Marchés et cibles

Le marathon de l’ouverture du marché de l énergie

Le marathon de l’ouverture du marché de l’énergie

Dans le marché de l’énergie, la notoriété et la réputation ne font que la moitié de l’équation. Dans les stratégies de recrutement des fournisseurs d’énergie, on peut en effet dissocier deux types de techniques : les techniques intrusives, et les techniques plus opportunistes…

L’ouverture en 2007 du marché de l’énergie pour les particuliers a déclenché une « ruée vers l’or » des fournisseurs alternatifs sur les portefeuilles des ménages. Dommage que pour une grande partie des ménages en question, cette grande époque soit passée pratiquement inaperçue ! En 2013, 92% des particuliers reçoivent encore leur électricité d’EDF, tandis que 79% reçoivent leur gaz aux tarifs réglementés de GDF Suez. Une situation due en grande partie à un déficit d’information : malgré la pression croissante de la facture énergétique sur le budget des ménages, moins d’un français sur deux sait qu’il a la possibilité de changer de fournisseur d’énergie.

Nous verrons que sur ces marchés très particuliers – car la remarque est valable également pour d’autres marchés de services tels que la téléphonie, les assurances ou les banques en ligne – la notoriété et la réputation ne font que la moitié de l’équation. Dans les stratégies de recrutement des fournisseurs d’énergie, on peut en effet dissocier deux types de techniques : les techniques intrusives, et les techniques plus opportunistes.

Puissance et proximité

J'ai un job dans la com', par Serge-Henri Saint-Michel

Nous sommes en juin 2011. GDF Suez adopte une nouvelle posture de marque avec le positionnement « être utile aux hommes ». En associant les gros chiffres qui construisent le cadre de vie de toute la société et les petits chiffres qui font le quotidien de chacun, le groupe répond efficacement aux deux exigences faites à un champion national : puissance et proximité. La campagne, qui est diffusée à grand renfort de télévision et de presse papier, est reprise dans toutes les communications du groupe, de la com employeur à la com de mécénat, en passant bien sûr par la com produit.

EDF réplique en septembre de la même année avec un spot au discours comparable : « et si toutes nos vies passaient par ce fil ? », mettant en scène les français dans leur quotidien. Le premier énergéticien français démontre ainsi qu’il est en empathie avec ses clients dont il a compris les besoins, tout en se fondant comme le pourvoyeur indispensable de ces besoins.

David contre les deux Goliath

Débarqués en 2007 sur le marché des particuliers, les fournisseurs alternatifs ont donc eu à affronter non pas une, mais deux marques-mastodontes historiques, disposant d’un capital-confiance très important. Pour Direct Energie, le principal nouvel entrant, la stratégie de conquête a logiquement consisté à miser avant tout sur les relations presse, ainsi que sur la publicité, sur un ton toutefois très différent. Le fournisseur alternatif avait ouvert le bal en 2009 en association avec l’entraîneur Philippe Lucas, dans une campagne qui a laissé une forte empreinte mémorielle grâce à sa proposition simplissime : si vous passez chez Direct Energie, vous paierez votre énergie moins cher « et puis c’est tout ! ». Un avantage purement fonctionnel, qui en appelait à la raison des clients pour les inciter à oser sortir du giron rassurant des opérateurs historiques. Suite aux campagnes de 2011, Direct Energie a continué dans la même veine, en cherchant à démontrer aux consommateurs que l’énergie n’est après tout qu’une commodité, dont la variable clé reste le prix.

Pourquoi ne pas avoir opté pour un positionnement plus émotionnel, qui aurait procuré un effet plus marquant ? Pourquoi ne pas avoir lancé une campagne dans le même style qu’ING Direct, la banque en ligne qui a ouvert son service après une redoutable campagne de teasing sur l’effet que procure l’ouverture d’un compte sans contraintes et à prix ultra-concurrentiel ? Parce que le créneau de l’engagement émotionnel était déjà occupé par EDF et GDF Suez. Et que David, s’il est malin, se garde bien d’affronter Goliath avec ses propres armes.

Xavier Pinon, directeur et co-fondateur du comparateur de fournisseurs en ligne Selectra

Xavier Pinon, directeur et co-fondateur du comparateur de fournisseurs en ligne Selectra

La méthode « intrusive »

Dans le même ordre d’idée, les fournisseurs alternatifs ont rapidement eu recours à des techniques de marketing direct afin de toucher les clients directement chez eux. Cela partait d’un constat simple : la publicité, c’est bien pour se faire connaître, mais ce n’est parfois pas suffisant pour induire l’acte d’achat. En particulier sur un marché où la concurrence sur les prix est réputée faible, le client pouvant espérer une économie d’au maximum 10% sur sa facture combinée de gaz et d’électricité. Le démarchage sous formes de mailing, de porte-à-porte et d’appels téléphoniques semblait la réponse logique à ce problème, un commercial se chargeant en direct des formalités susceptibles de décourager le client.

