Droit et pratiques marketing

La déchéance guette-t-elle vos marques ?

Comment se prémunir juridiquement de la déchéance de marque ? A anticiper aussi par le service marketing.

Comment se prémunir juridiquement de la déchéance de marque ? A anticiper aussi par le service marketing.

En déposant une marque, son titulaire dispose d’une protection et d’un monopole d’exploitation de dix ans renouvelables. Pourtant, s’il n’est pas vigilant dans l’exploitation de sa marque, le titulaire peut voir ses droits déchus avant l’expiration de ce délai. Il s’agit de la déchéance de marque qui peut être demandée par toute personne intéressée. Dans quels cas ? Comment s’en prémunir ?

Tout titulaire de marques est susceptible de voir, un jour ou l’autre, ses droits déchus par une procédure de déchéance qui peut être demandée en justice (ou devant l’office de propriété industrielle dans certains pays) par toute personne ayant un intérêt légitime à agir.

Sanction du défaut d’usage d’une marque

J'ai un job dans la com', par Serge-Henri Saint-Michel

Si en France, le dépôt d’une marque accorde un monopole d’exploitation sur le territoire pour une durée de dix ans, renouvelable indéfiniment, cette protection est assortie d’une obligation de la part du titulaire : l’exploitation effective de la marque déposée pour les produits et services désignées lors du dépôt. Ainsi, « encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans », selon l’article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle (CPI).

Mais qu’est-ce qu’un usage sérieux ? De manière générale, il y a usage sérieux lorsque la marque est utilisée conformément à sa fonction essentielle : garantir l’identité d’origine des produits ou services pour lesquels elle a été enregistrée afin de distinguer, sans confusion, les produits et services de ceux de ses concurrents. Il peut s’agir de l’exploitation de la marque par un tiers avec le consentement de son titulaire via une licence d’exploitation par exemple. A l’inverse, de simples essais techniques, cliniques, la distribution d’échantillons par voie postale à des personnes de l’entreprise du titulaire de la marque ne devraient pas être suffisants.

Prouver l’exploitation de la marque

Sachez que la charge de la preuve de l’exploitation pèse sur le propriétaire. Des factures, documents publicitaires, des pages de magazines, des preuves que le produit est commercialisé permettront notamment de conclure à un usage sérieux. En France, ces preuves doivent se rapporter aux cinq dernières années précédant la demande de déchéance.

Olivier Poulin, juriste

Olivier Poulin

C’est pourquoi, la stratégie de certaines entreprises, qui consiste à déposer leur marque dans un maximum de classes (il en existe 45 au total selon la classification de Nice) alors qu’elles ne l’utilisent réellement que dans un nombre restreint de secteurs peut donc être sujette à des contentieux. En effet, une marque peut être frappée de déchéance, ne serait-ce que partiellement, c’est-à-dire pour certains produits ou services non exploités et/ou sur certains territoires, en cas de dépôt dans plusieurs pays.

Toutefois, le législateur a prévu que le titulaire puisse invoquer des justes motifs pour justifier de ne pas avoir exploité sa marque. Par justes motifs, il faut comprendre une raison valable qui n’est pas à l’origine d’un fait fautif du propriétaire de la marque et qui l’a donc légitimement empêché de l’exploiter. Il peut s’agir par exemple d’un litige en cours ou de l’attente d’une autorisation administrative, comme par exemple d’une AMM (Autorisation de Mise sur le Marché d’un médicament). Les excuses légitimes sont examinées au cas par cas.

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Prenez garde à l’antonomase !

La déchéance pour défaut d’exploitation n’est pas le seul risque pour un propriétaire de marques. Il encourt également la déchéance de ses droits si sa marque est devenue, « de son fait », la désignation usuelle du produit ou du service, dans le commerce (article L. 714-6 du CPI).

Condition nécessaire : il faut que la faute soit imputable au titulaire. C’est-à-dire lorsqu’il a lui-même contribué à rendre sa marque usuelle en ne s’opposant pas à un usage de sa marque en tant que terme du langage courant. Le titulaire a le devoir de défendre son droit de propriété intellectuelle. Il doit alors pouvoir démontrer que des actions ont été menées dans ce but. Le propriétaire doit ainsi signifier fermement aux tiers que la marque n’est pas libre d’utilisation. Cela peut passer, par exemple, par une lettre de mise en demeure à un magazine dont le journaliste utiliserait la marque comme un mot générique. Les dictionnaires peuvent constituer un bon indicateur d’un glissement de la marque vers une possible dégénérescence. L’inclusion d’une marque dans un dictionnaire, sans qu’une indication du type « marque déposée » apparaisse, est par exemple un indice que le signe est devenu usuel.

Quelques décisions de justice ont prononcé ce type de déchéance pour dégénérescence. Le titulaire de la marque Piña colada en a notamment fait les frais. Il a été déchu de ses droits pour sa passivité et ne pas avoir cherché à éviter que sa marque ne désigne, dans le langage courant, un cocktail.

Quand la marque ne joue plus son rôle de garantie pour le consommateur

Encourt la déchéance de ses droits le propriétaire d’une marque devenue « de son fait » propre à induire le consommateur en erreur, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service désigné (article L. 714-6 du CPI). Ici, il s’agit bien d’une marque valable lors de son enregistrement mais qui, avec le temps, est devenue trompeuse du fait de son utilisation par son titulaire. Ce type d’action en déchéance est assez peu fréquent.

Cette disposition du CPI consacre le principe selon lequel la marque doit demeurer un instrument loyal d’information des consommateurs tout au long de sa vie.

Vers des procédures simplifiées

Aujourd’hui, en France, les procédures en déchéance et en nullité de la marque sont judiciaires. Dans certains pays, tel l’Allemagne, la procédure est plus simple : l’action en déchéance doit être portée devant l’Office national de propriété industrielle allemand, l’équivalent de notre INPI. Demain, ce type de procédures administratives pourrait voir le jour en France, ce qui aurait potentiellement pour conséquence de faciliter la déchéance des marques.

En effet, la Commission européenne planche actuellement sur un projet de réforme du système européen du droit des marques. La proposition de directive prévoit, entre autres, d’instaurer une procédure administrative de déchéance ou de nullité similaire à celle applicable aux marques communautaires auprès de l’OHMI.

Verdict en 2015 !

Auteur : Olivier Poulin, juriste

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