C’est une évidence : contrairement à l’image ou la lumière, le domaine musical est le parent pauvre des champs de recherche en marketing sensoriel. En effet, la discipline de la psychologie cognitive des sons n’a que quelques décennies, et la pratique du marketing musical, dans un cadre universitaire, remonte seulement aux années 1980. Aujourd’hui, la pratique du marketing musical n’est toujours pas professionnalisée dans la mesure où ces chercheurs ne maîtrisent pas suffisamment la discipline musicale pour se prétendre scientifiques en la matière. En découle des approximations intolérables, ou des résultats partiels. Par exemple on lit parfois des expériences menées sur des oppositions de type : instrumentales / chantées, mineures / majeures, gaies / tristes, et ainsi de suite. Cette classe de résultats ne permet qu’une utilisation non systématique et fragmentaire de l’outil sonore.
Mais qu’est-ce qui produit la tristesse ressentie par un auditeur à l’écoute d’une musique définie par les chercheurs comme triste ? N’est-ce pas plutôt cet élément là qu’il faudrait identifier, isoler et tester ? Le problème avec la musique, c’est que les chercheurs en sciences cognitives et marketing sonore ne sont pas capables d’isoler leurs variables, et ainsi se trompent.
Le schématisme
Pour comprendre le raisonnement, revenons aux bases.
La science produit du schématisme (par exemple une figure géométrique), entendu comme la synthèse imagée d’un objet complexe, le rendant par là même manipulable – en tant que manipulation de symboles – et donc industrialisable pour les utilisateurs finaux (marketeurs, publicitaires, etc…).
Par exemple compter ou exprimer la quantité « mille » est complexe, mais une fois schématisée avec ce dessin : 1000, qu’est l’écriture, il devient alors possible de facilement la manipuler pour faire des additions ou autres opérations. Cela suppose donc l’existence de techniques (ou technologies). De la même façon que la géométrie naît avec la technique de l’écriture, la génétique naît avec la possibilité technologique de la main instrumentée.
A titre d’exemple, en 1978, Werner, Smith et Nathans découvrent les enzymes de restriction qui permettent de découper l’ADN avec la précision de la main instrumentée. Ainsi l’ADN est désorganisé, découpé en unités, pour ensuite être réorganisé. Le support biologique est synthétiquement manipulé. Synthétiser sous la forme de schème, dans le domaine musical, signifie découper cet objet, par essence temporel, qu’est la musique. Car la musique est du temps, et donc en tant que telle un objet récalcitrant à la synthèse spatialement schématisée, au contraire, par exemple, d’une image. On pourrait dire que schématiser consiste en une synthèse spatiale de l’objet temporel quel qu’il soit.
Pour résumer, le schématisme se déroule dans un cadre spatial : l’écriture, la géométrie, les tableaux, etc… alors que la musique est du temps. C’est là que se situe notre tâche : nous développons actuellement une série d’expériences au cours desquelles nous testons une à une ce que nous avons défini comme des unités compositionnelles de base. En fait, il s’agit tout simplement d’unités dont dispose le compositeur afin de composer. Cet article rend compte de la première expérience traitant de la perception des accords. Nous poursuivrons ces expériences sur toutes les autres unités compositionnelles de base, et ainsi, après avoir désorganisé, nous réorganiserons en opérant une analyse d’œuvre globale utilisant tous nos résultats.
Nous disposerons à l’issue de ces expériences d’un « alphabet sensoriel des sons », d’un premier schématisme musical global, traitant de la perception des sons, et qui constituera pour la première fois une banque de données et proposera une méthode d’utilisation globale et systématique, rendant ainsi le son exploitable.
Le Profil Flash
Nous avons, pour cette expérience, utilisé la méthode du Profil Flash (Sieffermann, 2000; Dariou et Sieffermann, 2001), en collaboration étroite avec Walther Oettgen. Le Profil Flash est une méthode d’analyse sensorielle descriptive basée sur la combinaison des deux techniques suivantes :
- Le profil libre (Williams et Langron, 1984) : le sujet de l’expérience établit librement ses termes et caractérisations. Ainsi, nul besoin d’établir un vocabulaire consensuel commun. Une évaluation comparative simultanée de l’ensemble des objets effectuée quantitativement et qualitativement.
