Cette citation célèbre du prince de Lampedusa n’a jamais été autant d’actualité. La crise de notre monde est en réalité une mutation profonde et accélérée ou plus que jamais la pérennité des entreprises repose sur leurs capacités à détecter les modèles de demain pour mieux les réinterpréter.
Hyper connexion, infobésité, immédiateté
Les nouvelles technologies et tout particulièrement internet ont produit en une décennie trois phénomènes qui sont en passe de changer radicalement le monde tel que nous l’avons connu : l’hyper connexion, l’infobésité et l’immédiateté. Une combinaison de facteurs tout autant à l’origine d’instabilités destructrices que d’opportunités créatrices. Pour avoir une chance d’appartenir au groupe de ceux qui sauront saisir ces dernières, il est essentiel de discerner dans les bruits, les mouvements et les faits du monde qui nous entoure ce qui n’est que l’écume de l’actualité, des modes éphémères et ce que sont les signes annonciateurs de tendances de fond, car ce sont elles qui dressent la voie du futur et en fondent les axes porteurs.
Si la quête des signes du temps n’est pas nouvelle – pas plus que ne le sont ses prophètes occultes ou starifiés – ce besoin de détection n’a jamais été aussi essentiel. La formidable accélération du temps, des échanges et des processus de transformation économique, sociale et technologique a aussi bien propulsé jusqu’au sommet des Google, Apple, Facebook et Amazon qu’entrainé la chute vertigineuse d’entreprises comme Kodak, Virgin Megastore, Surcouf, Blackberry. Ces malheureux exemples d’une déconnexion de l’entreprise avec son environnement nous indique combien l’expression « colosse aux pieds d’argile » n’a été aussi congruente.
C’est pourquoi, il s’agit moins aujourd’hui de disposer des prédictions de quelques êtres éclairés ou particulièrement intuitifs pour redonner un souffle de modernité à une offre déclinante que d’intégrer une véritable démarche systématique et permanente d’observation, de sélection et d’interprétation des signaux forts et faibles à même de nourrir l’innovation et de questionner régulièrement la stratégie, la mission et la vision de l’entreprise.
Interpréter les signaux pour éviter le mur…
Cette démarche dont nous parlons repose sur quatre piliers fondamentaux :
- Le premier de ces piliers réside dans l’observation éclairée, que l’on peut aussi nommer sérendipité et qui consiste à trouver ce qu’on ne cherchait pas mais qui a du sens. [nombre de découvertes qui sont bien plus que des tendances ont vu le jour de cette façon : la lithographie, le four à micro-ondes, la pénicilline, le Post-it, le téflon, le Velcro, les premières robes de Mademoiselle Chanel, le verre lisse, la tarte tatin ou les bêtises de Cambrai]. Un travail que les stars des tendances ont longtemps fait seuls -ou en petite équipe- en parcourant les capitales trendy, mais qui aujourd’hui est en voie d’être détrônée par de nouveaux éclaireurs parcourant le monde via le net et peut être encore davantage demain par le crowdsourcing à l’instar du modèle de SoonSoonSoon. Pour autant, quelle que soit la méthode, cette qualité particulière consistant à être à la fois hors du monde et en hyper écoute reste la clé de voûte de ce travail de recueil.
- Le second pilier repose sur une activité de curation pour consigner, étiqueter, catégoriser, conserver puis réassembler tous ces faits et idées observés afin de mettre en évidence des tendances émergentes. Sans se brider dans cette recomposition, ni céder à la surenchère du néologisme conceptuel. Juste recomposer ces observations parce qu’elles font sens et ne sont donc pas des faits isolés.
- Le troisième pilier consiste à procéder à une analyse critique de ces tendances en les mettant en regard des grands courants de fond qui traversent notre société, qu’ils soient sociologiques (ex. l’individuation), démographiques (ex. le vieillissement de la population), économiques (ex. augmentation du capital non actif). L’enjeu est de leur attribuer un niveau de pertinence, d’identifier la ou les logiques qui les sous-tendent et de révéler leurs sens réel.
- Le quatrième pilier, et non des moindres, s’appuie sur la transformation de ces tendances en concepts innovants, en nouveaux business models ou en redéfinition de la mission que s’assigne l’entreprise. Un pilier qui repose tout autant sur le talent des animateurs à même de faire jaillir par la créativité les idées de demain que sur la volonté d’une direction de s’inscrire dans le temps et d’utiliser l’innovation comme vademecum de sa longévité.
Une telle démarche se rapproche de ce que Philippe Stark nommait think deep on design lors d’une conférence TED en 2007 (voir vidéo infra). En résumé, il disait qu’il y a trois façons de marcher et d’avancer : la première consiste à regarder à chaque pas où se posent nos pieds, la seconde à marcher les yeux perdus dans le ciel pour y chercher on ne sait quelle illumination, la troisième est de regarder l’horizon tout en profitant de la vision périphérique. Il ajoutait que l’expérience montre que les deux premières constituent le moyen le plus sûr de se prendre un mur…
Le monde dans lequel nous agissons se déconstruit. Sachons l’observer, capter les idées et les innovations qui naissent dans ce chaos pour se forger une vision et le reconstruire.
Auteur : Luc Balleroy, Directeur Général d’OpinionWay, Directeur du pôle InnovativeWay
***
Un article de notre dossier Etudes Marketing (2014) et du dossier Consommateur et consommation
***
(c) ill. Shutterstock – Near Space photography – 20km above ground