul moyen de se protéger, c’est le préservatif » – Campagne INPES 2007 de prévention contre le sida (Version longue)
Cette campagne reprenait les mêmes codes que les précédentes : ambiance intimiste, musique un peu « dub » pour le côté mystérieux… Le problème est que ce court-métrage met en avant un idéalisme sentimentaliste, une certaine beauté totalement opposée avec les réalités du sida. Si certaines campagnes ont pu être censurées auparavant car trop « choc », sans aller jusque là, on peut légitiment souligner le problème de l’idéalisation de l’acte amoureux en inadéquation avec la mise en garde contre la maladie. En effet, le message s’en trouve dédramatisé ou si l’on se place de l’autre bord, le rapport sexuel est moralisé ! Et là est le « drame »…
En conclusion…
Ce phénomène problématise l’existence de tabous, maintenus par la composition graphique de l’image. C’est pour cela que la dernière campagne de décembre 2007 a une différence avec les autres : elle personnifie le sida. Même si une esthétisation ou un certain onirisme est présent dans les visuels, pour une fois, il est présent graphiquement !
Cela dit, on ne montre toujours pas le malade (alors que certains organismes de prévention n’hésitent pas à le faire, comme pour la prévention routière par ex, où l’on montre la violence des chocs, stratégie très efficace). Métaphores, hyperboles, symboles sont trop abstraits ici pour être réellement efficaces. Mais la « politique de l’autruche » est souvent employée par la population qui ne veut pas qu’on lui rappelle la réalité. Difficile dans ce cas là de trouver une stratégie de communication pertinente…
Doit-on alors penser à une communication visuelle plus élaborée ? Doit-on choquer pour toucher ? Peut-on surmonter les tabous visant la sexualité pour une prévention plus efficace ?
Auteur : Anne-Line GAYET
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Aller plus loin
www.inpes.sante.fr/
www.inpes.fr
www.inpes.sante.fr/70000/dp/07/dp071126.pdf
http://www.educationsante78.org/
lalbumnpo.wordpress.com/2007/05/01/inpes-sida-free-hugs/
www.sida-info-service.org
codes04.org/6-newsletter/newsletters/numero_07/newsletter_07.pdf
Act Up-Paris / Gerald Sanchez
15 février 2009 à 0:30
Merci Anne pour cet article pertinent qui pose delicatement des problemes toujours aussi urgent que les associations de malades, et notamment Act Up-Paris, avons poses depuis longtemps, concernant la pudibonderie et le manque d’efficacité reel des campagnes publiques d’Etat pour la prevention contre le VIH-sida.
Contrairement a ce que tu dis, je ferais quand meme une remarque car de nos jours, tres peu de seropositifs ont des stigmates physiques interpretables par le grand public, fort heureusement, grace aux progres de la prise en charge medicale. Donc il me parait inutile voire dangereux de laisser croire qu on pourrait deviner que qqun est malade en voyant son corps seulement.
Sinon evidemment avec les surcouts financiers a notre charge, dus aux franchises et a la politique bestiale du gouvernement Sarkozi face aux handicaps en général, on est vraiment terrorises, comme si on avait besoin de ca en plus, pour essayer de mieux vivre avec ! …
Bon courage ! Gerald