Pratiques et processus

Analyses situationnelles : une nouvelle façon de comprendre les consommateurs, par Eric Seuillet

Le marketing traditionnel est moribond. D’ailleurs François Laurent n’a-t-il pas intitulé son blog « marketing is dead » ? Mais si le marketing devient inopérant, comment le réinventer ? Les analyses situationnelles sont une nouvelle façon de comprendre les consommateurs…

Marketing is dead !

Chacun s’accorde à dire que les études marketing traditionnelles marchent de moins en moins bien. Le diagnostic semble sévère mais il est malheureusement exact. Comme le laisse entendre François Laurent, Co-président de l’Adetem (Association Nationale du Marketing) qui édite un blog de référence sur ces questions, « marketing is dead » !
Et les raisons de cette inadéquation du marketing classique pour appréhender le client sont connues : ce dernier est multiple, polymorphe et complexe. Il est de plus en plus changeant, versatile, et devient donc infidèle aux marques au grand dam de ces dernières. Celles-ci ont de plus en plus de mal à le cerner alors même qu’il serait indispensable dans des environnements en mutation rapide et de plus en plus concurrentiels d’acquérir une connaissance intime des consommateurs (consumer insight) le plus rapidement possible et avec la fiabilité la plus grande de façon à pouvoir innover et garder toujours une longueur d’avance.

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Mais si les approches habituelles pour étudier les consommateurs deviennent inopérantes, vers quoi se tourner ? Comment réinventer le marketing ?

Le point de départ du renouveau : un ingénieur s’intéresse aux situations particulières d’opérateurs de terrain

Eric Seulliet, fondateur de www.e-mergences.net :

Un chercheur devenu créateur de start-up détient peut-être les clés de ce renouveau. Et c’est en France que cela se passe !

L’histoire commence il y a maintenant plus de 20 ans, au début des années 80, lorsque Jean-Pierre Malle, travaillait dans la robotique, chez Thalès. Il observa alors que les situations personnelles des opérateurs influaient beaucoup sur les performances, les questions de maintenance, etc. Or les situations des individus n’étaient jamais prises en compte… Par la suite, devenu ingénieur en organisation, toujours chez Thalès, en s’intéressant au rôle de l’individu dans le pilotage de systèmes complexes il réalisa combien il pouvait être déterminant de redonner aux individus les moyens de contrôler les situations rencontrées.
Ce fut le point de départ de ses recherches portant sur la modélisation des situations (modèles de capacité-maturité) et sur les algorithmes inductifs. L’idée de base de ces recherches, est que l’analyse de situations permet de voir ce que les situations induisent ou peuvent induire. On ouvre ainsi le champ des possibles.
Devenu par la suite consultant en méthodes d’organisation agiles, Jean-Pierre Malle a pu alors valider l’intérêt de ses approches au travers de nombreuses missions de conseil.

Une nouvelle étape a été récemment franchie avec la création de la start-up « Ensuite Info » dont le savoir faire consiste à encapsuler ses algorithmes inductifs dans des automates d’analyses et de prise en charge des situations.

Mais en quoi cela peut-il bien concerner le marketing ?

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Détour par les recherches du MIT

Faisons un détour par les USA et plus précisément par le MIT. C’est là qu’un professeur de la Sloane School of Management, Eric von Hippel, y a développé ses recherches bien connues sur les « lead-users ». Ceux-ci dénomment des utilisateurs pointus et chevronnés de certains produits. Mais du coup, comme leur intérêt se heurte rapidement à une limitation par rapport à des usages avancés qu’ils imaginent, ces « lead users » s’efforcent de trouver des améliorations aux produits en question. Et ils y parviennent en procédant par détournements d’usage et par bricolages intelligents. Ce faisant, ils donnent aux concepteurs de vraies pistes d’innovation et deviennent pour ainsi dire co-créateurs de nouveaux produits.

Et c’est là qu’entre en jeu un concept particulièrement éclairant pour expliquer comment de simples détournements d’usage peuvent produire des innovations radicales : celui de « stickiness » des informations et du savoir. Eric von Hippel explique par ce concept, qu’on pourrait traduire par « viscosité », que toute situation d’usage est fortement liée à un contexte donné, très spécifique à chaque utilisateur. Autrement dit, il est quasiment impossible d’appréhender un client « moyen » puisque chaque situation, chaque contexte sont particuliers à chacun de ceux-ci. Et donc, la meilleure façon de recueillir l’information venant des consommateurs afin de pouvoir l’exploiter consiste à la contextualiser par l’observation et par l’analyse de situations.