Adoptez un livre

Une approche dont les avantages semblent valables sur le papier, mais qui aura finalement fait plus de mal que de bien. A l’époque du phishing et du démarchage abusif, le risque est grand pour un fournisseur de se voir accuser de « forcer la main », voire d’arnaquer le consommateur. En particulier sur le marché de l’énergie, qui a vu se succéder plusieurs scandales dénoncés par les associations, dans lesquels ont trempés aussi bien les fournisseurs alternatifs que les opérateurs historiques. Les forums abondent d’histoires de particuliers mécontents suite à la visite d’un commercial qui s’est introduit chez eux en se faisant passer pour un représentant d’un fournisseur historique. « Bonjour, je viens pour votre facture EDF… » Cette démarche intrusive et ce parti-pris d’opacité, pendant toute une période, a défait d’un côté la réputation que la publicité tentait de construire de l’autre.

La méthode « opportuniste »

Car dans bien des cas, les clients ne souscrivent une nouvelle offre que quand ils n’ont pas d’autre choix. Sur le marché de l’énergie, dans la grande majorité des cas, cela coïncide avec un déménagement. Une autre méthode consiste donc à se rendre disponible – et visible ! – lors de ce moment-clé, en misant sur la puissance du web. Cette technique s’appuie sur la science du référencement, un métier à part entière qui consiste à construire des liens vers son site web, mais aussi à le nourrir de contenus pertinents qui auront une plus-value informationnelle pour le client. Un site au fort page rank pourra ainsi capter les requêtes généralistes du type « électricité déménagement ».

Sur le site, le client obtient un numéro de téléphone auquel il pourra parler à un conseiller qui prendra en charge son besoin. C’est une technique inoffensive pour l’image de l’entreprise, sur laquelle les fournisseurs devraient miser de façon croissante dans les années à venir.

Une affaire de process

La suite est une affaire de process. Au bout du fil, que ce soit pour vendre un compte en banque, une assurance ou un contrat de fourniture d’énergie, tout doit se faire avec célérité et un niveau de désagrément minimum pour le client, sans quoi il ira voir ailleurs. Ainsi faut-il restreindre le nombre de documents à produire et la quantité de données techniques qu’il lui faudra aller chercher. Cet impératif, s’il est particulièrement aigu sur le marché de l’énergie où les clients ont parfois besoin d’une mise en service immédiate, est toutefois en tension avec un autre objectif, qui est de protéger l’entreprise en cas de litige.

En la matière, les plus petits fournisseurs adoptent souvent une posture de prudence intransigeante, en exigeant un contrat signé avant toute mise en service. Ce parti pris les conduit à perdre entre 60 et 70% des clients potentiels. A l’opposé, les plus gros fournisseurs peuvent se permettre dans le cas d’un déménagement de fonctionner sans signature, en se contentant d’un accord passé au téléphone. Face aux clients mauvais payeurs, ils disposent en effet de services juridiques conséquents capables de démontrer l’existence d’un contrat sans preuve physique. C’est le cas de grands fournisseurs comme GDF Suez, Direct Energie ou ENI.

La course reprend

Après une trêve imposée par Direct Energie au moment de sa fusion avec Poweo, l’annonce de la double hausse du prix de l’électricité en 2013 et 2014 a relancé la ruée vers l’or. GDF Suez planche sur un triplement en 5 ans de son portefeuille clients électricité. Direct Energie, fort désormais de son « million de clients», se montre particulièrement agressif, avec le dévoilement d’une nouvelle offre 100% internet. Déjà l’été dernier, la marque avait lancé une campagne de pub d’un genre différent. Le signe que le groupe a déjà commencé à communiquer dans une logique de puissance… et de proximité.

Xavier Caïtucoli, PDG de Direct Energie, déclarait le 5 octobre au micro de France Inter qu’« une ouverture de marché est une course d’obstacles ». Il aurait pu ajouter que la course est en fait un marathon.

Auteur : Xavier Pinon, directeur et co-fondateur du comparateur de fournisseurs en ligne Selectra

1111 Citations de Stratégie, Marketing, Communication, par Serge-Henri Saint-Michel
2 commentaires

1 Commentaire

  1. Prix de l'électricité

    14 avril 2014 à 12:11

    Merci pour cet article enrichissant.

  2. Deroquefeuil

    11 avril 2016 à 13:57

    Article très intéressant. L’arrivée de nouveaux fournisseurs d’énergie est une véritable aubaine pour les consommateurs. Les prix varient énormément d’un fournisseur à l’autre. Le site [pas de pub svp, aucun rapport avec le sujet] permet de nous faciliter la tache pour tout ce qui est administratif lors des résiliations de contrats énergétiques et c’est personnalisé en fonction de notre ville.

Commenter

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Marketing PME aide les PME PMI et TPE à développer leur business en 2021
1111 Citations de stratégie, marketing et communication, par Serge-Henri Saint-Michel
Vers le haut