En France, il y a à peine 2 ans, un responsable de marque ou un chef de pub à qui l’on faisait mention de son activité de « blogueur » ou « blogueuse » au cours d’un entretien était instantanément associée à l’image du « geek », sans vie sociale ni curiosité, et qui, vissé à son fauteuil publiait ses états d’âmes dans un coin d’Internet. Aujourd’hui c’est le pays européen qui compte le plus grand nombre de blogs, (9 millions, dont 2,5 actifs selon le Journal du net Octobre 2008) mais les marques sont encore frileuses face à cette nouvelle ère.
Apparition du « crowdsourcing »
En revanche, beaucoup de marques étrangères y ont vu un nouveau mode de communication avec leurs clients et sont mêmes allées plus loin en adoptant le « crowdsourcing ». Il s’agit pour une marque de capter les échanges qui font mention de leur nom et de tout simplement tenir compte des avis qu’ils soient positifs ou négatifs. Le véritable challenge résidant dans la capacité qu’auront les communicants à entrer dans ses échanges en donnant le point de vue de la marque et en nourrissant la conversation par un discours en leur faveur. Ainsi connectée à ses consommateurs, la marque a les clés pour entretenir un contact plus régulier et direct avec son client. C’est donc une carte supplémentaire dans le jeu des marques pour gagner en pertinence et réactivité.
Par exemple, les Starbucks Coffe fortement attaqués sur la toile jusqu’en 2007 ont ainsi mis en place une boite à idées 2.0 : un site où les clients déposent leurs désidératas et votent pour leurs cafés préférés. Mais c’est aussi et surtout un site où la marque répond à chaque demande consommateur et applique les suggestions les plus populaires à ses produits ou services (sous réserve de faisabilité).
Impliquer le consommateur mais jusqu’où ?
Pour redresser l’image de marque de cette façon ou générer de la notoriété, il faut cependant aller plus loin et « servir » les communautés. C’est précisément ce point du marketing communautaire qui pose problème à certaines marques qui y voient une action de communication « gratuite » et sans aucun ROI. Pire, il s’agit d’une perte de contrôle de son imaginaire de marque. Détournement (ex : Dove/Unilever), réinterprétation du discours de marque, transgression de l’univers : tels sont les risques perçus par les responsables de marque.
Jeep, par exemple, possède sur son site une page regroupant son activité communautaire. Pratique lorsque l’on veut retrouver une marque sur les différents outils sociaux que le consommateur utilise. Notez que Jeep est une marque déjà pionnière qui proposait il y a trois ans un espace communautaire JeepReviews où les utilisateurs pouvaient échanger librement sur les produits de la marque Jeep. Un bel exemple d’ouverture et de marketing collaboratif.
Jeep a aussi crée une page Facebook pour recenser les amoureux, les fans de cette marque et de ses modèles. La marque US de voitures ne se contente pas seulement d’utiliser FaceBook indépendamment des autres outils sociaux sur lesquels elle est présente (FlickR, YouTube). Jeep a créé une page fédérant l’ensemble des contributions de la communauté sur différentes plateformes. C’est une utilisation intégrée d’un outil de réseau social.
Prendre en compte le taux de participation des consommateurs
Pourtant l’un des risques majeur réside davantage dans une mauvaise appréhension des communautés à cibler. Lorsque les chips Doritos ou la société des transports publics de Londres (TFL) proposent aux internautes de réaliser le prochaine campagne tv ou affichage, certes les codes de la marque peuvent être déformés mais l’absence de participation n’est elle pas un signe plus négatif encore ?
A l’inverse certaines marques maîtrisent parfaitement ce marketing communautaire et participatif. Pour exemple : les boissons « Innocent » se jouent avec succès des multiples plateformes sociales 2.0 (Facebook : 55 groupes, + de 30 000 fans, 2000 photos sur Flickr).
Cependant ce type de public est à considérer avec précaution : il sait ce qu’est le marketing et décode les postures qui ne sont pas authentiques mais purement publicitaires. Typiquement, ces consommateurs peuvent appartenir à plusieurs communautés et savent parfaitement suivre les évolutions des marques. Celles ci sont autant observées et évaluées qu’elles étaient habituées à catégoriser et classer leurs consommateurs. C’est l’impact de ces nouveaux comportements qui est tant redouté par les marques : qu’ils adhèrent ou non au discours d’une marque, les consommateurs revendiquent maintenant non pas un « droit » à s’exprimer mais un « devoir » des marques à les écouter et surtout à intégrer leur message.
Écouter et interagir n’est plus suffisant. Dans cet esprit, on se devrait donc d’appliquer à 100% le marketing communautaire et participatif. L’élaboration des stratégies devrait alors être faite non plus seulement par des équipes de planneurs stratégiques, marketeurs et professionnels de la marque. La construction d’une stratégie obéirait aux axes et tendances des communautés visées qui se sont exprimées. Trop d’obéissance aux consommateurs freinerait l’innovation et cantonnerait les nouveaux entrants d’un marché à des politiques de suiveurs et à du « me too ». Après avoir subit le marketing et la publicité pendant des années, à travers leurs outils numériques les consommateurs s’improvisent marketeurs et cherchent à façonner les marques. Parmi elles, certaines semblent prêtes à tout pour maintenir leur fameuse « préférence de marque », elles sont d’autant plus nombreuses depuis que les chiffres de la consommation ont confirmé la crise tant évoquée par les médias. Se voyant donc écoutés, les consommateurs se prennent au jeu.
Pour conclure, ce que le public fait, en guidant si fortement les marques, est d’habitude initié par des innovateurs influents et des mouvements artistiques. Mais ce que nous oublions c’est que toutes ces tendances proviennent aussi et surtout du discours des médias et de celui de marques. A trop vouloir et devoir obéir à leurs consommateurs, les marques ne mettent-elles pas en péril leur liberté d’audace et leur droit à l’innovation ? Assisterons-nous à une nouvelle ère faite d’un marketing « de vrais gens » soit une ère de réactivité sans aucune initiative ni nouvelle prise de risque ?
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Auteurs : Adeline AUBERT, Jennifer DO COUTO, Anne Line GAYET, Lauren MALAURIE