Produits et marques

Eloge du désaccord : une révolution culturelle pour les marques ?

L’ère digitale et communautaire entraîne une mutation des relations entre les marques et les individus et soulève nombre d’interrogations centrales pour la marque.

Les initiatives participatives ne s’apparentent pas à une « technique » de communication. Elles confrontent les marques aux exigences d’une vraie relation.

J'ai un job dans la com', par Serge-Henri Saint-Michel

L’ère digitale et communautaire entraîne une mutation des relations entre les marques et les individus. C’est un truisme que de le rappeler, mais pour évident que cela paraisse, la reconfiguration de ces relations soulève quelques interrogations centrales pour la marque, au-delà de l’euphorie participative.

Le modèle de la marque s’est construit autour de la logique de souveraineté : elle s’exprime à l’intérieur d’un espace de communication dont elle a la pleine maîtrise ; elle peut y programmer ses actions comme bon lui semble. Dans cet espace symbolique, la marque est non seulement souveraine, mais elle est en quelque sorte infaillible, jamais prise en défaut : tout se termine toujours bien, et les relations sont placées sous le signe des désirs comblés et de l’euphorie, essence de l’univers publicitaire. Elle hyperbolise, sous différentes formes, la satisfaction du client qui utilise ses produits ou services.

L’ère communautaire et participative crée pour les marques un changement de système de référence. En ouvrant -même partiellement- son espace de communication, la marque abandonne en partie la logique de souveraineté absolue pour rentrer dans une relation fondée sur le dialogue multilatéral. Qui dit dialogue dit incertitude…En effet, comment connaître à l’avance l’issue d’un dialogue ? Comment en maîtriser le cours ? Comment être sûr qu’on se quittera bons amis ?

Erik Bertin, Directeur des stratégies de l'agence Business lab

Erik Bertin, Directeur des stratégies de l'agence Business Lab

Rentrer dans un dialogue avec des communautés de clients ou de fans impose un nouveau contrat relationnel. Le dialogue ne se limite pas à « rentrer en conversation », forme courtoise et sans finalité précise de l’échange. Il implique de passer en mode de « discussion », c’est-à-dire d’accepter la confrontation entre des points de vue et des désirs ou des objectifs potentiellement différents. Il s’agit alors d’argumenter, de négocier, de concéder. Et d’être prêt à l’apparition toujours possible du désaccord, qui peut rompre à tout moment l’idéal d’harmonie des marques. Ouvrir son espace de marque à la discussion et à la participation implique d’être capable d’affronter le désaccord et d’en faire une partie intégrante de la relation, au même titre que l’harmonie et l’adhésion.

Starbucks et Gap : le pouvoir de dire non

Prenons rapidement deux exemples pour illustrer cette question. Depuis 2008, les consommateurs de Starbucks peuvent proposer des idées d’innovation ou d’amélioration des produits et services sur la plateforme MyStarbucksIdeas. Les idées sont évaluées, commentées et enrichies par la communauté, et ensuite sélectionnées par la marque. Plus de cent dix mille idées ont ainsi été proposées depuis le lancement, et quelque six cent cinquante ont été implantées. L’initiative est incontestablement une réussite, et Starbucks est classée troisième marque sur les réseaux sociaux par le site Social Bakers (juin 2011).

