Depuis août 2019, les collages fleurissent sur les murs des villes du monde entier. À l’initiative de Marguerite Stern, une militante féministe, ils sont devenus symboliques – par le biais d’un code graphique – d’une nouvelle manière de militer qui ne s’expose plus seulement dans la rue mais dans le numérique. La transformation du visible est en cours.
Visible pour se faire entendre
Placarder les murs de la ville n’a jamais été innocent. Ce geste parcourt l’histoire du féminisme : d’Olympe de Gouges, en passant par les suffragettes, jusqu’aux « colleuses » de notre société contemporaine, les collages réunissent les militantes. Désormais, ils bousculent les passants qui voient s’aligner dans les rues des slogans qui honorent la mémoire des victimes de violences sexistes et sexuelles :
« Une femme va être tuée dans moins de quatre-huit heures », « Elle dit non, il la tue ».
Ils sont une façon bien particulière d’appréhender la rue, d’aborder un espace qui n’est pas toujours pensé pour les femmes selon Elly, membre du groupe Facebook Colleuses Paris : « La rue est socialement un espace conçu et vécu par et pour les hommes. Coller nécessite de passer du temps dans la rue. Du coup, il y a l’idée que la rue est aussi à nous ».
La symbolique du geste passe aussi par sa simplicité déconcertante : le collage se compose de feuilles blanches au format A4 sur lesquelles sont peintes des lettres noires. L’esthétique est sobre, brute, reconnaissable et réalisable par tous. Le geste permet de se faire entendre, d’une même voix. C’est ce que ressent Marion, colleuse depuis trois mois : « Le collage me fait me sentir puissante. Les lettres, petits îlots individuels, prennent tous leurs sens par l’assemblage collectif. C’est la réalisation collective d’aspirations individuelles ».
Du mur au feed Instagram : un potentiel viral exploité


Zoé Espitallier, étudiante à l’Université Paris Assas, Master Usages du numérique, Innovation et Communication
La majorité des collages sont photographiés puis publiés sur les réseaux sociaux. Les sessions de collages sont donc des mises en œuvre de communication voulue afin que les clichés soient commentés, relayés et partagés par la suite sur le web 2.0. Le glissement de l’espace public vers le visible numérique vient accroître le potentiel viral des collages et permet aux collages dits « muraux » de s’affranchir de l’espace dans lequel ils sont circonscrits. L’interconnexion des personnes dans l’espace numérique permet aux colleuses d’atteindre un public plus étendu.
Coller sur un mur, épingler sur un feed, publier ou placarder un message sur les réseaux… L’espace numérique serait-il le prolongement de l’espace public ? Selon Anaïs, l’une des modératrices du compte de collage le plus suivi en France, la publication des collages sur les réseaux sociaux est une « action complémentaire de ce qu’on peut faire dans la rue. Instagram est devenu une sorte d’espace public, concret, qui apporte énormément de visibilité à notre parole, qui elle est toujours invisibilisée, dans les médias traditionnels. En plus, ça permet aux personnes de nous identifier en tant que groupe et de venir nous rejoindre ».
Les réseaux sociaux tiennent donc un rôle de médiateur dans les collages. Ils sont les lieux d’organisation, de formation et de discussion pour préparer les sessions. La majorité des grandes villes a au moins un compte qui recense les divers collages effectués, permettant aux colleuses de s’inspirer des messages des autres.
Collages virtuels et confinement
Le confinement n’a pas arrêté les colleuses. Au contraire. « La hausse des violences domestiques et conjugales pendant le confinement est une raison de plus pour continuer à militer » selon Julie, colleuse à Marseille. Les colleuses s’adaptent désormais à la situation sanitaire en occupant les réseaux sociaux avec des montages photos. L’idée a été lancée par la graphiste Emilie Dupas, qui a crée un site permettant aux militantes de faire réaliser un collage virtuel.
Grâce au travail d’une équipe de graphistes spécialisée dans les montages, les slogans continuent d’être placardés sur les murs Facebook. Là aussi, la mise en scène est primordiale afin d’augmenter le potentiel de viralité. Les collages sont apposés sur des lieux symboliques tels que le Panthéon. Ils viennent contourner la censure : celle qui passe par les décollages des slogans sur les murs. S’ils sont éphémères dans la rue, les collages virtuels deviennent « éternels » sur les réseaux sociaux et illustrent la notion de « pantopie » inventée par Michel Serres, soit cette capacité à être à tous les lieux à la fois sans que son corps se déplace, grâce à un écran.
Ainsi, le numérique modifie les manières de s’exprimer, de confronter l’autre, de militer. C’est ce que tend à dire Dominique Cardon dans son essai La démocratie internet : « Internet a accueilli et encouragé l’expression des subjectivités en rendant soudainement visible une diversité expressive qui restait jusqu’alors invisible ». Le numérique induit une certaine ubiquité qui permet de médiatiser le combat féministe contemporain qui se fait et qui se défait dans la rue ou bien devant un écran.
Auteure : Zoé Espitallier, étudiante à l’Université Paris Assas, Master Usages du numérique, Innovation et Communication
***
Aller plus loin :
- Dominique Cardon. (2010). La Démocratie Internet. Promesses et Limites
- Michel Serres. (2014). Pantopie : de Hermès à petite poucette
- https://collagesvirtuels.fr et pls spécifquement, de nombreux visuels : https://collagesvirtuels.fr/album-confinement1
- https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/09/14/sur-les-murs-de-paris-des-collages-pour-denoncer-la-persistance-des-feminicides_5510378_3224.html
- http://celsalab.fr/2020/04/28/confinement-des-collages-virtuels-fleurissent-sur-le-net-contre-les-violences-faites-aux-femmes/

