Ces dernières années, le casque audio a fait un retour phénoménal dans notre quotidien. Du métro à la rue en passant par les salles de sport ou les entreprises, les casques audio sont partout, sur les oreilles, non plus seulement des professionnels de la musique dans les studios, mais aussi « des gens ordinaires » (de Certeau, 1990).
Face à ces observations, nous avons voulu essayer de comprendre les raisons qui poussent aujourd’hui les individus à porter un casque audio. Triangulant les théories de la réception et des usages en partant de l’ancrage paradigmatique de la sociologie des individus comme V. Sacriste le conçoit au regard des travaux de D. Martuccelli, le but de l’enquête était ainsi de comprendre ce qui se cache derrière cet usage en cherchant à répondre en particulier à ces interrogations : que représente le casque audio comme objet ? Quels usages en fait‐on selon les lieux, les moments ou les interactions sociales c’est à dire quelles relations a-t-on à l’objet quand on est seul (relation de soi à soi) ou en présence d’autrui, dans un lieu public (relation de soi aux autres différents de soi et plus généralement au monde environnent) ?
Le casque audio : technique et esthétique
Interrogeant ce sujet au regard de la problématique du lien social, nous avons alors émis trois hypothèses : la première étant qu’il existait des motivations en rapport avec l’objet, la deuxième qu’il existait des motivations en rapport avec l’usager en tant qu’individu, et la troisième, qu’il existait des motivations en rapport avec les autres. Pour cela, nous avons mené une enquête qui triangulait des méthodes qualitatives comprenant des observations in situ, ainsi que dix entretiens semi-directifs d’1h30 menés en face à face auprès d’utilisateurs de l’objet.
A l’issue de notre enquête, nous avons pu mettre en avant que pour les enquêtés, le casque audio est un objet à la fois technique et esthétique, dont le principal intérêt est la qualité du son. Revendiquant un certain côté mélomane, l’utilisateur du casque audio apprécie de pouvoir écouter la musique qu’il aime dans de bonnes conditions, « comme s’il était à un concert ». A cela s’ajoute la question du confort d’écoute et la recherche d’un objet à la fois pratique, confortable et esthétique, qui puisse accompagner son propriétaire dans toutes ses activités quotidiennes.
Casque et singularisation
Nos résultats ont aussi montré que le casque audio était pour l’utilisateur à la fois un moyen de se singulariser (choisir un casque qui lui correspond, aussi bien au niveau de la forme, que de la couleur et du matériau) mais également un moyen de se recentrer, se reconcentrer, d’entrer dans une sorte de bulle l’aidant à faire, lorsqu’il le souhaite, abstraction de l’environnement qui l’entoure. Cependant, cette bulle reste perméable, puisque l’usager du casque est libre, lorsqu’il le souhaite, de se reconnecter avec son entourage, en diminuant le son ou en ôtant son casque.
C’est d’ailleurs une combinaison de ces aspects que la dernière publicité américaine pour le casque Beat by Dre met en avant, via le basketteur Kevin Garnett de l’équipe des Nets de Brooklyn qui, pour rester concentré sur son match à venir, choisit volontairement de mettre son casque, de ne plus entendre les bruits extérieurs, et de mettre un titre qui va le motiver encore plus (The Man, d’Aloe Blaac).
Bien-être personnel et réflexivité sur soi
Bien au-delà de la question de la sociabilité ou de l’associabilité, le casque serait aussi pour son utilisateur, un moyen d’accéder à un certain bien-être personnel centré sur la réflexivité de soi même, qui ne serait pas possible dans certaines circonstances sans ledit casque.
Enfin notre étude a montré que l’objet était également un moyen de respecter l’environnement d’autrui ; le casque ne traduirait donc pas une forme d’associabilité, et l’utilisateur resterait malgré tout attentif à ce qui se passe autour de lui. La notion de respect de l’environnement d’autrui se traduit par le port du casque pour ne pas déranger les activités de l’autre, mais aussi un respect de l’autre comme interlocuteur, en restant disponible pour lui, si ce dernier souhaite pour des raisons diverses, .
A contrario des images ou discours convenus, l’enquête montre que le port du casque n’est pas une histoire sociale à lire comme l’avènement d’un monde d’asociabilité mais bien plutôt comme la démonstration d’une société singulariste (D. Martuccelli 2010) qui se recentre sur soi dans la quête de se libérer des pesanteurs quotidiennes et de trouver un moyen de se ressourcer de l’intérieur tout en gardant un œil sur l’extérieur.
Auteur : Marine Coderch, Université Paris Descartes, lauréate du Palmarès des 7èmes Trophées des Etudes Marketing & Opinion. Profil LinkedIn.
***
(c) ill. Shutterstock – Happy smiling young man dancing and listening to music

