Ce n’est qu’en 2006, après qu’Apple ait payé une indemnité de 1 million de dollars à une société singapourienne qui détenait un brevet empêchant le lancement de l’i-pod, que Steve Jobs a pris la décision de systématiquement protéger, en particulier par des brevets, tout ce que sa compagnie pouvait produire ou créer. Cette stratégie a permis par la suite à Apple de rencontrer certains succès judiciaires, notamment lors de ses démêlés avec Samsung concernant la tablette Galaxy.
C’est ainsi que les choses se passent souvent, les leçons sont payées au prix fort et, en l’occurrence, l’obstacle a été surmonté par une entreprise qui n’était plus une startup. Le garage de Los Altos était loin.
Beaucoup de jeunes entreprises n’auraient pas les moyens de survive à un tel différend impliquant un droit de propriété intellectuelle, ni de faire face au risque souvent fatal de se voir déposséder de leurs droits ou d’empiéter elles-mêmes sur des droits préexistants ou protégés de tiers.
Les startups doivent prendre conscience de ces enjeux, non seulement parce que comme toute entreprise, elles se doivent de protéger leurs signes distinctifs mais aussi parce que, entreprises innovantes, leur vocation est souvent de créer des actifs immatériels qu’elles doivent particulièrement sécuriser car ils constitueront un élément essentiel de leur valorisation.
La protection des signes distinctifs
Les startups doivent protéger leurs signes distinctifs : dénomination sociale, marque (verbale et/ou logo) et noms de domaines.
Le choix du signe. Le signe adopté devra être libre. Une recherche au sein du Registre du Commerce et des Sociétés (RCS), sur les bases de l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) et de noms de domaine (Who.Is) ainsi que sur un moteur de recherche donnera une première indication de sa disponibilité. Mais une telle recherche est en général insuffisante et devra être complétée par une recherche dite d’antériorités approfondie effectuée par un professionnel du droit (CPI ou avocat) :
- à titre de dénomination sociale : la dénomination sociale sera enregistrée au RCS lors de l’immatriculation de l’entreprise, ce qui lui confèrera une protection dans le domaine d’activité de l’entreprise et pendant la durée de vie de celle-ci.
- à titre de marque : un dépôt à titre de marque ne sera nécessaire que si le signe a vocation à être employé pour désigner des produits ou services et non simplement l’entreprise elle-même. Il apparait sans doute simple de déposer soit même une marque à l’INPI. Mais, en réalité, la rédaction d’un libellé et la conduite des nécessaires recherches d’antériorité est complexe et nécessite d’être assisté d’un professionnel du droit. Si l’entreprise a vocation à sortir du territoire national, la marque communautaire offre une protection peu onéreuse dans les 28 pays de l’Union Européenne et devra être privilégiée. En dehors de ce territoire, les couts de dépôt sont importants et une stratégie de protection devra être précisément ajustée. La marque enregistrée sera protégée pendant une période de 10 ans indéfiniment renouvelable.
- à titre de nom de domaines : face à la multiplication des extensions, l’entreprise devra faire des choix. La réservation du nom de domaine dans les principales extensions « .com », « .fr », « .eu » voire « .net » est généralement suffisante et conférera une protection pour une période de 1, 2, 5 ou 10 ans indéfiniment renouvelable.
C’est une erreur commune de croire qu’une fois enregistrés, les signes sont protégés. En effet, si la propriété intellectuelle confère un monopole d’exploitation sur les signes enregistrés, son corollaire est le droit d’interdire, lequel se perd s’il n’est pas exercé énergiquement et en temps utile. Beaucoup de marques connues (Pina Colada, Nylon, Fooding …) sont ainsi tombées parce que leur titulaire en avait toléré sans encadrement l’usage par des tiers.
C’est pourquoi il existe un mécanisme de surveillance, notamment de marques et de noms de domaines, qui peut être mis en place à des coûts très accessibles pour protéger de manière efficace et réactive ces droits de propriété industrielle.
La protection de l’innovation
La sensibilisation aux questions de propriété intellectuelle, au secret et aux bonnes pratiques contractuelles permet aux jeunes entreprises d’être vigilantes et d’éviter la plupart des écueils dans lesquels elles sont susceptibles de tomber.
Le secret qui protège
Le secret protège même ce qui ne peut pas l’être par le droit de la propriété intellectuelle, et notamment :
– Les idées, les concepts, les procédés et méthodes qui sont« de libre parcours »,
– Le savoir-faire défini comme « une connaissance technique transmissible mais non immédiatement accessible au public et non brevetée »,
– Les inventions :
- Qui ne répondent pas aux trois conditions de nouveauté, d’application industrielle et d’activité inventive requises pour un brevet. Ainsi l’invention divulguée, c’est-à-dire portée à la connaissance du public, ne sera plus considérée comme nouvelle. C’est pourquoi toute invention devra être gardée secrète jusqu’au jour du dépôt la demande de brevet.
- Que l’entreprise choisira de ne pas breveter afin de les garder secrètes au-delà de la protection de 20 ans conférée au brevet, à l’instar de la formule du Coca-Cola.
La divulgation à des tiers est souvent inévitable car elle est nécessaire aux échanges entre l’entreprise et ses partenaires. Les solutions pour protéger ses projets sont alors simples et doivent être rigoureusement appliquées :
- Signature d’accord de confidentialité préalablement à toute transmission d’informations sensibles,
- Insertion de mentions de confidentialité sur l’ensemble des documents sensibles,
- Sensibilisation du personnel de l’entreprise aux questions de confidentialité.
Le contrat qui sécurise
La question de la propriété des résultats et des créations/inventions se pose en interne et en externe.
En interne, si les logiciels ou inventions brevetables développés par les salariés de l’entreprise dans le cadre de leur mission deviendront automatiquement la propriété de l’entreprise, il n’en va pas de même des créations protégées par le droit d’auteur qui, auront ou non la qualification d’œuvre collective appartenant dès l’origine à l’entreprise. D’où la nécessité de prévoir des clauses de cession de droits dans le contrat de travail ou ses avenants, pour tous ceux qui auront une fonction créative/inventive.
En externe, si l’entreprise fait appel à des contributeurs extérieurs, aucun mécanisme ne lui assure automatiquement la propriété des résultats issus de ces commandes. L’entreprise devra prévoir des clauses de propriété appropriées pour s’assurer du transfert. Si l’opération est relativement simple lorsqu’il s’agit d’un partenariat à deux, elle devient éminemment plus complexe dans les projets qui impliquent un co-développement entre plusieurs entités. Des conseils pour la négociation et la rédaction des outils juridiques appropriés sont alors nécessaires.
C’est précisément en phase de démarrage que les startups ont les besoins les plus importants en terme de propriété intellectuelle, à un stade où elles doivent souvent lever les fonds nécessaires à leur développement. Le besoin est inversement proportionnel aux moyens.
C’est pour cela que les diverses initiatives publiques ou privées qui ont vocation à permettre aux jeunes entreprises innovantes d’accéder aux conseils et à des formations à des coûts adaptés doivent être encouragées et notre cabinet a choisi d’intégrer le réseau de partenaires du programme d’accompagnement de startups lancé par le cabinet d’audit et de conseil BDO.
Auteurs : Nicolas Godefroy et Sandra Cabanne-Desgranges, Avocats associés, Clairmont Avocats
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Un article de notre dossier Business Angels et financement de startups
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