Le marketing, la communication et l‘ensemble des sous-spécialités de ces deux disciplines, évoqués par Philippe Deliège dans son livre*, œuvrent à ce qu’une marque soit reconnue sur un marché par une audience et suscite l’adhésion, voire le désir, qui engage l’achat. Car, in fine, une entreprise, au-delà de sa responsabilité sociale qu’il faut bien sûr considérer, a bien pour objectif de faire des bénéfices. La marque est l’un des véhicules qui va faciliter le travail des commerciaux. L’extension du terrain de jeu de la publicité sous ses différentes formes offline-online (radio, TV, presse, affichage, display…) à l’usage des médias sociaux a justement permis aux marques d’être incarnées, non plus seulement par les dirigeants, mais par l’ensemble des salariés de l’entreprise.
Les noms de marque socle du totem
Les noms de marque se veulent inspirants. En BtoC, en particulier dans le retail, on dénombre beaucoup de marque « prénoms » : Paul, Céline, André, Colette, Morgan, Marie, Jules, Zara, Michel & Augustin… qui tendent, par ce choix, à humaniser l’entreprise. D’autres marques visent à traduire les valeurs ou une mission de l’entreprise.
Deux exemples, que je connais bien, illustrent parfaitement l’incarnation d’une marque totem, telle que décrite par Philippe Deliège et la quête de sens qui en découle.
En 2016, les fondateurs de Golem.ai ont fait le choix, pour leur nom de marque, d’une référence mythologique, qui, depuis, a souvent été revisitée par la culture populaire. En effet, dans la mystique juive, le golem est un être humanoïde, incapable de parole et façonné pour assister son créateur ; un être qui s’active et se désactive par le mot inscrit sur son front : « emet » (vérité) et « met » (mort). Le choix n’est évidemment pas innocent et le storytelling semble couler de source quand on découvre que l’entreprise agit dans le domaine de l’intelligence artificielle – plus particulièrement celui du langage naturel – et qu’elle est spécialisée dans l’analyse des mots. Il est dès lors facile, pour les collaborateurs de la jeune start-up, de s’identifier à cette image protectrice et philosophique.
Autre exemple, avec Odigo, l’éditeur français de solutions de centre de contacts dans le cloud (CCaaS). Fondée en 1986, la Société du Journal Téléphoné (SJT) prend le nom de Prosodie en 1998. Un choix de nom évocateur pour une société de la tech. spécialisée dans le traitement de la voix avec des solutions de serveur vocal, de voicebot et de centre de contacts. Prosodie signifiant l’inflexion, le ton, la tonalité, l’intonation, l’accent, la modulation que l’on donne à notre expression orale. En 2019, Odigo devient une marque autonome et change d’identité visuelle en même temps que l’entreprise devient l’un des leaders du domaine de l’expérience client en Europe. Étymologiquement Odigo vient du grec ancien, οδ-ηγος,-ο qui signifie ‘guide’. Un guide est un élément qui sert de repère, celui qui montre la voie et inspire confiance. Un choix particulièrement riche de sens pour une société qui accompagne les entreprises sur le chemin d’une meilleure expérience client et collaborateur. Une belle analogie aussi pour une solution qui route les demandes client (quel que soit le canal) vers les agents les plus compétents. Evidemment le choix d’un nom de marque, aussi simple soit-il, demande à embarquer l’ensemble des collaborateurs, avec une histoire et des clés de compréhension. C’est l’une des missions des équipes marcom.
Des totems et des tribus
Il n’y pas de totems sans tribus, sans adeptes. La tribu naturelle est constituée par les collaborateurs, elle peut l’être aussi par les clients, les fans etc. mais on parle plus souvent de communautés**. Les tribus ont besoin d’un leader inspirant, à défaut d’une marque totémique.
Les marketeurs redécouvrent ce terme grâce au livre «Le temps des tribus» du sociologue français Michel Maffesoli (1988), et aussi avec «Tribus – Nous avons besoin de vous pour nous mener» (2008), de l’ancien responsable du marketing direct de Yahoo et serial conférencier Seth Godin.
Le vocable tribu a aussi été largement popularisé par les start-ups et particulièrement par la plateforme de recrutement Welcome to the Jungle, qui use et abuse de ce terme au fil de ses pages pour décrire les entreprises. Il faut à présent vouloir rejoindre une tribu et ses rites, s’assurer du bon fit culturel. De la même manière, les consommateurs sont de plus en plus en quête de sens : ils ne cherchent pas seulement un produit mais une histoire, en laquelle ils souhaitent croire.
C’est pourquoi accompagner les collaborateurs – les membres de la tribu- dans ce storytelling de la marque est aussi important. Dans les rites d’appropriation, l’on boarding, souvent géré par les équipes RH, est un moment crucial pour l’assimilation des messages de l’entreprise, leur adoption. La cohérence de la marque avec sa vision, sa mission, sa raison d’être et ses valeurs seront aussi challengés par les équipes. Avec une marque bien définie, les collaborateurs et les commerciaux en particulier vont pouvoir s’emparer des messages corporate, afin d’amplifier la part de voix de l’entreprise, étendre son empreinte sur les réseaux.
Bien sûr il existe des plateformes de brand advocacy, pour automatiser les publications des collaborateurs sur les médias sociaux, mais on commence à découvrir les limites de ces approches peu personnalisées et trop automatisées. De même, certains font appel à des pratiques comme les pods d’engagement***, l’activation, en mode growth hacking, de micro-communauté, formelle ou informelle, avec, pour objectif, de tromper les algorithmes des médias sociaux. Pourtant, dans cette crise d’indifférenciation, les ambassadeurs peinent à sortir du lot, avec un message préfabriqué qui n’intéresse pas leurs audiences. Mais finalement le plus rentable, sur le long terme, est bien de doter les collaborateurs des compétences nécessaires à la communication et à la conversation au travers de médias sociaux. Il est important de pas sauter d’étapes, en particulier dans une économie où les marques et les produits sont surveillés, évalués, notés, recommandés etc. (Glassdoor, G2, Gartner Peer insights, Trustpilot…)
Il faut mettre fin à la course à l’audience, aux fausses promesses des influenceurs, à l’illusion d’un marketing magique ; le monde a besoin d’un marketing positif et responsable, qui n’abuse pas des artifices du growth marketing pour répondre à des consommateurs en quête de valeurs et de réponses à leurs besoins.
Auteur : Jean-Denis Garo, Administrateur du CMIT, Head of Product Marketing Odigo
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Notes
*Deliege, Philippe, Devenir une #MarqueTotem, Droits et Devoirs du #PersonalBranding, 2022
**La consécration des communautés informelles. Forbes. 15 Janvier 2021 https://www.forbes.fr/technologie/la-consecration-des-communautes-informelles/
****La mort annoncée des Pods d’engagement sur les réseaux sociaux ? eMarketing. 06 Janvier 2020 https://www.e-marketing.fr/Thematique/social-media-1096/Breves/mort-annoncee-Pods-engagement-reseaux-sociaux-345640.htm
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