Nous sommes samedi et quoiqu’on en dise, le samedi, c’est encore le jour des courses.
On saute dans sa voiture C02 friendly, direction le parking de l’hyper. Objectif, guettez le moindre mouvement de voiture pour aussitôt se faufiler en grillant au passage la politesse à d’autres, moins réactifs. Voici les belles rangées de caddie qui nous tendent les mains. Pas de bol, pas de pièce ni ce petit jeton plastique, véritable sésame des temps modernes. Heureusement, il traîne toujours une piécette dans le fond de la portière.
Bref, retour au caddie qui, libéré de ses chaînes, va nous accompagner dans les méandres de nos linéaires préférés. Et là, désastre ! La petite roue de devant, au lieu d’allègrement gigoter dans tous les sens, bloque. Contre mauvaise fortune, bon cœur, il suffit de pousser fort, puis très très très fort une fois notre ennemi à roulette rempli à ras bord. Un peu de sport, beaucoup d’efforts, après tout, c’est recommandé. Nous voilà arrivés. A nous les 6 packs d’eau de 9kg, les files d’attentes qui n’avancent pas, la crise de nerfs des enfants ou pire, la tendre mamie qui, alors que l’on touchait au but (la caissière), cherche désespérément son chéquier. Passons. Nous revoilà sur le parking à charger les courses, re-voiture C02 friendly, on décharge les courses pour les recharger dans le frigo. Ajoutons à cela une petite enguelade de couple qui sans nul doute se sera immiscée dans cette épique scène de vie ordinaire et nous en aurons fini avec cette histoire.
De là à penser que le marché du e-commerce alimentaire a tout pour lui, il n’y qu’un pas à faire… mais stop.
Ce pas n’est pas si simple.
De quoi parlons-nous ?
Côté pile, la cyber-distribution alimentaire a plus de 20 d’existence. De plus en plus concurrentielle, elle est animé par des enseignes crédibles et soutenue par des technologies matures et une parfaite maîtrise de la chaîne logistique. En outre, son offre colle sans nul doute aux usages des consommateurs.
Côté face, c’est le mauvais élève de la classe ; sa croissance est éternellement faible par rapport aux autres segments du e-commerce, à tel point qu’aucun cybermarchand ne figure dans le Top 10 des classements FEVAD. Pour finir, la révolution d’usage annoncée peine à convaincre le marché… et les consommateurs.
Un « je t’aime, moi non plus » avec le consommateur ?
Quand les français envisageaient la vie autrement que par le seul prisme du pouvoir d’achat, ca ne marchait pas. Et pourtant, elle clamait à grand renfort d’investissements publicitaires que c’était pratique et que ça nous faisait gagner du temps (remember les 35h), à tel point que ces 2 arguments, unanimement repris par tous, ont fini par constituer un véritable « mur de Berlin » pour la profession… Pas moyen d’en sortir.
Quand la gestion du pouvoir d’achat fait une OPA agressive sur nos consciences, ca ne marche pas vraiment mieux. Et pourtant, les prix se calquent de plus en plus sur ceux des rayons classiques, les frais de livraison commencent à rendre gorge (Telemarket.fr les supprime), les modes de paiement se diversifient (CB / PayPal), les promos sont légions… Sans parler de l’usage qui se libère (Coursengo.com propose livraison ou retrait), de la fraicheur qui est garantie, de l’ergonomie des sites qui s’améliore ou des avatars qui nous prennent par la main pour nous expliquer à quel point c’est simple de faire ses courses sur Internet…
Ainsi, malgré des différences objectives entre offre sur Internet et offre classique qui s’atténuent, les cybermarchands peinent à prendre leur envol et à embarquer avec eux des consommateurs enfin convaincus.
Parmi les différentes raisons qui pourraient expliquer cette situation, deux sont particulièrement intéressantes.
La première concerne la manière dont est communiqué le service proposé
Chacun pourra le noter, rien n’a changé en la matière depuis 10 ans ! On exploite les sempiternels mêmes arguments (praticité…), tout en s’évertuant à ne pas égratigner le modèle historique, dont sont issus les cybermarchands. Ne pas attaquer frontalement la distribution classique, 1er concurrent de la cyber-distribution, empêche de faire émerger dans l’esprit des consommateurs l’idée d’une alternative crédible, d’un contre-modèle efficace. Dès lors, pourquoi ne pas exploiter la veine comparative qui permettrait de valoriser explicitement l’intérêt d’un modèle sur l’autre, en exploitant ses failles et en révélant son obsolescence et les absurdités décrites plus haut auquel il conduit les consommateurs ? En effet, qu’on on peine à imposer un modèle nouveau, c’est peut-être l’ancien modèle qu’il faut pointer du doigt ! D’aucun diront qu’on ne tire pas à boulets rouge sur son actionnaire ! D’autres remarqueront que Logan n’hésite pas à faire appel à la logique (« Soyez logique, soyez Logan ») du consommateur quand son actionnaire Renault obéit lui à une toute autre logique !
La seconde concerne l’innovation, non pas « technico-technicienne » mais « d’usage »
Certes, les plateformes ont évoluées (ergonomie optimisée, courses mémorisées…) mais le cœur même de l’offre s’appuie toujours sur le même principe : des produits catégorisés en rayons au sein desquels l’internaute navigue pour alimenter son panier. En cela, l’offre est l’exacte déclinaison de ce que propose la distribution classique. Or, proposer des services à forte valeur ajoutée constitue, on le sait, un facteur essentiel dans l’agrément et le succès des plateformes e-commerce. A ce titre, le nouveau Fnac.com en est l’exemple parfait. Le site propose par exemple une solide aide au choix. Comme un vendeur en magasin, il s’enquiert de l’usage qui sera fait du produit, de la gamme de prix visée, de caractéristiques techniques éventuellement désirées. A chaque réponse, la liste des produits proposés est réduite.
Partant, pourquoi ne pas envisager d’enrichir l’offre initiale des cybermarchands alimentaires sur ce même principe ? Ne citons qu’un exemple : l’assistance au choix et à la sélection de son panier de la semaine, sur la base de critères définis par le consommateur (bio // produits locaux // calories // coût // MDD…). Une fois la requête lancée, seuls les produits correspondant aux critères sélectionnés viendraient constituer le panier de la semaine type. A l’internaute ensuite de faire le tri dans une liste de produits lui correspondant. Au-delà de l’agrément apporté, voici un service spécifique et exclusif web qui permettrait de dégager un avantage concurrentiel supplémentaire et renforcerait la liste des raisons objectives de préférer la cyber-distribution à la distribution classique.
D’autres leviers existent bien sûr qui peuvent alimenter la dynamique de croissance du marché. Dans tous les cas, la situation actuelle appelle une nouvelle façon de penser, de marketer et de communiquer l’offre des cybermarchands alimentaires pour dégager des taux de croissance annuelle plus significatifs !
Auteur : Thibaut Cornet, Directeur associé de La Fourmi