C’est ainsi que les sciences humaines font une entrée remarquée dans le champ du marketing : sociologie, anthropologie, ethnologie, ergonomie, et même depuis peu neurosciences.
Parallèlement, et à côté d’études « in vivo » conduites par ces nouveaux chercheurs qui viennent renforcer les équipes marketing, se développent de plus en plus les concepts de laboratoires d’usages, lieux dans lesquels les consommateurs peuvent être étudiés « in vitro ».

Et ce n’est pas un hasard, si le premier laboratoire d’usage s’est créé dans l’orbite du MIT. C’est en effet le professeur William J. Mitchell, professeur au MIT MediaLab et à la School of Architecture and City Planning qui en est à l’origine. Ce concept s’est concrétisé en 2003 avec le projet PlaceLab lancé en 2003 par le MIT conjointement avec TIAX, une société spécialisée en développement de technologies collaboratives.
Localisé dans un appartement d’un immeuble en copropriété de Cambridge (Massachussets), PlaceLab était conçu comme un dispositif expérimental destiné à observer comment y vivent des familles qui y résident pendant des périodes allant d’une semaine à plusieurs mois.

C’est de ce concept de laboratoire d’usages qu’est ensuite né, par élargissement, celui de « living labs ». Dans ces « laboratoires vivants », on dépasse la simple notion d’usage pour prendre en compte la notion de comportements et modes de vie. Un living lab constitue donc un véritable dispositif d’open innovation multipartenaire et ancrés dans un vrai contexte de vie. Mais nous aurons l’occasion de revenir plus tard sur ce concept de living lab qui mérite un article à lui tout seul.

Ce détour par les notions de laboratoires d’usages, de stickiness des contextes et de living lab, nous éclairent et nous ramènent à sur ce qui constitue l’élément central au cœur de ces concepts : les analyses situationnelles.

Les analyses situationnelles : en quoi elles consistent et ce qu’elles apportent

Les analyses situationnelles développées par Jean-Pierre Malle se caractérisent par le fait qu’elles font appel :
– à des raisonnements inductifs. L’inductivisme est une forme de réflexion basée sur la généralisation. C’est une approche symétrique de l’approche logico-déductive, cartésienne.
– à des principes de holisme et de systémisme. Elles s’opposent ainsi à la modélisation et à la décomposition pascalienne.
– à des démarches « agiles ». Il s’agit de s’adapter en permanence plutôt que d’agir par processus et par phases.

Les avantages de ces approches inductivistes sont qu’elles correspondent beaucoup plus à des comportements naturels et humains que les approches déductives. Or force est de constater que ces dernières ont été beaucoup plus valorisés, notamment en Occident et peut-être plus encore en France… ne sommes-nous pas les enfants de Descartes ?

Il n’est que de voir la survalorisation des études scientifiques par rapport aux études littéraires ou de sciences « molles ». Or si on a indéniablement besoin d’un cerveau gauche – celui dit de la rationalité et de la déduction -, on a surtout besoin d’une tête bien faite, et complète. C’est celle qui englobe aussi un cerveau droit – celui de l’intuition, de l’imagination et de l’induction.

C’est la raison pour laquelle, loin des études quantitatives et même qualitatives marketing qui brassent essentiellement des données brutes et sèches, sans grande signification, les analyses situationnelles sont beaucoup plus en phase avec une appréhension fine des consommateurs.

Les avantages des analyses situationnelles pour le marketing

Les analyses situationnelles ont l’avantage de prendre en compte des éléments plus fins, multidimensionnels et plus signifiants que les études marketing classiques. Elles permettent de donner une vision plus globale, mais aussi plus instantanée des comportements des consommateurs. Elles prennent en compte toute la complexité des situations. En élargissant le champ des plausibles, elles tracent ainsi la voie à de nouveaux possibles.

Ce type d’approche globale permet de mieux voir « en avant », d’embrasser des panoramas de façon plus large, avec plus de champ, plus de profondeur, en prenant plus en compte les comportements et réactions humains.

On est là exactement dans ce qui caractérise l’attitude prospective que Gaston Berger, considéré comme le père de cette discipline définissait par ces caractéristiques (Voir ce lien) : « Voir loin, voir large, analyser en profondeur, prendre des risques, penser à l’homme ».

Les analyses situationnelles permettent ainsi de déceler les émergences, de percevoir les signaux faibles, de faire des liens, des connexités avec d’autres situations. Tout cela permet de « pré-voir », d’anticiper les tendances de consommation et finalement d’innover mieux et plus vite.

Analyses situationnelles dans des contextes réels, voila à l’évidence le duo gagnant du marketing et de l’insight consommateur de demain !

Auteur : Eric Seulliet, fondateur de www.e-mergences.net et de www.lafabriquedufutur.org

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