

Tatouage de marque
Le printemps arrive…et avec lui le temps des régimes express et des méthodes de tonification miracle font leur retour dans les discours des marques et des médias.
Le discours des marques n’est plus axé « beauté » mais sur le corps et les modes de vie à adapter aux tendances du moment :
Bio ou AMAP, soja ou légumes de saison, Pilates ou Qi-gong, ostéo ou réfléxo, jeu vidéo de sport ou jeu vidéo d’entrainement mental, tatouage ou piercing, slim ou fuseau, DHEA ou Botox, brésilien ou intégral, French ou ultra courts, blond vénitien ou platine, Pro ana ou grosse…? Beaucoup d’angoisse surtout.
Une nouvelle forme de pression sociale est là
Au premier abord cela peut sembler louable puisque « c’est pour notre bien » ! Et c’est là que les marques ont su se positionner sur un créneau fort pour devenir nos nouveaux coachs…
Des coachs, dont les produits du quotidien vont remplacer la chirurgie, notamment grâce aux innovations de docteurs aux noms américains ou japonais. Prenons l’exemple de L’0réal qui met en scène des dermatologues « américains » dans sa dernière campagne TV. Plutôt que l’habituel discours limité « beauté bien-être » des starlettes, les scientifiques y rappellent notre responsabilité à prendre soin de notre corps. Le corps n’est donc plus présenté comme un simple levier pour atteindre le glamour mais à la place c’est l’offre de la marque qui est valorisée en tant que produit indispensable à la cible. La pirouette est faite : la marque et ses produits passent à la marche suivante de la pyramide des besoins. Ainsi en ajoutant des éléments santé et nutrition les marketeurs devraient voir leur volume de vente se maintenir malgré cette période de crise et la fin des achats « superflus ».
Suivre les codes des marques, respecter les conseils des programmes bien-être , santé et consors…tout cela revient à modeler son corps tout entier, le domestiquer pour se plier aux dernières tendances.
Pourquoi les individus cèdent-ils à ces discours ? La peur du rejet. Modeler son corps, c’est une nouvelle clef, un « dernier pouvoir ».
L’apparence, est devenue un vecteur d’image publicitaire et surtout sociale d’autant plus fort avec le renforcement du mode « tribu ». L’image dégagée accélère ou bloque l’identification et la reconnaissance par les groupes de pairs qui restent un des derniers repères d’une société aux repères en déconstruction-évolution permanente.
Pour les marques qui ont réussies à se positionner en tant que coachs, l’accélération de notoriété est certaine. En revanche cela permet-il de réellement assurer leur succès commercial ?
Pas forcément ! Il ne suffit pas qu’une tribu adopte les codes d’une marque pour l’installer en tant que « marque star » et faire grimper ses ventes. Ces tendances d’appropriation débutent bien souvent de façon alternative et peuvent en termes d’insight générer des freins. Aussi, les marketeurs doivent gérer avec d’immenses précautions ces comportements.
Nintendo dans la peau
Prenons en particulier le cas des tatouages de logos par leurs fans
Dans le secteur du sport ou celui des NTIC et jeux vidéos, le fanatisme peut aller jusqu’au tatouage du logotype de « sa marque » : du Nike Swoosh à la Pomme d’Apple (cf. illustration ci-dessus).
Les médias présentent généralement ces comportements comme des dérives de l’influence de marques « cannibales » de l’esprit et du corps pour le même coup ! Pour les marques la valeur ajoutée de tels comportements est signe d’un noyau dur de suiveurs – ambassadeurs mais qui seront aussi d’autant plus difficiles à contenter à l’avenir. C’est une prise de risque à calculer à long terme qui implique d’accepter de l’UGC et une forme de perte de contrôle comparé aux moyens de communication « classiques ».
Les exemples « d’hommes sandwichs » des temps modernes se multiplient : du Nebraska à la France en passant par le New Jersey, des jeunes gens ont vendu leur front (37000 $) et autres parties de leur corps à des grandes marques comme Nike, RedBull mais aussi à des sociétés locales avides de publicité facile. Publicité facile, car ces exemples sont fortement médiatisés. Pour autant il ne s’agit pas toujours de notoriété positive qui est véhiculée.
En novembre 2008, 2 français qui cherchaient à se rendre au concert Youtube de San Francisco avaient mis en place un site internet pour vendre leur corps en tant que support publicitaire, n’oubliant pas de préciser que le concert serait filmé et rediffusé dans le monde entier… un argument commercial imparable puisque qu’ils ont vendu tout leur « espace » en 3 jours !
Certaines marques cherchent elles à occuper l’espace médiatique à tout prix sans regarder la qualité perçue et les impacts pour leur image de marque alors que leur discours est emprunt de la meilleure des volontés envers le corps et la santé de leurs clients ?
Effectivement, les campagnes publiques comme les messages des marques incitent à prendre soin de notre « capital santé ». Mais peut-on vraiment parler de « santé » au sens premier du terme ? En se pliant à toutes les tendances, en rompant sans cesse le corps à chaque nouveau code quel sera l’impact sur la santé, l’état physiologique de ce dernier après toutes ces « vagues »?
Les deux notions santé et liberté sont malmenées
Si la morale et la mode poussent à refuser les OGM dans nos assiettes par principe de précaution et liberté, cela ne s’applique apparemment pas à notre propre corps et nous n’en semblons pas conscients. Car, sous couvert d’un discours santé-beauté nos corps sont en réalité façonnés selon l’évolution des campagnes marketing.
Le choix de se préserver soi-même mettrait en péril l’image sociale si durement construite et à laquelle il convient de réussir à tout prix … une évolution naturelle de notre corps semble désormais hors de question.
La marque met alors en jeu la crédibilité de son message face aux moyens qu’elle emploie. Aucune trace de morale, dans ces cas là et les consommateurs ne sont pas dupes. Les nombreux détournements de spots TV en témoignent, notamment ceux attaquant le groupe Unilever et sa marque Dove. La morale attend elle donc son tour de revenir à la mode pour nous rappeler ses codes ? A moins que ce ne soit aux marketeurs de faire preuve d’éthique en veillant à proposer un discours moins axé sur le corps ?
Il ne s’agirait alors pas que d’éthique mais aussi de pertinence… L’évolution des classifications des consommateurs est complexe et il est actuellement plus facile de s’adresser à chacun à travers l’image sociale qu’il dégage qu’à travers les valeurs dans lesquelles il se reconnaît. Pourtant ne serait ce pas là le vrai travail des marketeurs ? Connaître et analyser les comportements des consommateurs afin de construire et diriger les discours de marques sur des arguments tangibles et pérennes pour l’individu tout entier et pas seulement son corps ?
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Auteurs : Anne-Line Gayet, Adeline Aubert, Jennifer Do Couto, Lauren Malaurie
Autre article des mêmes auteurs : Du Cocooning au Hiving
Lire nos autres articles sur le corps, le marketing et la publicité :
- Lorsque le corps s’emmêle, la société s’en mêle. Par Majda Alkagh, Hafida Derouiche, Damien Guignard, Marion M’selam et Céline Amoussou
- La représentation du corps. Par Raphaëlle Formosa, Nadège Grillet, Jean-Baptiste Mazade, Marie Potard et Déborah Tapia
- Une allure plus fluide à vélo, par Isabelle Cellier


Arnaud
15 juin 2009 à 17:31
pour illustrer cet article très bien fait. Voilà une société (tattoo-marques.com) qui exploite cette idée : http://www.youtube.com/watch?v=0y5h2x3vKH0