De plus en plus d’internautes, soucieux d’effacer toutes traces les concernant de la toile, revendiquent un «droit à l’oubli numérique». Sensible à ces préoccupations et allant à l’encontre des conclusions rendues par l’avocat général de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), cette dernière a, par un arrêt très attendu, consacré le 13 mai dernier, l’existence d’un droit à l’oubli, en condamnant Google à retirer de son moteur de recherche des données à caractère personnel.
Une affaire partie d’Espagne
En 2010, un citoyen de nationalité espagnole a introduit auprès de l’Agence de protection des données espagnoles (AEPD), une réclamation à l’encontre de Google Inc et de Google Spain. L’intéressé demandait que soient supprimées des résultats de recherche certaines données le concernant, considérant qu’elles n’étaient désormais plus pertinentes car datant de 1998.
Dans le cadre de cette procédure, une série de question fut posée à la CJUE concernant l’interprétation de la Directive 95/46/CE, qui fixe le cadre juridique européen en matière de protection des données à caractère personnel.
Google : responsable du traitement des données à caractère personnel
Selon la CJUE, l’activité d’un moteur de recherche consistant à trouver des informations publiées sur Internet par des tiers, pour les collecter, les indexer de manière automatique et les mettre à disposition des internautes selon un ordre de préférence, constitue un traitement de données à caractère personnel au sens de la Directive, dès lors que ces informations contiennent des données personnelles. L’exploitant du moteur de recherche doit en conséquence être considéré comme le «responsable» dudit traitement et respecter les dispositions de la directive.
Google doit respecter le droit à l’oubli
La Cour souligne qu’un tel traitement de données à caractère personnel est susceptible d’affecter significativement les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel.
Dès lors, la personne concernée par ce traitement peut donc demander à ce que l’information la concernant et apparaissant dans les résultats de recherche soit effacée, que ces informations aient été ou non légalement publiées. En effet, la Cour part du principe que certaines informations peuvent devenir avec le temps «inadéquates, pas ou plus pertinentes» et qu’en conséquence Google est «obligé de supprimer de la liste des résultats, des liens […]contenant des informations relatives à cette personne».
Selon la CJUE, les droits au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles, prévalent non seulement sur l’intérêt économique de l’exploitant du moteur de recherche mais également sur l’intérêt du public à accéder à l’information.
Toutefois, une limite est apportée au droit à l’oubli, dans les cas où le rôle joué par la personne dans la vie publique nécessite que le public puisse avoir accès à l’information en question. La difficulté de cette exception résidera bien évidemment dans son application puisque il sera bien souvent difficile pour un moteur de recherche d’établir le bien-fondé d’une demande formulée par un individu ainsi que les conditions dans lesquelles cette exception doit être appliquée. En dernier ressort, en cas de non obtention du retrait souhaité après requête formulée auprès du moteur de recherche, ce dernier pourra saisir l’autorité de contrôle nationale ou l’autorité judiciaire.
L’avancée du droit à l’oubli au niveau européen
Le droit à l’oubli fait ainsi une avancée au niveau européen même si certains états avaient déjà au niveau local, reconnu à leurs citoyens la possibilité de s’en prévaloir.
Cette décision de la Commission précède l’action du législateur, puisqu’un projet de règlement européen sur la protection des données personnelles, envisageant la reconnaissance du droit à l’oubli, est toujours en cours de discussion.
En définitive, la CJUE fait prévaloir le droit au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles sur l’intérêt du public à accéder à l’information. La pertinence d’une telle décision au regard de la liberté d’expression et du droit à l’information reste à débattre, d’autant que depuis cette décision, Google est confronté à un véritable afflux de demandes de suppression des données personnelles dont il devra apprécier le bien-fondé.
Auteur : Florence Chafiol-Chaumont, Associée August & Debouzy, avocate en Propriété Intellectuelle et Nouvelles Technologies
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(c) ill. Shutterstock – abstract image of birds circling around the sun
Christophe
27 mai 2014 à 6:27
Article intéressant,
Je n’ai pas encore pratiqué toute la panoplie des demandes de suppression désormais proposées à l’internaute par Google, mais il y a quand même pas mal d’actions possibles à faire avant un recours en justice et vous l’indiquez effectivement.
La difficulté réside dans le fait que seul Google est maître de la décision concernant la suppression des données indexées émanant d’une demande utilisateur. Mais il faut bien qu’une décision soit prise, dans les 95% des cas qui ne posent pas de problèmes. Sinon, la moindre des critiques ou avis négatifs ferait objet d’une demande de suppression et ce serait la fin du web.
Mais peut être n’en sommes nous pas très loin finalement…