Les phénomènes d’influence et de conviction sont au cœur des problématiques de communication, de marketing et d’opinion. Pourtant la dynamique des opinions individuelles est un impensé des études qui raisonnent toujours de façon statique, comme si l’opinion était déposée dans la tête des personnes et qu’il s’agissait soit d’en mesurer la fréquence d’occurrence soit de la creuser qualitativement pour la comprendre. Ce texte explique en quoi cet impensé est problématique et présente quelques pistes de solutions méthodologiques pour y répondre.
L’opinion comme virus, l’étude de marché comme étude épidémiologique
Les recherches sur la mesure de l’opinion dénoncent depuis longtemps le mythe du donné, c’est-à-dire d’une opinion individuelle que les sondeurs n’auraient qu’à recueillir, puis agréger, pour donner une image fidèle de l’ “opinion publique” ou “du marché”. Les ornières sur le chemin de ce mythe sont bien connues des professionnels des études : les attitudes des sondés souvent contradictoires, volatiles dans le temps, trop sensibles au contexte discursif de l’enquête ; le risque de tirer des conséquences opérationnelles d’un pur artefact d’étude existe. C’est certainement le signe que nous nous faisons une représentation erronée de ce que nous cherchons.
Que cherchons-nous alors ou, pour le dire autrement…
De quoi les études de marché d’opinions sont-elles l’étude ?
Notre réponse, inspirée par un certain nombre de recherches en psychologie sociale et en sciences cognitives, est que nous cherchons à comprendre un certain écosystème. Cette idée a trois conséquences.
- L’opinion strictement individuelle n’existe pas. Qu’il s’agisse de construire un pont ou de juger d’un film, c’est dans le processus d’échange et de confrontation qui est au fondement de la vie sociale des individus que chacun construit ses réponses, ses représentations, ses attitudes.
- La dynamique des opinions est au moins aussi importante que leur mesure et analyse à l’instant t. Certaines de nos opinions et de nos attitudes émergent et survivent intactes pendant un temps, d’autres se révèlent instables et disparaissent au contact de représentations et d’attitude concurrentes, tandis que la plupart mutent, se transforment, s’hybrident.
- L’analyse épidémiologique permet d’étudier la dynamique des opinions. Certaines opinions et attitudes se propagent massivement, d’autres disparaissent comme elles sont apparues, d’autres survivent dans des sous-groupes relativement restreints. En somme, les opinions sont comme des virus culturels : leurs effets sur un hôte, leur survie, leur diffusion dans leur écosystème social, dépend des conditions écologiques qu’elles rencontrent (Voir les théories de l’épidémiologie des représentations). C’est à l’enquête qu’il revient de poser le diagnostic toxicologique et épidémiologique.
Dans la perspective que nous venons d’esquisser sur la nature de l’opinion, les instabilités qui perturbent ses mesures statiques perdent leur air de mystère : à quoi bon recueillir l’opinion instantanée d’un répondant sur un produit innovant, un sujet nouveau, ou lui poser une question dans des termes qui ne sont pas les siens, et comment s’étonner d’éventuels revirements lorsqu’on le ré-interroge quelques semaines ou quelques heures plus tard ? La question se posera de façon d’autant plus aiguë que l’on prêtera attention à l’importance cruciale d’internet dans l’écosystème contemporain de la formation de l’opinion. Le consommateur connecté n’est pas aujourd’hui ce qu’il sera demain : interrogez-le aujourd’hui, il ira mettre demain ses jugements à l’épreuve du net dès qu’ils ressembleront à des intentions d’achats – dès qu’il commencera, en fait, à s’en soucier un tant soit peu. La méthode classique statique de recueil d’opinion paraît alors doublement inadéquate, en ce qu’elle suppose une adhésion à ce que nous avons appelé le “mythe du donné” et en ce que cette adhésion a de problématique au regard des pratiques contemporaines d’acquisition de l’opinion. Dès que l’on adopte une représentation virale de l’opinion, il devient nécessaire de chercher une méthodologie d’étude plus adaptée à son recueil et à sa mesure.
Quelle méthodologie d’étude pour l’analyse épidémiologique de l’opinion ?
Il n’y a sans doute pas aujourd’hui de réponse définitive à cette question. Mais nous pensons que si l’opinion individuelle est un virus, nous devons pour l’observer, la comprendre et la mesurer, reconstruire son habitat, c’est-à-dire un écosystème miniature dans lequel il sera possible d’étudier sa dynamique individuelle et collective. Cet habitat naturel n’est autre que le lieu de l’échange, de la parole, de la délibération : le forum. Aujourd’hui, nous pensons donc que pour comprendre quelles attitudes sont robustes, quelles opinions vont devenir dominantes, quels arguments convainquent, pour obtenir des insights sur la capacité de survie et de propagation d’une description, d’un argumentaire, d’une critique, l’organisation et l’analyse de débats dans des communautés online sur-mesure est certainement le chemin le plus direct.
Auteur : François Erner, Président et Co-fondateur de House of Common Knowledge
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