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Les seules limites qu’on pourrait pointer, à des fins d’amélioration, tiennent à l’évitement par la marque des zones conflictuelles, pourtant inhérentes à tout vrai dialogue. L’immense majorité des idées non retenues ne fait l’objet d’aucune exploitation par la marque Starbucks. Il est bien entendu impossible de traiter toutes les idées proposées. Mais certaines idées non retenues, jugées pertinentes ou fréquemment proposées, pourraient fort bien justifier une prise de parole de la marque pour expliquer sa position et son « refus ». Une opportunité de communication, en somme. Telle idée est intéressante, par exemple, mais elle n’est pas compatible avec un mode de production « durable ». Ou bien elle nécessite des ingrédients artificiels qui risquent d’altérer la qualité du produit. Pourquoi ne pas publier régulièrement un « Best of » des idées non retenues, et en faire ainsi un sujet de « discussion » pour la marque et son public ? Ce qui permettrait peut-être de relancer certaines de ces idées, en les faisant évoluer dans la discussion. Par ailleurs, lorsqu’on se rend sur la page Facebook de Starbucks, on voit s’exprimer différentes demandes et attentes. On est surtout frappé par l’importance des demandes d’ouverture de Starbucks dans les villes de France, signe de l’attachement fort des clients à la marque. Et l’on constate que ces demandes restent la plupart du temps sans réponse. Starbucks esquive ainsi la discussion sur un sujet polémique, très investi par les consommateurs, ne pouvant pas y apporter de réponse positive. Le dialogue est bien sûr plus difficile, il nécessite de dépasser l’euphorie communautaire pour affronter le désaccord : là encore, expliquer le refus peut s’avérer une opportunité pour renforcer la relation avec le client, en la rendant plus mature et plus responsable.

L’histoire récente de Gap avec sa communauté témoigne de cette même difficulté à embrasser les conséquences d’un mode relationnel fondé sur la discussion et la participation. Le 4 avril 2010 la marque Gap décide de mettre en ligne son nouveau logo sur son site www.gap.com, sans préparer ou avertir ses clients et sa communauté. Les réactions des consommateurs, des fans et des bloggers ne se font pas attendre : ils n’aiment pas le nouveau logo et le font savoir. Le 7, via Twitter et Facebook, la marque annonce avoir pris la mesure des réactions suscitées par ce changement, et fait appel aux internautes pour proposer des alternatives au nouveau logo. Plus de mille cent commentaires sont postés par la communauté sur le mur Facebook de Gap. Les propositions de logo affluent par centaines sur le blog ISO 50 Gap Redesign Contest et sur 99 designs, des parodies du logo sont créées. Mais soudain la marque recule et annonce dès le 8 la fin du projet de crowdsourcing et le retour à l’ancien logo, par la voix de sa présidente Marka Hansen. Des voix ont bien sûr prétendu que la marque avait en fait orchestré cette affaire, pour montrer combien elle était à l’écoute de sa communauté. Quoiqu’il en soit et au-delà de la satisfaction immédiate des internautes, ce cafouillage marque l’hésitation entre différents registres relationnels. La marque impose d’abord une décision unilatérale, à une communauté qui estime devoir être consultée pour un tel changement. Gap passe alors en « mode concertation », mais sans aller au bout de la logique : un espace de propositions est ouvert, mais ces propositions ne seront pas discutées, ni utilisées… Et dans un ultime réflexe de maîtrise, la marque préfère accéder à la demande de sa communauté par « décret », plutôt que de prendre le risque de la discussion. Car débattre et sélectionner, c’est forcément mécontenter. Malgré son bon vouloir, Gap est finalement restée prisonnière de l’alternative : imposer ou renoncer.

L’âge de la maturité pour les relations entre marques et consommateurs

On doit néanmoins rendre justice à ces marques et à d’autres de prendre le risque de ces initiatives de dialogue et d’implication communautaires. Mais quand on entre dans l’ère du communautaire et de la participation, on ne peut s’arrêter au milieu du gué. La difficulté à gérer le désaccord pour une marque révèle une partie des enjeux du nouvel âge qui s’ouvre : celui d’une relation plus adulte et plus réelle où la marque peut ne pas être d’accord, et le client peut l’accepter, pour peu qu’elle l’explique et qu’il y ait un débat assumé. C’est sans doute une chance qui se présente pour refonder l’avenir des marques. Celle de renoncer à l’idéal d’infaillibilité et d’harmonie dans lequel elles se sont enfermées. De s’humaniser en quelque sorte, en reconnaissant ses limites, en étant capable de dire non, de changer d’avis. En brisant le fantasme de la perfection, l’ère participative offre peut-être aux marques la possibilité d’accepter et d’accomplir leur destin « d’êtres imparfaits ». On peut parier qu’elles y gagneront en qualité de relation et en attachement avec leurs publics.

Auteur : Erik Bertin, Directeur des stratégies de l’agence Business lab, docteur en sémiotique

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