- Le Profil Flash permet d’obtenir un positionnement sensoriel des objets, les uns par rapport aux autres, au sein d’un « univers perceptif », défini par l’auditeur lui-même. Il fournit donc un positionnement relatif à des objets.
Résultats
Dans les résultats obtenus, il a été constaté une véritable cohérence dans la classification et dans le positionnement des accords de la part des auditeurs, que ceux-ci soient experts ou non initiés (ou naïfs) à la musique. A l’image de règles grammaticales, les groupes constitués ont permis de déterminer des critères musicaux : un public d’auditeurs naïfs et experts est capable de produire un ensemble de résultats en cohérence avec la « grammaire musicale » (définie par des critères sonores essentiels comme la construction harmonique des accords, leur fonction au sein d’un contexte tonal, ou atonal, etc…).
Ce constat est absolument déterminant : cela signifie que ce public est en possession d’un savoir-faire, sous-entendant un savoir-théorique, partagé. Ce savoir-faire est mobilisable en acte, à partir du moment où l’on en donne les moyens techniques aux auditeurs. Le marketeur ne peut se permettre de considérer le consommateur comme un individu sans savoir musical. Il doit donc fournir lui-même un effort visant à une utilisation optimale des sons qu’il propose. Sans cela, il pourrait même en faire les frais financiers…
En conclusion, nous avons obtenu pour la première expérience de ce type, avec le Profil Flash, deux types de résultats. Le premier est la caractérisation sensorielle des différents accords présentés. Le deuxième est la classification de ces objets par les auditeurs, dont nous avons noté la cohérence.
Ce travail a consisté à schématiser, pour la première fois, l’espace musical, en commençant par son aspect harmonique. Grâce à notre travail de synthèse, il sera enfin possible de conserver, de discerner et de comparer ce qui relève du sonore. Car nos résultats sont des matérialisations objectives du flux de pensées, de sensations, provoquées à l’écoute de ces accords ; matérialisations objectives du sens interne, rendant manipulable cet objet temporel qu’est la musique, comprenant l’objet musical lui-même, ainsi que sa perception par un auditoire. En conséquence, ces matérialisations sont manipulables par l’industrie en tant qu’elle fait des consciences sa matière première. E. Kant écrit dans La critique de la raison pure, tr. Treinesaygues et Pacaud, PUF, 1944 p. 151-152 que « Le schème n’a pas pour but une intuition particulière, mais l’unité de la sensibilité ». Car la mémoire, ou la pensée, une fois schématisée et extériorisée, est ré-intériorisée par les individus, dans la mesure où ce schématisme circule dans la société.
Imaginons un exemple simple comme le cinéma : il serait possible d’utiliser nos résultats et les procédés d’analyse afin de caractériser plus strictement les personnages, le rythme du film, les situations… Les spectateurs verront ainsi leur sensibilité s’unifier en conséquence de l’industrialisation de nos résultats. Nous pouvons fournir des résultats utilisables par les compositeurs, dans tous les styles, et sans entraver la créativité de ces derniers. Malgré la contrainte de la forme sonate, Beethoven ou Mozart, ou encore Haydn ont été parfaitement novateurs et originaux.
Le marketing sensoriel avait un parent pauvre : le son. Nous proposons aujourd’hui de lui redonner toute la dimension de son efficacité et de sa pertinence. Celui-ci peut – grâce à notre nouvel outil – reprendre ses droits et faire valoir sa très forte valeur ajoutée. La stratégie et le marketing sonores sont aujourd’hui en possession d’outils scientifiques et musicaux fiables, vecteurs de rentabilité.
Auteur : Ilan Kaddouch, Président d’Akoustic Arts
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