A ce jour, le système des brevets d’invention n’est pas vraiment unifié à l’échelle européenne. S’il est possible d’obtenir un « brevet européen » à l’issue d’une procédure unique, ce titre éclate ensuite en une pluralité de titres nationaux, qui peuvent être maintenus en vigueur ou abandonnés de manière indépendante. Surtout – à l’exception de la procédure d’opposition qui ne peut être exercée que dans les neuf mois qui suivent la délivrance d’un brevet européen – le contentieux reste strictement national. Le contraste est saisissant avec le système des marques communautaires, réellement intégré tant au niveau de l’enregistrement que du contentieux, même si ce sont des tribunaux nationaux qui sont appelés à juger de la contrefaçon et de la validité d’une marque communautaire. Les projets de création d’un brevet communautaire, et d’un système juridictionnel associé, se succèdent pourtant depuis… 1975 ! Après 40 ans d’efforts, cet objectif semble désormais à portée de main, car l’accord instituant une Juridiction Unifiée des Brevets (JUB) est actuellement en cours de ratification. Cela permettra également l’entrée en vigueur d’un règlement communautaire de 2012 instituant un « brevet européen à effet unitaire », avatar de feu le brevet communautaire.
Les nombreuses difficultés qui ont bloqué l’aboutissement de ce projet ambitieux n’ont pu être surmontées qu’au prix de compromis rendant l’organisation et le fonctionnement de la JUB assez complexe.
Une juridiction unifiée mais non centralisée
Ainsi, la juridiction « unifiée » ne sera pas centralisée, mais au contraire ses différentes composantes seront reparties aux quatre coins de l’Europe. Tout d’abord, elle comprendra une pluralité de divisions nationales ou régionales de première instance, compétentes pour un ou plusieurs Etats (gage de proximité avec les justiciables), ainsi qu’une division centrale. Cette dernière sera elle-même divisée en trois sections, compétentes pour différents domaines techniques : la principale basée à Paris, les deux autres à Londres et à Berlin. La Cour d’appel, unique, sera basée à Luxembourg. La juridiction comprendra également un centre de médiation et d’arbitrage, basé à Lisbonne et à Ljubljana, destiné à favoriser le règlement non-judiciaire des litiges, ainsi qu’un centre de formation des juges à Budapest. La Cour de Justice de l’Union Européenne ne sera pas intégrée à ce système, et ne pourra qu’être saisie de questions préjudicielles portant sur l’interprétation du droit de l’Union Européenne.
Bifurcation
Dans tous les cas, une affaire sera traitée par des juges d’au moins deux nationalités différentes. En outre, des juges ayant une formation technique interviendront dans toutes les actions en nullité, ainsi que dans les affaires de contrefaçon les plus complexes. Des mandataires en brevets européens, professionnels associant expertise technique et juridique, pourront assister les parties, en collaboration avec des avocats ou seuls dans certaines conditions.
Spécificité déroutante pour un plaideur français, une action en contrefaçon et une demande reconventionnelle en nullité du brevet (c’est-à-dire une action en nullité introduite par le contrefacteur allégué en tant que moyen de défense) pourront être traitées séparément – la première par une division nationale ou régionale et la deuxième par la division centrale. Il s’agit là du principe allemand de la « bifurcation », fortement critiqué par de nombreux praticiens des autres pays, mais qui rencontre un succès incontestable, l’Allemagne étant – de loin – le pays européen connaissant le plus d’actions en contrefaçon de brevets. Toutefois, à la différence du système allemand, devant la JUB la bifurcation ne sera qu’optionnelle, à la discrétion de la division nationale ou régionale saisie.
Taxe de procédure
Une autre particularité du système juridictionnel intégré – qui s’explique sans doute par la crise budgétaire affectant la plupart des pays européens et qui trouve également son origine dans le système allemand – est que les plaideurs devront financer eux-mêmes la juridiction à travers des taxes de procédure d’un montant relativement élevé (on parle de 11.000 € pour une action en contrefaçon et jusqu’à 20.000 € pour une action en nullité). Les États n’assureront donc le financement de la JUB que pendant une période de démarrage. Des facilités devraient toutefois être prévues au bénéfice des PME et des particuliers.
Le processus de ratification de l’accord sur la JUB s’annonce encore long (selon des rumeurs, le Royaume Uni attendrait son référendum sur l’appartenance à l’Union Européenne avant de s’engager) et, même après son entrée en vigueur, les titulaires de brevets européens auront la possibilité d’exclure temporairement la compétence de la JUB, auquel cas les tribunaux nationaux resteront compétents. Mais les principaux obstacles semblent avoir été levés et il parait désormais quasi-certain que l’odyssée du brevet communautaire connaîtra enfin un dénouement heureux, en permettant à une Europe des brevets de se concrétiser enfin.
Auteur : Enrico Priori, Conseil en Propriété Industrielle, Mandataire en brevets européens, Marks & Clerk France
***
(c) ill. Shutterstock – Square label with flag of european union isolated on white