L’affaire Appgratis est emblématique. Un géant, en l’occurrence Apple, décide de son propre chef de tuer du jour au lendemain une startup après avoir changé les règles du jeu. On pourrait penser qu’il s’agit d’un épiphénomène – il n’en est rien. De plus en plus souvent – en particulier dans les nouvelles technologies – les grands groupes usent de leur position dominante pour asseoir leur position concurrentielle en utilisant le prétexte de l’intérêt général. Ils se justifient par le manque de régulation en faveur de l’utilisateur.
Faut-il accepter cette privatisation du droit par les plus forts ? Existe-t-il une voie entre une réglementation rigide, mal adaptée et dépassée et la privatisation du droit par les grands acteurs ?
La privatisation de l’intérêt général par de grands groupes internet (Microsoft, Google, Apple) est un phénomène particulièrement frappant. L’évolution constante des technologies ne permet pas aux instances de régulation ou de réglementation d’opérer correctement, laissant ainsi la possibilité aux grandes entreprises de dicter leur propre loi.
Mmm… Et les cookies ?
Les exemples sont légion. À titre d’exemple, on peut citer la lutte de Google contre Apple sur le dépôt des cookies. Apple au prétexte de préserver l’intérêt des consommateurs, empêche par défaut le dépôt de cookie tiers. Ce faisant Apple gène le bon fonctionnement de la publicité sur internet en particulier pour Google. Google a pendant un temps trouvé une parade, mais a du faire marche arrière une fois révélée – passant ainsi pour une société qui outrepassait le consentement des internautes !
Mais l’objectif d’Apple était-il vraiment de protéger les consommateurs ou au contraire d’empêcher Google d’accéder à ses clients pour mieux les exploiter lui-même? On en revient ainsi à l’affaire Appgratis qui a été supprimé de l’App store, entre autre parce qu’il le concurrençait ! A quel droit Apple se réfère-t-il pour décider qu’il est dans l’intérêt du consommateur de bloquer le fonctionnement de la publicité ?
Honni soit qui maile y pense…
L’ironie du sort est sans doute que Google, Yahoo et beaucoup d’autres des webmails ne se privent pas de faire la même chose. En fermant l’accès de leurs boites aux lettres aux emails publicitaires, au prétexte de protéger les utilisateurs contre le spam, ils gardent un accès exclusif à leurs utilisateurs pour leur faire de la publicité. Ces derniers ne se privant pas d’exploiter les données de comportement pour leur ciblage !
Si ces grands groupes ont le champ libre pour faire la loi c’est que la loi n’existe pas, ou a vraiment du mal à s’appliquer dans ces domaines. Par exemple, la loi sur les cookies est en pleine évolution tant au niveau européen que national. Mais en la matière le bon équilibre est impossible à définir. Si la loi est trop restrictive, elle tue le business, favorise les sites étrangers, ou n’est tout simplement pas applicable. La loi sur les cookies en France n’est aujourd’hui appliquée à la lettre par aucun acteur, sinon les sites ne pourraient pas fonctionner correctement. A contrario, si elle est trop souple alors les grands groupes font leur propre loi, au mépris de la pseudo neutralité d’internet.
Alors que faire ? Encourager un laxisme réglementaire qui favorise les positions dominantes ou subir une loi inadaptée ?
Pour résoudre ce problème, il faut me semble-t-il le séparer en deux. D’une part, il semble important que l’Etat édicte de façon claire des grands principes dans la loi : la neutralité du net et le respect des choix du consommateur sur l’usage de ses données personnelles par exemple. D’autre part, les modalités pratiques ne doivent pas faire l’objet d’une loi, il faut laisser aux corps intermédiaires le soin de mettre en place les bonnes pratiques.
Le recours à la négociation des corps intermédiaires, tels que les divers syndicats et associations de professionnels représentatifs avec des instances de l’état (Cnil, Arcep,…), est sans nul doute la bonne solution. La mise en place d’un code de bonne conduite et de préconisations qui s’appliqueraient à tous leurs membres est plus pragmatique, efficace et évolutive. Ces codes sont plus adaptés à la réalité donc plus faciles à respecter et plus efficaces car ils peuvent évoluer plus vite que les lois. Ils restent donc plus en phase avec les évolutions très rapides des technologies. En cela je rejoins complètement la position récente de d’Olivier Schramek, président du CSA qui, se refusant à être le gendarme d’internet, déclare au Figaro : » Le CSA a vocation à être un interlocuteur légitime mais non contraignant des acteurs d’internet… La régulation peut se concevoir de manière totalement différente suivant les secteurs et les institutions qui en ont la charge ».
Certes, les organismes professionnels sont nombreux à traiter du sujet (SNCD, IAB, UDA, UFMD,FEVAD), et leurs préconisations sont parfois contradictoires et donc également difficiles à mettre en œuvre. Certes, un code de bonne conduite n’a pas la force d’une loi et certains moutons noirs devant le manque de sanctions passeront outre. Mais il en de même d’une loi inapplicable car constamment obsolète ou non adaptée.
En fixant le cadre, la loi permet de toujours servir de référence en cas de conflit ; le juge sera alors amené à vérifier si les actions réalisées sont conformes aux principes édictés. Ce n’est bien sûr pas idéal, car c’est une porte ouverte à la subjectivité des juges mais c’est la « moins pire » des solutions.
Le gouvernement actuel, qui se fait le chantre de la négociation paritaire, devrait adhérer à cette idée. Il semble pourtant aujourd’hui aller dans le sens d’une régulation par la loi. Il est vrai qu’une concertation par le Conseil National du Numérique est en cours, mais l’objectif est bien l’élaboration de lois. Même si derrière cette loi se cache surtout un objectif fiscal lui-même à peine dissimulé derrière l’intérêt général (voir le rapport Colin et Collin).
Décidément l’intérêt général a vraiment bon dos !
Auteur : Alexandre de Chavagnac, Directeur Général de Tedemis
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